La communication politique. L’Art de séduire pour convaincre

de Christian Delaporte (texte) et Terreur Graphique* (dessin) – Avant-propos David Vandermeulen – Ed. Le Lombard.

Vous avez été étonnés par le résultat des élections outre-Atlantique ?
Vous vous apprêtez à suivre attentivement la course électorale française ?
Vous êtes simplement intéressés par les usages de la communication ? Alors, n’hésitez pas à franchir les portes de la petite Bédéthèque des Savoirs. Les auteurs du présent album livrent ici une passionnante histoire et une analyse rigoureuse de la communication politique, des années 30 à nos jours.Partant du courant néo-platonicien, David Vandermeulen souligne, dans son avant-propos, quelques grands noms qui eurent tous en commun de se montrer très critiques à l’égard du langage : Montaigne, Georg Christoph Lichtenberg, Hugo Hofmannsthal, Robert Musil, Ludwig Wittgenstein, Karl Kraus, Victor Klemperer, Georges Orwell… Tous sensibles à l’échec des discours, tous animés par la volonté de mettre en évidence les pièges, voire les dangers, de la communication.

Tony Schwarz qui fut le  » nègre  » de Donald Trump clôt la liste en déclarant en juillet 2016 dans le New Yorker, regretter amèrement d’avoir conçu l’hagiographie d’un  » sociopathe  » et mis  » du rouge à lèvres à un cochon « . Repentir qui attire notre attention sur l’importance et le sérieux de la communication politique, mais vient surtout rappeler que nous sommes partie prenante, à part entière, de ses dérives et de ses succès.

Tout commence aux Etats-Unis dans les années 30 avec la victoire de Roosevelt, qui montre que le logo du candidat, concocté par les publicistes Clem Whitaker et Leone Baxter, peut infléchir l’opinion en sa faveur.

À partir de là, la présence des consultants s’impose dans les campagnes électorales. Ces derniers considèrent que la politique est affaire de réel, mais aussi d’imaginaire et d’émotions.Pour que l’électeur se projette en lui et donne sa confiance à un candidat, il est indispensable de lui construire une image, à la fois énergique, sympathique et compétente, de mettre en place des réseaux de soutien et de recourir à des stratégies de communication avec les différents médias.
Des agences se mettent en place, qui dirigent, planifient, coordonnent les campagnes. Leur personnel s’élargit et se spécialise : organisateurs, collecteurs et analystes d’information. Enfin, évidemment, un rôle particulier revient aux spécialistes des médias, allant du rédacteur de discours au conseil en média, spécialiste du mailing, producteurs et réalisateurs de films, acheteurs d’espaces.Christian Delaporte et David Vandermeulen déroulent avec rigueur l’historique de la communication politique, en analysent les stratégies et mettent en évidence le rôle majeur joué par la télévision et les réseaux sociaux. Le sérieux du sujet est égayé par le trait souvent caricatural de Terreur Graphique, et les exemples, glanés à droite et à gauche, des deux côtés de l’Atlantique, parlent à nos souvenirs anciens ou récents. L’humour, omniprésent, rend la lecture attrayante, sans toutefois nous faire oublier la part de critique qui revient à l’opinion publique, c’est à dire à chacun d’entre-nous. Car en fin de compte, comme le relèvent les auteurs, ni la politique, ni la communication ne sont des sciences exactes.

Ce qui laisse à tous une marge d’incertitude qui peut conduire au pire, mais pourquoi pas au meilleur.

Nicole Cortesi-Grou

72 p., 10€

Les auteurs

Christian Delporte
Spécialiste de l’histoire de la communication politique française, historien, professeur à l’Université de Versailles, directeur du Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines et dirige la revue Le temps des Médias.

Terreur Graphique
Dessinateur auteur régulier de Fluide Glacial et travaillant avec la presse notamment Libération depuis 2015.

