Pour s’être laissé embarquer par son groupe de copains dans une séance de spiritisme, alors qu’il aurait préféré partager un moment très intime avec Marina, la femme de l’un entre eux, Pascal, la trentaine, un peu cabotin et peu attentif à son entourage, va se retrouver dans de beaux draps.
Plantons le décor. Une planche de ouija vient d’être placée au centre de la table, les participants forment une chaîne, la bulle commence son parcours, elle s’arrête sur plusieurs lettres, jusqu’à former un mot : JOG SHIGGRITT. L’entité est là, il ne reste plus qu’à lui poser des questions. Pascal se sent en danger lorsque quelqu’un aborde sa vie sentimentale. Avec qui a-t-il couché pour la dernière fois ? Il botte en touche et s’empresse de rompre la chaîne, condamnant ainsi le Yog à demeurer ad vitae aeternam dans le monde des vivants.
Les choses en restent là. Du moins en apparence, personne n’ayant imaginé que l’esprit convoqué n’ait pas apprécié qu’on lui coupe la parole et qu’on porte atteinte à sa liberté de mouvement.
De retour chez lui, Pascal reçoit en pleine nuit la visite de son frère, mort un an auparavant dans un accident de voiture. Adrien est sacrément amoché : sanguinolent, édenté, manchot. « Il ne faut jamais jouer avec l’au-delà, petit frère », dit-il.
Trop tard. Les conséquences de ce manquement aux règles élémentaires du respect dû à autrui vont être ravageuses pour celui qui, quelques heures auparavant, se conduisait comme un gamin provocateur et capricieux. Pascal va dès lors être en proie à de sérieux troubles du comportement : phobie, anthropophagie, nécrophilie e tutti quanti.
S’agit-il de représailles pures et simples ou bien est-ce le dernier acte d’une pièce dans laquelle le personnage principal est condamné à naviguer entre le tangible et l’intangible, dans cette zone qu’on appelle les limbes ? « Acta est fabula » ? À moins que l’humour féroce qui plane sur la bande dessinée (Dédo est un ex du Jamel Comedy Club) n’entraine ses lecteurs vers d’autres horizons…
Dans L’été des Bagnold (2013), Joff Winterhart avait su capter les tourments de l’adolescence et la difficulté que connaissent un fils et sa mère à communiquer, ou tout simplement à être sur la même longueur d’ondes.
Dans cet album, composé quatre ans plus tard, il est certes question d’un fils et de sa mère, mais c’est ici une tout autre histoire que nous conte Joff Winterhart – avec cet art consommé de la demi-teinte qui le caractérise.
« Après trois tentatives universitaires avortées, une période infructueuse de travail en free lance… et la dépression qui s’en suivit, je prenais un nouveau-nouveau départ. (…) J’avais quand même appris une chose : chaque tentative de gagner de l’argent, qui me tenait à coeur ou qui me plaisait, s’était soldée par un désastre. (…) »
Un nouveau départ donc pour Sam, vingt-sept ans, qui à sa sortie de clinique retrouve le douillet nid maternel. Pour le meilleur. Sa mère a en effet tapé dans l’oeil d’un certain Keith Nutt, la cinquantaine bien enrobée, qui lui a proposé d’embaucher son grand dadais de fils dans sa petite entreprise spécialisée dans la distribution et le transport.
Notre première rencontre. (p.6)
Que distribue-t-elle ? Que transporte-t-elle ? Sam n’en n’aura qu’une très vague idée. Contraint d’attendre le retour de son boss une grande partie de la journée, le jeune homme ne va pas tarder à comprendre que son job consiste essentiellement à recueillir ses souvenirs de jeunesse, dont la plupart impliquent un certain Geoff Crozier. Peu à peu, Sam se sent mieux. Il semble puiser une force nouvelle dans celle de Keith, dont il découvre progressivement les failles.
Ce que tu as sous les yeux est une arme fatale… (p.106)
De rugueuse au départ, la relation entre les deux hommes va finalement faire place à une connivence presque filiale.
Simple, profond, brillamment dialogué, l’album montre avec justesse la mélancolie d’un quotidien sans relief et les affres de la solitude.
Anne Calmat
… Et je me dis, ce samedi soir, que nous avons peut-être plus de choses en commun que des sœurs en Australie et de l’eau de coco. (p. 89)
128 p., 24 €
Depuis le 21 septembre 2018. Sélection Angoûlème 2019
de Catherine Meurisse (texte et dessin) – Ed. Dargaud
Paris, ciel gris, bas et pollué. Dans un appartement donnant sur les toits, une jeune femme trace sur un mur le dessin d’une porte, formulant le vœu que celle-ci ouvre sur les champs et les près. Et… comme dans un conte de Marcel Aymé, la porte s’ouvre, révélant un champ de tournesols.
Ce récit est celui d’une évasion dans la mémoire retrouvée et de la célébration d’une guérison.
Mû par une intuition, un couple décide d’aller vivre à la campagne pour donner une chance à leurs deux filles : l’auteure et sa sœur.
Le père, habité par la fibre constructive, restaure une vieille ferme en ruines pendant que la mère saisie d’une fièvre horticole sème à longueur de journée des graines dans les champs alentours et dans le cœur des enfants, en leur récitant poèmes et citations.
Les filles transformées en exploratrices conservent leurs étranges trouvailles dans un musée, créé dans le souci culturel d’imiter Pierre Loti, mais aussi d’arrondir leur argent de poche en le donnant à visiter aux parents et voisins.
