Les 110 ans d’Annaïck Labornez…

41cLu4zuOVL._SX363_BO1,204,203,200_Bécassine Une Légende du siècle de Bernard Lehembre et Joseph-Porphyre Pinchon – Musée de la Poupée*, 168 p., 29 € –

ccf18022015_00003_1Annaïck Labornez, née en février 1905 à Clocher-lès-Bécasses, plus connue sous le nom de Bécassine, ne sait pas lors de sa première apparition, qu’elle va devenir l’un des personnages les plus connus de la bande dessinée.

La brave petite Bretonne, tout à la fois naïve et dévouée, servante au grand coeur, traverse avec succès tout le XXe siècle et joue les prolongations au XXIe. Autour d’elle gravitent quelques personnages hauts en couleurs, parmi lesquels se distinguent la célèbre marquise Grand-Air et sa fille adoptive Loulotte. »*

1905, c’est l’année de la première publication d’un magazine destiné aux petites filles, intitulé la Semaine de Suzette. Les circonstances vont amener Suzette et Bécassine à faire un bout de chemin ensemble. À quelques jours de sa mise en vente, la dernière page du mag est toujours blanche. Que faire ?

Maurice Languereau (alias Caumery à partir de 1913), neveu de l’éditeur de « la Semaine« , écrit à la hâte l’histoire d’une petite campagnarde un peu gauche et ingénue – mais qui s’avèrera par la suite plutôt finaude – fraîchement débarquée dans la Capitale. On fait appel au seul dessinateur présent, Emile-Joseph Pinchon, et hop ! le tour est joué… et la carrière de Bécassine, lancée.

UnkL’Erreur de Bécassine (titre de cette page) va être un succès immédiat. La gamine au visage rond et aux yeux en forme de boutons de bottine aura par la suite plusieurs papas et une maman. Elle va participer à la Seconde Guerre Mondiale (ses albums, jugés subversifs par les Allemands seront saisis), voyager, mener des enquêtes, faire de l’escalade, pouponner, piloter un avion, fêter ses 90 ans, ses 100 ans, puis ses 110 ans. Une « véritable fresque proustienne« , écrira Francis Lacassin dans le Magazine Littéraire de janvier 1969.Couv_107628

Dans l’esprit de Caumery, il s’agissait simplement de divertir les jeunes lectrices de la Semaine de Suzette, mais Bécassine va, presque à son insu, damer le pion à toutes ses concurrentes potentielles et régner en maître sur l’hebdo qui l’a vue naître. Puis partir vivre sa vie sous d’autres cieux dès 1913.

« Son » dernier album, Bécassine au studio, a été réédité en 2005 (on l’avait découvert sous cette forme en 1993), suivi en février 2015 de Bécassine Une Légende du siècle (réédition). Rendez-vous en 2025 ?

A.C.

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  • Musée de la Poupée – 28 rue Beaubourg, Paris 3e
  • « La Bande dessinée » de Patrick Gaumer et Claude Moliterni (Ed. Larousse, 1994)

Joann Sfar et son chat : 1+1= 6

Le Chat du Rabbin de Joann Sfar – Ed. Dargaud – Intégrale (vol. 1 à 5), 288 p., 34,90 € – Tu n’auras d’autre dieu de moi (vol. 6), 56 p., 12,99€

896637163Depuis décembre 2006 et l’album Jérusalem d’Afrique, le chat n’avait plus parlé ni pensé, ni même miaulé. Sauf au cinéma, dans le long-métrage réalisé par Joann Sfar et Antoine Delesvaux, »Le Chat du Rabbin » (César du meilleur film d’animation 2012).

 

Couverture

C’est donc avec émotion que les fans de la série ont découvert en août dernier ce sixième opus, intitulé Tu n’auras pas  d’autre dieu de moi. L’auteur y explore l’une après l’autre les différentes facettes de la vie du rabbin à Oran. La population de cette ville aux origines multiples a appris, au cours d’une longue histoire, à ne pas dépasser certaines limites, ou à ne les enfreindre… que dans certaines limites. 

Dans le premier épisode, La Bar-Mitsva, le rabbin découvre que son chat, qui s’est mis à parler à la suite d’un incident déplorable, a étudié les livres de son maître et qu’il les explique à sa façon.

Le Chat, ce grand bavard philosophe, que ses études rabbiniques ont rempli d’astuce (et d’astuces), ne dédaigne pas pour autant les ficelles de l’esprit occidental. Il commente, tout au long des histoires suivantes, les voyages et les équipées dans lesquelles son maître est entraîné par des personnages parfois saugrenus mais toujours significatifs. 

Ainsi dans Le Malka des Lions (les montagnes de l’Afrique du Nord et les fiançailles de Zlabya, la fille du rabbin), L’Exode (la belle-famille de Zlabya dans le Paris des années 20), Le Paradis terrestre (la longue errance du rabbin, de son cousin le Malka et de son vieux lion), puis dans la surprenante Jérusalem d’Afrique, protégée par de féroces gardiens.  