Ces gens-là – Ed. Dargaud, 2017

La collection

Les droits de l’homme. 
T. 16 – (2017)

Le rugby. T. 15 – (2017)

La communication politique. T. 14 – (2017)

Les situationnistes. T. 13 – (2017)

Le minimalisme. T. 12 – (2016)

Le féminisme. T. 11 – (2016)

Histoire de la prostitution. T. 10 – (2016)

L’artiste contemporain. T. 9 – (2016)

Le tatouage. 
T. 8 – (2016)

Le Nouvel Hollywood.
 T. 7 – (2016)

Le hasard. 
T. 6 – (2016)

Le droit d’auteur. 
T. 5 – (2016)

Le heavy metal. 
T. 4 – (2016)

Les requins. T. 3 – (2016)

L’univers. T. 2 – (2016)

L’intelligence artificielle. T. 1 – (2016)

Un sac de billes

arton470-e8b39adapté du roman de Joseph Joffo – Récit Kris, dessin Vincent Bailly – Ed. Futuropolis  – En librairie début février.

Ce pourrait être une saga.

Il y eut d’abord le légendaire grand-père, Joseph, qui vivait prospère et heureux dans un petit village près d’Odessa, jusqu’à ce que les premiers pogroms éclatent (1905). Quand les bataillons tsaristes vinrent prêter main-forte à la populace déchaînée, commença pour lui et sa famille un exode à travers l’Europe, non dépourvu cependant de rires, de beuveries, de larmes et de mort.

Son arrivée dans un pays dans lequel on pouvait lire au fronton d’une grande maison de village « Liberté, Égalité, Fraternité » mit un terme à son périple. Il y posa ses valises et se mit à l’aimer comme le sien.

Le père Joffo dut également quitter son pays, la Russie. Pour renforcer ses troupes, le tsar envoyait ses émissaires ramasser de jeunes garçons pour les enrôler. Son père lui enjoignit de prendre la fuite sans attendre et de se débrouiller, à sept ans, il était un petit homme. Son périple l’amena à Paris, où il s’établit coiffeur pour hommes.

MEP_SDBILLES_240x300ok.qxd:Mise en page 1Les enfants Joffo, Joseph et Maurice, passaient une enfance insouciante, rue Marcadet. Quand il fallut  coudre une étoile jaune au revers de leur veste et renoncer à prendre le train ou aller au cinéma, leur père déclara : « C’est à votre tour aujourd’hui, le courage c’est de savoir partir. » Le but du voyage était Menton, en zone libre, où Albert et Henri, leurs aînés, avaient trouvé refuge. Pour cela il s’agissait de passer d’abord la ligne de démarcation à Hagetmau, dans le département des Landes.

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Ce qui apparut comme une folle aventure à Joseph et Maurice, commença avec cinq mille francs en poche – pour eux, une fortune – et la promesse solennelle faite de ne jamais, jamais, avouer leur judéité.MEP_SDBILLES_240x300ok.qxd:Mise en page 1
Dès la gare de Bercy, il fallut jouer des coudes dans les trains bondés, compter sur son jeune âge pour susciter la protection des adultes, et bien sûr mentir, ne jamais avouer qu’on voyage seuls.
Leur spontanéité d’enfants les sert quand ils se laissent aller, par exemple, à faire confiance à un inconnu qui propose un rabais conséquent sur le prix du passage, en échange d’une tournée de livraison de viande. Ou bien quand, au mépris du danger, Maurice se fait passeur occasionnel pour que leur pécule ne fonde pas trop vite.MEP_SDBILLES_240x300ok.qxd:Mise en page 1
Le corps forcit avec les kilomètres qu’il faut bien faire à pieds, l’assurance s’affirme au gré des rencontres et l’esprit s’aiguise pour imaginer des astuces qui permettent de déjouer les pièges que tendent la police française et l’occupant. Il n’y a guère que les péripathéticienes de Marseille pour provoquer l’effroi des gamins, tant ces dames sont offensives.
Malgré tout, l’enfance est encore prête à s’émerveiller devant la mer que l’on découvre.
Ils finissent par arriver sains et saufs à Menton. Mais le périple est loin de s’arrêter là. Il faudra encore repartir, cette fois pour Nice, retrouver la famille réunie suite à la libération rocambolesque par le frère aîné des parents arrêtés et en instance de déportation.

Sans ressources régulières, comment survivre si ce n’est en devenant expert en système D ? Ce qui est grandement facilité par le règne de la « combinazione » instauré par l’armée d’occupation italienne.
Quand celle-ci laisse la place à l’armée allemande, les rafles contraignent la famille à se séparer à nouveau, et les deux frères à se fondre dans l’anonymat d’un camp de jeunesses pétainistes.

