Pourquoi y a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ?

Visuels © S. Bravi Rue de Sèvres

Scénario Dorothée Werner – Dessin, couleur Soledad Bravi – Ed. Rue de Sèvres. À partir de 12 ans.

Pourquoi y a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ?                   Grande question !

Soledad Bravi et Dorothée Werner s’y attellent en prenant le mal à sa racine, c’est à dire lors de son apparition avec les premiers humains.

Une petite introduction présente les différences physiologiques sur lesquelles le plus grand malentendu de l’histoire va se fonder : la procréation. De l’incapacité à comprendre ce processus étonnant, va, au fil des siècles s’élaborer une division du travail entre les deux sexes, avec la domination de l’un sur l’autre.

Un mauvais départ est pris lors de la préhistoire : la grossesse étant particulièrement incommode pour chasser, les femmes restent cantonnées à l’élevage des enfants, la préservation du foyer, la cueillette. Cette division des tâches va avoir un impact sur la distribution de nourriture : aux chasseurs le gras et la viande qui rendent forts, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la taille, la musculature et la robustesse.

À partir de là, l’antiquité ne fera qu’entériner la répartition des rôles en excluant les femmes du savoir, du pouvoir et en privilégiant les naissances masculines. Exception faite pour les Egyptiens, partisans d’une égalité relative, cette fonction d’assurer la descendance courra sur les siècles à venir, confirmée par la religion qui ira jusqu’à attribuer à Eve le péché originel. Deux exceptions toutefois pour les sorcières et les béguines.

Une ouverture au siècle de Lumières se refermera avec Napoléon, qui placera dans ses codes les filles sous la tutelle de leur père, puis de leurs maris. Quelques rares grandes figures féminines parviennent à émerger comme Olympe de Gouge, George Sand…

Le XXème siècle sera entre tous celui où les femmes défendront avec opiniâtreté leurs droits, libéreront leurs corps et acquerront leur autonomie.

En ce début de XXIème siècle, un bilan global montre qu’il y a encore beaucoup à faire, ici et ailleurs.

Réalisée pour les jeunes, cette fresque impressionnante, tout en humour, s’appuie sur des faits et des exemples significatifs. Elle est à la fois sérieuse et drôle. Les dessins, stylisés, colorés, « rigolos » donnent à la gravité du sujet une touche de légèreté indispensable à la prise de distance.

Nicole Cortesi-Grou

96 p., 10,50 €

Soledad Bravi est illustratrice et auteure française d’ouvrages pour la jeunesse.

Dorothée Werner, journaliste, grand reporter à Elle, auteure notamment de Au nom des nuits profondes qui traite du prix qu’ont payé les femmes pour leur émancipation.

 

Courtes distances

Sortie le 15 février 2018

de Joff Winterhart (G.B.), traduction Martin Richet – Ed. Çà et Là.

Dans son précédent album intitulé L’été des Bagnold (2013), Joff Winterhart avait su capter les tourments de l’adolescence et la difficulté que connaissent un fils et sa mère à communiquer, ou tout simplement à être sur la même longueur d’ondes.

Dans cet album, composé quatre ans plus tard, il est certes question d’un fils et de sa mère, mais c’est ici une tout autre histoire que nous conte Joff Winterhart – avec cet art consommé de la demi-teinte qui le caractérise. 

« Après trois tentatives universitaires avortées, une période infructueuse de travail en free lance… et la dépression qui s’en suivit, je prenais un nouveau-nouveau départ. » (…) J’avais quand même appris une chose : chaque tentative de gagner de l’argent, qui me tenait à coeur ou qui me plaisait, s’était soldée par un désastre. (…)

Un nouveau départ donc pour Sam, vingt-sept ans, qui à sa sortie de clinique retrouve le douillet nid maternel. Pour le meilleur. Sa mère a en effet tapé dans l’oeil d’un certain Keith Nutt, la cinquantaine bien enrobée, qui lui a proposé d’embaucher son grand dadais de fils dans sa petite entreprise spécialisée dans la distribution et le transport.

Notre première rencontre. (p.6)

Que distribue-t-elle ? Que transporte-t-elle ? Sam n’en n’aura qu’une très vague idée. Contraint d’attendre le retour de son boss une grande partie de la journée, le jeune homme ne va pas tarder à comprendre que son job consiste essentiellement à recueillir ses souvenirs de jeunesse, dont la plupart impliquent un certain Geoff Crozier.  Peu à peu, Sam se sent mieux. Il semble puiser une force nouvelle dans celle de Keith, dont il découvre progressivement les failles.

Ce que tu as sous les yeux est une arme fatale… (p.106)

De rugueuse au départ, la relation entre les deux hommes va finalement faire place à une connivence presque filiale.

Simple, profond, brillamment dialogué, l’album montre avec justesse la mélancolie d’un quotidien sans relief et les affres de la solitude.

A.C.

… Et je me dis, ce samedi soir, que nous avons peut-être plus de choses en commun que des sœurs en Australie et de l’eau de coco. (p. 89)

128 p., 24 €

 

Cintré(e)

Sortie le 8 février

de Jean-Luc Loyer (scénario et dessin) – Editions Futuropolis 

La dédicace est sombre : une jeune nièce, un suicide, un enterrement, une vie bouleversée… La curiosité s’aiguise à rechercher quel « bien » a pu se dissimuler dans ce grand « mal ».