Page 3Avec Tu n’auras pas d’autre dieu que moi, nous revenons à Oran, cette ville magique où les hommes habitent dans de vieilles pierres dont ils semblent issus. Zlabya attend son premier enfant. Le chat est inquiet. Sa maîtresse ne fait guère attention à lui, elle vit dans un rêve où il ne peut la suivre. D’ailleurs il n’a pas le droit de lui parler, il l’a promis au rabbin.

Et à la naissance de l’enfant, le Chat comprend que la mère, le père et leur petit sont maintenant dans un jardin clos, dont l’accès lui est interdit. Il en vient à se demander « Et si ce n’était pas moi le centre du monde ? »

Page 9Il s’en va, il essaie de devenir un « chat normal », mais ce n’est pas facile quand on en a depuis si longtemps perdu l’habitude. Il fait la connaissance de « la petite souris » et l’accompagne dans une aventure à la fois désopilante et sordide, dont il sort dégouté.

Le dessin de Joann Sfar est toujours aussi évocateur. Il contribue à créer chez le lecteur un espace de liberté, où les idées se nichent et évoluent à leur façon.

Zlabya a raison de dire : « Les rêves, ce n’est pas des mensonges, si je ne rêvais pas, j’exploserais. »

Jeanne Marcuse

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19214108&cfilm=129365.html

To-day

Pleins feux sur Claire Bretécher, dessinatrice et scénariste

bretecher-les-annees-pilote… avec la parution de deux albums-anthologies aux Ed. Dargaud et une exposition à la BPI du Centre Pompidou, jusqu’au 8 février 2016

Les  années Pilote, 220 p. 28€ – Morceaux choisis 128 p., 30€ (depuis nov. 2015)

Petite piqure de rappel. Dans les années 50, la bande dessinée franco-belge est considérée comme un divertissement réservé aux enfants. Quelques parutions font cependant tache (Le Journal de Spirou, Le Journal de Tintin…). C’est à la faveur de leur succès naissant que le premier numéro de Pilote, destiné aux adolescents, sort en octobre 1959. L’hebdo surprend par son contenu et la diversité de ses signataires : Uderzo, Goscinny, Hébrard, Tabary, Charlier… Ainsi que des personnalités du monde sportif, comme le coureur automobile Maurice Trintignant ou le footballeur Raymond Kopa.

Page 7Le Grand Duduche (Cabu, 1962), Achille Talon (Greg, 1963), Les Dingodossiers (Goscinny-Gotlib, 1963), Philémon (Fred, 65), etc.

En 1969, c’est au tour de Cellulite de se pointer, avec Claire Bretecher dans le rôle de la bonne fée. Elle va « transformer ce qui aurait pu être doux et fade en quelque chose d’appétissant et d’incroyablement farfelu », écrit alors René Goscinny. Cellulite a effectivement peu d’atouts dans son jeu : « La petite princesse ne fut pas baptisée Céleste, Blanchemine ou Claire, mais Cellulite. Le bon roi ne s’intéressa qu’au pognon et à courir le guilledou. Les princes devinrent des coureurs de dote, et Cellulite elle-même, une virago au visage approximatif  ».

Le style graphique de Claire Bretécher fait mouche, ses dialogues ciselés au cordeau, son sens de la parodie et son côté visionnaire sont d’une audace réjouissante et ancrent un peu plus la BD dans le monde des adultes. Avec en point d’orgue, la création de l’Echo des Savanes en mai 72.

Page 21

Claire ne va pas se contenter de mettre en scène les états d’âme de la princesse Cellulite, les vapeurs de Camomille, les problèmes existentiels de Guiguite ou d’Agripine, elle va également faire un sort aux « pseudos » de tous poils. Dans les FrustrésPage 20 (Obs, 1973), elle décrit avec une ironie mordante les mœurs du microcosme post-soixante-huitard parisien, où féministes patentées et intellos fumeux refont le monde aux Deux-Magots. Elle saura aussi anticiper sur les grands sujets qui agiteront la société trois ou quatre décennies plus tard (GPA, PMA, mariage pour tous, identité sexuelle). Pour l’heure Uderzo et Goscinny sont enchantés, Gotlib, tout aussi enthousiaste, décide de taquiner la muse…

« Ses cheveux blonds / Nous éblouissent / Ses joues rose bonbon / Nous attendrissent / L’eau claire de ses yeux / Nous fait chanter (…) / Son joli sein rond / Est un poème / Sa jambe est un affront / A Vénus même / Alors, pourquoi ? Pourquoi ? / (Que Dieu nous perde!) / Dessine-t-ell’ si bien qu’ça ? / Ell’ nous emmerde ! (Ode à Claire)

Page 7Claire Bretécher : un saut de quarante-cinq ans dans le temps, et le constat pour celles et ceux qui (re)découvriront ses planches insolentes, que celui de l’insouciance, des utopies essentielles et des matins clairs, semble aujourd’hui révolu.

Anne Calmat

* Exposition Claire Bretécher – BPI du Centre Pompidou (lundi, mercredi, jeudi, vendredi 12h – 22h – Samedi et jours fériés 11h – 22h). Entrée libre.