C’est le moment de s’endurcir à nouveau et comme les espions, de s’inventer une identité, des adresses, des parents. Et cela tombe bien car, lors d’une sortie à Nice, les deux enfants ne peuvent échapper à une souricière tendue par les nazis. Seul, le culot permettra à Maurice, fidèle au serment fait à son père de nier leur judéité, de trouver le moyen de convaincre un bon curé niçois de venir apporter au commandant deux certificats de baptême.

La fuite à nouveau, cette fois à Aix-les-Bains, dans un restaurant pour Maurice, dans une librairie pétainiste pour Joseph. Les épreuves ont tant marqué ce dernier qu’il ne trouve plus suffisamment de larmes pour pleurer la mort de son père. Elle précède de peu la libération du village.
Reste à savoir ce qu’ils retrouveront rue Marcadet…

L’ensemble des planches est richement coloré, décors et personnages sont extrêmement bien figurés par un trait précis et dynamique.
Parue sous la forme d’un récit en 1973, cette histoire de formation donna lieu à deux adaptations cinématographiques : la première réalisée par Jacques Doillon en 1975, la seconde par Christian Duguay en 2017. Joseph Joffo, qui avait dix ans en 1941, est écrivain, acteur et continue à raconter son histoire.
Kris comme scénariste a publié de nombreux ouvrages dont Un sac de billes en trois tomes (2011, 2012, 2014), La grande évasion, Un maillot pour l’Algérie, et récemment, Nuit noire sur Brest*.
Vincent Bailly comme dessinateur a publié Cœur de sang et Angus Powderhill, Un sac de billes (1 à 3), et comme scénariste, Coupures irlandaises, Notre mère la guerre* et Mon père était boxeur*.

Nicole Cortesi-Grou

126 p., 20 €

  • Boulevard de la BD, « On a aimé ».

Un soleil entre des planètes mortes

arton147-3cbde de Anneli Furmark (texte et dessin) – Traduit du suédois par Florence Sisask – Ed. Ça et Là

Barbro est une suédoise solitaire qui porte en elle le roman de Cora Sandel (1880-1974), Alberte et Jacob (1926), premier volet d’une trilogie qui va de la libération à la solitude du personnage central.

Barbro s’est à ce point prise d’amitié pour l’héroïne qu’elle entreprend un voyage en Norvège pour retrouver les lieux où elle a vécu. Elle s’identifie à cette jeune fille mal dans sa peau, étranglée par les convenances et une vie familiale pesante, où les femmes semblent toujours assignées à des places subalternes, dans la peur des hommes et du regard social.

Le roman graphique d’Anneli Furmak mêle étroitement le présent de Barbro, en route vers les lieux du roman, et des extraits de Alberte et Jakob. C’est le dessin, et particulièrement les couleurs qui délimitent les deux espaces-temps.
Le présent de Barbro baigne dans une lumière bleue, froide, elle découvre Narvik, puis Tromsø, la ville d’Alberte. Neige, montagne et néons urbains. Le roman de Cora Sandel est lui travaillé dans le noir et blanc, ou plus exactement dans le blanc et la gamme des nuances de brun, avec ici et là des touches de bleu qui font le lien entre les deux époques.Un soleil-57En voyage, Barbro observe les gens, s’interroge sur ce qui les pousse à se déplacer, elle rêve qu’elle les questionne sur leurs vies, elle rêve que cela serait facile de faire connaissance, d’échanger. Cependant elle est paralysée par la timidité, tout semble vain, tout lui fait peur. Elle est à l’âge où l’on commence à ressembler à sa grand-mère.
Une vie un peu à côté de la vie. Elle a un travail, a été mariée, a eu des fils, et l’on comprend peu à peu que ce voyage est un chemin pour s’affirmer, trouver sa place dans le monde.
Une vie minuscule, à la manière de Pierre Michon*,  peut-être, mais une vie illuminée par une œuvre littéraire.Un soleil-77Cette œuvre graphique tout en délicatesse nous fait découvrir par petites touches la sensibilité de Barbro, qui est de ces êtres que l’on côtoie sans les voir. Sur son lieu de travail, elles sont deux à porter le même prénom, alors on la désigne sous la lettre B… Second rang, tout un programme.
Mais Barbro va faire une rencontre qui peut-être pourrait changer sa vie et en rompre la monotonie.
Un soleil entre des planètes mortes  est aussi pour nous l’occasion de découvrir une écrivaine peu connue en France : Cora Sandel, que les Editions des femmes avaient publiée en 1991.