La trame de cette histoire, l’anti-héros la livre lui-même : « J’aime une nana qui se fout de ma gueule et dont je ne peux pas me passer, je dessine des histoires dont les gamins n’ont rien à secouer et j’ai l’idée saugrenue que je pourrais aider une pauvre siphonnée qui se laisse mourir de faim à cause de son père. »Le narrateur, c’est un bon gros, sans éclat, dessinateur de bds qui ne marchent pas, en mal d’amour, de succès et d’amitiés sincères. Mal dans son corps, sa peau et sa vie, c’est tout juste s’il parvient à payer son loyer et à assurer des croquettes à son chat. 

Alors qu’il enchaîne galères sur galères, voyant chacune de ses velléités de réussite réduite à néant, une convocation de Pôle emploi lui dégage un créneau inespéré : un poste de chef illustrateur dans un département de communication, bien rémunéré, avec pour mission annexe la formation de la fille du directeur. Une aubaine ? Pas sûr.

Cette rencontre improbable avec Eléonore, schizophrène et anorexique, ayant dépassé toutes les limites de la bienséance, de la tenue, du langage, qui boit, fume et vole occasionnellement, suscite une prise de conscience : qu’est-ce que la folie, qu’est-ce que la normalité ? Et une plongée dans les souvenirs de l’enfance. Qu’opposer à ces excès sinon les accepter en partageant avec bonhomie ses repas, ses promenades, parfois son canapé et même son chat. La rencontre de ces deux malheurs crée une base suffisamment solide pour soutenir une reconstruction.

Il faudra oser toucher le fond pour qu’une l’étincelle vitale redonne à la créativité son pouvoir structurant et ravaude des liens jusqu’alors en charpie.

Le style narratif pourrait être celui d’une longue confidence. Le dessin précis va dans le détail. L’ensemble est gris, blanc, noir, aux couleurs des personnages, de leur histoire, du climat.

Jean-Luc Loyer avait puisé dans ses souvenirs du Nord de la France pour écrire les Mangeurs de cailloux et La boîte à 1 franc. Dans Cintrée, il se représente à nouveau et nous livre une parcelle bouleversante de son histoire.

Nicole Cortesi-Grou

136 p., 20 €

Les petites victoires

« Quand j’ai su qu’Olivier était autiste, j’ai été d’abord terrifié pour son avenir. Puis je me suis souvenu qu’un enfant très doué peut tout rater si ses parents ne lui donnent pas confiance dans la vie. » (p. 57)

Mention spéciale du jury œcuménique d’Angoulême pour «Les petites victoires», prix remis pour les qualités de valeurs humaines de la BD.

Scénario et dessin Yvon Roy – Ed. Rue de Sévres, mai 2017 – Postface Régis Loisel

Dans la vie d’un couple, la confirmation du handicap de leur enfant résonne souvent comme un cataclysme. Chloé et Marc se sont aperçus que quelque chose n’allait pas pas chez Olivier, ils sont allés consulter dans un centre d’évaluation et le diagnostique est tombé : autisme. Passé le choc face à ce qui est devenu pour eux un principe de réalité, Marc se ressaisit : il se consacrera désormais à Olivier, afin de lui permettre d’affronter l’existence dans les meilleures conditions, en lui apprenant à équilibrer les moments de plaisir et de déplaisir, à maîtriser ses mouvements de colère, et en l’amenant peu à peu à tolérer un contact physique avec l’autre. 

En dépit des consignes données par les spécialistes du handicap, Marc, désormais séparé mais uni avec Chloé dans l’épreuve, va, au gré de ses intuitions, poursuivre le combat contre ce qu’il refuse de considérer comme une fatalité. De petites victoires en petites victoires, remportées au quotidien mais sans cesse à consolider, il parvient à instaurer un dialogue – tout d’abord minimal et fragile – avec Olivier. Une conversation rarement interrompue, destinée à le convaincre que le monde et ce qui le compose ne doit pas être perçu comme terrifiant. Marc sait aussi qu’il va devoir faire preuve de beaucoup de créativité pour qu’Olivier parvienne à maîtriser ses accès de panique face, par exemple, à une poussière qui tournoie dans l’eau de son bain ou lorsqu’un bruit intempestif lui vrille les tympans. 

Superbe, tendre, émouvant de simplicité et d’authenticité, comme le sont les trois albums cités ci-dessous*. 

Anne Calmat

Mention spéciale du jury œcuménique d’Angoulême pour «Les petites victoires», prix remis pour les qualités de valeurs humaines. 

Yvon Roy est un auteur et illustrateur canadien. Il a réalisé, en collaboration avec Jean-Blaise Djian, l’adaptation en bande dessinée du roman phare d’Yves Thériault, Agaguk, ainsi que plusieurs contes pour enfants. Il vit au Québec, près de Montréal. Son fils a maintenant douze ans.

À découvrir également…

  • Ce n’est pas toi que j’attendais (Ed. Delcourt, oct. 2014)
  • La Différence invisible (Ed. Delcourt, août 2016)
  • Arthur et la vie de château (Des Ronds dans l’O éditions, nov. 2016)