Un soleil-87176 p., 24 €

  • Vies minuscules, Ed. Gallimard 1984

Une histoire de l’art (suivi de) Nuages et Pluie

Tirage limité
Tirage limité

de Philippe Dupuy (texte et dessin) – Ed. Dupuis, collection Aire Libre – En librairie depuis le 26 novembre 2016.

Le 44e Festival international de la bande dessinée (26-29 janvier) accueillera une fois encore le dessinateur-scénariste Philippe Dupuis, Grand Prix de la ville d’Angoulême en 2008 avec son complice depuis 1983, Charles Barberian.

Une histoire de l’art – celle du rapport de l’auteur à l’art – est en effet à découvrir dans la Grande Salle du Vaisseau Mœbius, un espace pluridisciplinaire situé au coeur de la Mecque de la bande dessinée.une-histoire-de-l-art-de-philippe-dupuy,M116451

Grande, il faudra qu’elle le soit, puisque l’installation de Philippe Dupuy ne mesure pas moins de 23 mètres de long (recto verso).

Une-histoire-de-lArt-1--singleAprès Nuages de pluie, son album précédent (v. ci-dessous), le dessinateur entraîne ses lecteurs dans les méandres de sa propre histoire de l’art, qu’il décline sous la forme de ce livre-accordéon hors norme. Il interroge le concept même de l’art, le met en perspective et explore les codes qui participent au cloisonnement des disciplines artistiques. Peu de cases, l’espace est ouvert, certains dessins peuvent même s’étaler sur plusieurs mètres.Histoire-de-lart-manif3

Illustrations à l’appui, il convoque Picasso, Matisse, Léonard de Vinci, Kandinsky, etc. et les confronte aux artistes d’aujourd’hui (le vidéaste Pierrick Sorin, le bédéiste Blutch…). Il dialogue en toute humilité avec ceux qui appartiennent au patrimoine mondial des arts, des lettres et des sciences : Anciens, Modernes ou Contemporains.  » Mon histoire de l’art est subjective, discutable, je me définis comme un historien du Café du Commerce « , se plaît-il à dire.

Cette plongée dans les souvenirs et les émotions de Philippe Dupuy est un exercice de style ludique et sensible, mille fois plus proche du paysage mental que de l’écrit doctrinal.

A. C.

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192 p., 46 €

couve_nuages_et_pluie_telNuages et Pluie de Loo Hui Phang (scénario) et Philippe Dupuy (dessin) – Ed Futuropolis (Communiqué de presse).

Après L’Art du chevalement, Loo Hui Phang et Philippe Dupuy reviennent avec ce conte fantastique et sensuel, une histoire de vampire chinois dans l’Indochine des années 20.
Le scénario ? Au lendemain de la guerre 14-18, un ancien soldat allemand, Werner, erre quelque part en Indochine.visuels_nuages_et_pluie-5_tel De la guerre, il garde une blessure à l’endroit du cœur. En le sauvant d’un tir ennemi, son ami, Georg, a perdu la vie. Il avait une femme et des enfants. Werner se sent coupable de cet épisode. Il pense qu’il ne pourra racheter ce sacrifice que s’il parvient à trouver l’amour et fonder une famille à son tour.

Dans l’Indochine française, il est surtout un paria rejeté des colons. Il vit de menus travaux, et échoue dans une petite ville du Laos, Savannakhet. Il trouve refuge dans une énorme manufacture, pareille à une forteresse. Son activité est obscure : des matériaux entrent dans l’enceinte, une armée d’employés s’active. Ils sont étranges, vieux, gris, mutiques, éteints.

Dans la ville, tout le monde craint la famille chinoise qui possède la manufacture. Des histoires courent à son propos. On dit qu’elle est maudite, prisonnière d’un mal tout-puissant. Les maîtres auraient une fille unique, atteinte d’une maladie rare qui lui interdit de s’exposer à la lumière du jour. La jeune fille ne sortirait de sa chambre qu’à la nuit tombée, pour se promener au bord de l’étang, dans la cour intérieure. Pour vérifier ces rumeurs, Werner se cache dans le jardin et attend… visuels_nuages_et_pluie-6_tel144 p., 21 €

Une Femme de Shôwa

couvertureManga de Ikki Kajiwara (scénario) et Kazuo Kamimura (dessin) – Ed. Kana  – En librairie le 20 janvier.

Visuels © KAZUO KAMIMURA

L’action se déroule en 1945 dans un Tokyo ravagé par la guerre. Shôko n’est encore qu’une enfant lorsque l’on fait sa connaissance. Elle semble heureuse avec sa maman, Kiyoka, une geisha très en vogue dans le quartier de Yanagibashi. Seule ombre au tableau, l’absence de son père, Sôzuke Tanako, un jeune critique très prometteur proche de la cause nationaliste et obligé de se cacher pour ne pas mettre sa famille en danger.

La vie de Shôko va être à jamais être bouleversée lorsque Kiyoka se fait arrêter par la police spéciale, qui veut savoir où se cache Sôzuké.  « Son mari était issu d’une famille de Samouraï de l’l’université impériale. Elle, originaire d’une famille pauvre de paysans du nord du Japon n’aurait jamais pu devenir une grande courtisane, mais son mari l’avait tout de même prise pour femme. Elle était prête à mourir pour cet amour, car elle se sentait redevable envers lui. » écrit Ikki Kajiwara.15977169_1404063076292998_8143109005708983555_nLa jeune femme sera torturée, violée, mais elle ne parlera pas. Elle mourra quelques semaines plus tard lors d’un bombardement américain.

C’est dans ce monde hyper violent que Shôko va grandir, puis devenir une jeune femme justicière. Elle saura aussi bien manier le charme que le stylet. On pense bien sûr au manga de Kazuo Koke (scénario) et Kazuo Kamimura (dessin), Lady Snowblood (2007), qui a inspiré à Quentin Tarantino le personnage féminin de Kill Bill.

Shôko fait partie des 120 000 orphelins de guerre qui hantent les rues du Japon, elle doit voler de la nourriture pour survivre. Prise sur le fait, puis violentée à son tour – « Bats-la à mort ! Cette mioche n’arrête pas de chaparder » – elle ira « réfléchir » dans un centre de redressement, deviendra chef d’une bande d’orphelines, et sous le nom de « Shôko le Chat Sauvage », fera régner la terreur dans le quartier d’Uno.

Dès l’enfance, elle prend sa vie en main. Elle n’abdiquera jamais.  « Elle est coriace ! «  diront d’elle ceux qui tenteront de se mettre en travers de sa route. Coriace et d’une fidélité sans faille envers ceux qui lui ont tendu la main.

Shôko va aussi découvrir, à la faveur d’une rencontre fortuite, que ce père aimé s’est conduit comme un salaud et qu’il est maintenant à la tête d’un groupuscule proche de l’extrême-droite.

Recueillie par des prostituées au grand coeur alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, réduite à son tour « en esclavage » par une mère maquerelle, puis adoptée par la patronne du Banryu (une auberge de luxe), elle poursuivra sa vengeance et son irréductible quête de liberté et d’indépendance, quel que soit le prix à payer. Car c’est aussi la condition de la femme dans le Japon de l’immédiat après-guerre qui est ici dépeint.15894483_1404057642960208_4217748898490149664_nRien n’est suggéré, tout est dit dans les bulles, tout est montré via des dessins en plans fixes, et souvent au travers de planches totalement muettes, sur lesquelles le noir l’emporte la plupart du temps sur le blanc.

C’est cru, violent, extrêmement prégnant. On n’en sort pas indemne.

Anne Calmat15977047_1404690132896959_2518130961046535848_n

272 p., 15 €

Exposition Kamimura

kamimura-6-sur-6Le 44e Festival international de la bande dessinée présente une exposition exceptionnelle consacrée à Kazuo Kamimura intitulée Kazuo Kamimura : l’estampiste du manga.

www.bdangouleme.com/1056,retrospective-kazuo-kamimura

Demi-Sang – Patience (Sélection 44e Festival d’Angoulême 26-29 /01/17)

On a aimé et on en a parlé en 2016 dans Boulevard de la BD...
On a aimé et on en a parlé en 2016 dans Boulevard de la BD…

Ogres-Dieux-T2-Demi-Sang-229x300Demi-Sang de Hubert (scénario) et Bertrand Gatignol (dessin) – Ed. Soleil

Aviez-vous lu Petit ? Sorti en 2014, cette monstrueuse bande dessinée, sous-titrée Les Ogres-Dieux avait bousculé les usages du genre : un imaginaire foisonnant, un dessin et une maquette, raffinés, et un univers infiniment cruel…
Hubert et Bertrand Gatignol vous invitaient dans un monde régi par une race de géants, créatures aux dimensions impressionnantes, vivant dans un palais au-dessus des hommes… et anthropophages !

Des dieux cruels, et inquiets pour leur espèce, qui décline inexorablement. Petit est le dernier né, le fils indigne qui a une taille humaine et qui provoquera la chute de ces géants.

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Demi-Sang est la deuxième invite dans cet univers, mais cette fois à l’échelle humaine. Nous suivons Yori, fils illégitime d’un des puissants du royaume, qui par désir de revanche est prêt à tout pour réussir et atteindre le poste, convoité mais périlleux, de chambellan, intermède entre les Dieux et les hommes. Son itinéraire est une sombre comédie humaine du pouvoir, qui fait écho à la cruelle Olympe décrite dans Petit.ori_aex_12834_11-575536f650c0e-150x150

Bertrand Gatignol a construit autour du riche récit d’Hubert un univers graphique stupéfiant : des architectures grandioses et des visages monstrueux, des compositions raffinées et des séquences explosives. Son dessin précis détaille les personnages, les décors puis offre de puissantes perspectives. Un jeu de regards qui happe le lecteur et l’entraîne dans cette époustouflante mythologie.

Juliette Poullot, Les Buveurs d’Encre, Paris 19e

La version audio est à découvrir dans la rubrique « Zoom des libraires ».

176 p., 23 €

www.buveurs-dencre.com
www.buveurs-dencre.com

 

ob_3245cf_208x285x16336-jpg-pagespeed-ic-2wckklwPatience de Daniel Clowes (scénario et dessin) – Ed. Cornélius

Chronique audio (4’57) Juliette Poullot, librairie Les Buveurs d’Encre, Paris 19e (9 déc). Egalement diffusée dans l’émission Act’heure sur Fréquence Paris Plurielle 106.3

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184 p., 30,50 €

 

 

 

 

Ce qu’il faut de terre à l’homme – Coquelicots d’Irak (Sélection Angoulême 4/4)

On a aimé et on en a parlé en 2016 dans Boulevard de la BD...
On a aimé et on en a parlé en 2016 dans Boulevard de la BD…

Ce qu’il faut de terre à l’homme de Martin Veyron (scénario et dessin) et Charles Veyron (couleurs), d’après Tolstoï – Ed. Dargaud

Un paysan sibérien vit avec sa femme et son fils sur un lopin de terre  qui leur fournit le nécessaire. Il s’en satisfait, jusqu’à ce qu’une une voix venue de la ville, celle de son beau-frère, lui suggère de s’agrandir et de faire travailler les autres. Il lui prêterait la somme nécessaire pour mener à bien cette reconversion.page-14Un jour, un intendant, un militaire à la retraite, engagé par le fils de la Barynia (la baronne locale) vient s’assurer que les moujiks cessent d’aller systématiquement faire paître leur bétail sur les terres de cette dernière, de braconner, d’aller pêcher dans ses étangs et de couper les arbres de son domaine pour en faire du bois de chauffage. L’amende ou le fouet, tu choisis ! Le fautif opte la plupart du temps pour le châtiment corporel.

Puis la Barynia décide de vendre ses terres à son intendant. Révolte et assemblée générale dans le camp des paysans. Après avoir envisagé de trucider le gêneur, on s’accorde sur l’idée de proposer une somme supérieure à la sienne à la Barynia, et de créer une coopérative agricole.

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Les terres appartiennent désormais à la commune, mais peu à peu les dissensions sur la manière de les exploiter et les rivalités se font jour. Pour le héros, le désir impérieux de voir ses possessions s’étendre à perte de vue est devenu vital. Il se pourrait même qu’il lui soit fatal. «  Le pivot du mal n’est-il pas la propriété ?  » écrit Tolstoï en 1883 dans Que devons-nous faire ?

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 » Deux mètres de longueur sur un mètre cinquante de largeur et de profondeur, voilà ce qu’il faut de terre à l’homme « , ajoute-t-il trois ans plus tard dans cette fable, que Martin Veyron adapte en développant le côté prédateur du personnage principal.

Cette nouvelle illustration de la cupidité et de la perte de l’essentiel est servie ici par une grande fluidité du récit – découpé en sept parties – malgré la multiplicité des personnages, parfois hauts en couleur. De nombreuses planches muettes laissent au lecteur le loisir d’appréhender le monde rural russe de l’immédiat post-servage. Tout nous renvoie à cette atmosphère romanesque que l’on retrouve chez Tchekhov, Gogol et nombre d’écrivains russes du 19e siècle.

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144 p., 19,99 €

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3418Coquelicots d’Irak de Brigitte Findakly et Lewis Trondheim  – Ed. L’Association
Un dessin enfantin et naïf, des personnages aux visages allongés et aux jambes sans pieds qui ressemblent à des poupées, pour raconter une enfance irakienne, celle de Brigitte Findakly, née en 1959 à Bagdad.
Les dessins sont de Lewis, les couleurs de Brigitte, et ils ont écrit le scénario tous les deux. On trouvera  aussi des photos tirées de l’album familial.
À l’heure où le pays est à feu et à sang et où nous recevons jusqu’à la nausée, jusqu’à l’indifférence mortelle des images d’apocalypse venues d’Irak, Brigitte sait déjà depuis un moment qu’elle ne retournera pas  dans son pays natal. Le lecteur découvrira sa ville d’avant  le chaos, ses mœurs et son histoire que nous connaissons mal.3419Brigitte Findakly est née d’un père chrétien irakien et d’une mère française et catholique. Sa famille irakienne appartient à la bourgeoisie, son père est dentiste et travaille pour l’armée, ce qui lui procure quelques avantages car les régimes militaires se sont succédés, mais aussi à certains moments, un inconfort total et la nécessité de fuir le pays.

Il a rencontré son épouse française en faisant ses études à Paris, est revenu avec elle. La mère de Brigitte se plait beaucoup à Mossoul.

3420La première image du livre est une photo de la petite Brigitte, prise par son père devant les lions de Mossoul, dont il ne reste rien aujourd’hui. Son père n’a photographié que les pieds des statues monumentales, pouvait-il imaginer qu’un jour ces merveilles voleraient en éclat sous les coups des fanatiques ?
Tout est délicat dans ce récit dont l’écriture même adopte le point de vue d’une enfant, qui atténue la réalité ou la transforme pour conjurer les inquiétudes.
On voit ainsi défiler les dictatures militaires plus ou moins répressives.  L’enfant n’en reçoit que des  bribes, elle conte ainsi que son frère fut contraint d’ aller voir des pendus dans le cadre d’une sortie scolaire, mais tout cela est entremêlé d’un quotidien plus tranquille, les gâteaux français de la mère, les commérages, activité principale des voisins, les ennuis financiers du père, homme doux et tranquille qui soigne tout le monde, sans toujours se faire payer, mais que l’administration fiscale harcèle.3421

Brigitte va en classe, elle va suivre les enseignements de l’école coranique, puis ira chez les sœurs syriaques. Elle ne comprend rien à ce qu’on lui raconte et pour finir, n’a pas la foi…
Sa famille va quitter l’Irak en 1972. Son frère, pour échapper à la conscription, est déjà en France depuis un bon moment. Elle va découvrir le pays avec lui, la grisaille, la difficulté d’écrire le français bien qu’elle le parle couramment, le racisme et l’ étroitesse d’esprit de ses camarades… Elle fera des études de sciences éco mais finira par découvrir sa vocation pour le dessin.

Voir l’Irak autrement, penser à ces gens dont on détruit  le pays, et qui pour les plus chanceux se sont exilés de par le monde, et apprendre qu’entre le Tigre et l’Euphrate, on a vécu, bâti, aimé, connu des espoirs et des rêves, qu’on y a été enfant un jour.
Un livre doux-amer, un joli travail à quatre mains, une BD contre l’oubli et l’indifférence.
Danielle Trotzky (oct. 2016)
112 p., 19