Ce sont les animaux qui leur font découvrir les expériences de la mort, de la fécondation et du don de la vie. L’apprentissage de la littérature se fait à travers fleurs et fruits : les lettres grecques par les roses du Centifolia au parfum entêtant, Proust par la grande sauge des prés, qui, lui semblait-il, avait toujours quelque chose à lui dire, Montaigne par la beauté de ses roses éponymes et Rabelais par la saveur des figues.
Le plus beau présent fut sans doute le don d’un jardinet découpé façon Le Nôtre, dans lequel les enfants, outre scruter la pousse de leurs plantations, purent s’imaginer dans le parc de Versailles, un nain de jardin figurant avantageusement sa statuaire.
Tout paradis n’est cependant pas exempt d’incursions infernales : l’infecte odeur du sang de l’abattoir déversé sur les champs de maïs, un président de conseil régional dont l’ambition est de doter la région d’un parc d’attraction, la monoculture, les lotissements qui poussent comme du chiendent.
Un intermède : une longue visite au Louvre. Rien de bien particulier à découvrir, on y trouve des murs épais, comme à la maison, des poteries, comme dans le jardin et des statues, comme dans le « musée de Pierre Loti ». Mais ce qu’on y découvre, ce sont d’extraordinaires peintures de Corot, Watteau, Poussin, Fragonard qui célèbrent la nature et lui restituent son génie.
Dès son retour, Catherine ne lâche plus le pinceau, les fleurs, les arbres, les ruines, tant et si bien qu’elle est pressentie pour dessiner l’affiche du prochain festival du Cabicou, présidé par Ségolène Royal !
Las, sa chèvre allongée dans un hamac ne fait pas l’unanimité. Dépitée, elle caricature avec frénésie les festivaliers, ce qui lui assure dans le village un rapide et vif succès. Mystère de la naissance d’une vocation…
Avec de larges planches colorées, Catherine Meurisse nous restitue sa vénération pour la nature. Ses petits personnages, avec leurs mines et leurs gestes expressifs, conservent leur fragilité. Mais surtout, il est impossible de lire cet album sans avoir en tête le précédent, La légèreté*, qui suivait sa lente et douloureuse reconstruction après la tuerie de Charlie Hebdo. Ce retour à l’enfance et surtout à la source créatrice nous montre l’achèvement du processus de guérison. La munificence des couleurs est là pour le confirmer.
Rien n’est jamais acquis. Celle qu’on encensait hier est aujourd’hui dédaignée. Aux « Sublime ! Révolutionnaire ! » des premières années, ont succédé « Touchant de naïveté ».
Jeanne Falencia, alias Fafa, ex-papesse de la Haute Couture vient de l’apprendre à ses dépens. Du balai Fafa, place à une nouvelle équipe. Vanganesh Berlingo, un jeune designer de choc d’origine inuit vient d’être embauché. Il va, selon les mots de Jipé Foucard, le tout récent PDG du groupe « Fafa de Paris », passé sous pavillon russe, déploucardiser cette maison poussiéreuse. Et de préciser au personnel, « C’est un type formidable ! ».
Nous découvrons le type formidable en question sur la planche suivante – on pense irrésistiblement au grand couturier japonais Kenzo Takata. Berlingo a tout pour déplaire : hautain, colérique, tout à fait le genre à trépigner s’il ne retrouve pas sa peluche porte-bonheur ou n’obtient pas sur le champ ce qu’il a demandé.
Berlingo a aussi la folie des grandeurs. N’a-t-il pas décidé d’importer de Laponie trente mille pingouins et un iceberg géant pour servir de décor au prochain défilé de sa collection… qui aura lieu dans un hangar de la banlieue parisienne. Le comble de l’originalité !
(détail)
C’est risqué, mais si Anna (Wintour) aime, c’est gagné…
Son verdict vient de tomber : « Ugly, bizarre ». La cote de « Fafa de Paris » est en chute libre. Soumis au bon vouloir d’un oligarque russe et aux caprices de son épouse, Berlingo a du souci à se faire. A-t-il une chance de retrouver les faveurs d’Anatoli Menkov ou bien va-t-il se faire virer pour extravagance coupable et inappropriée ?
On l’aura compris, l’humour est le maître-mot de cette bd aussi impertinente que pertinente. Les dessins acidulés de Stella Lory servent à merveille l’apparente légèreté du propos de Camille Monge, dont c’est le premier album. Les personnages qui gravitent autour de celui qui a endossé des responsabilités auxquelles il n’était peut-être pas préparé (son retour au bercail parental en dit long sur lui) symbolisent le monde de la mode, avec ses outrances et sa vulnérabilité face à des actionnaires cyniques et versatiles. Car derrière l’agitation et la superficialité, se cache une ruche industrieuse au service de la création qui, face à l’échec d’une collection, redoute de subir le sort que l’on réserve à ceux qui ont cessé de plaire…
En librairie depuis le 9 janvier. 2019 – Communiqué
En novembre 2017, Marco Rizzo, journaliste et scénariste, et son compagnon de plume, Lelio Bonaccorso, dessinateur et auteur de BD, faisaient un reportage à bord du navire, affrété par l’ONG SOS Méditerranée pour sauver des migrants en mer…
Ils donnent ici la parole à l’équipage de L’Aquarius et en particulier au chef mécanicien, Antony, que tous appellent « Papa Panda ». Sur le bateau,on affronte une misère humaine incommensurable, avec des gens qui nous racontent des tortures, des viols… On est hanté par des images de femmes, d’enfants qui flottent sans vie à la surface de la Méditerranée et que nous avons repêchés. Des témoignages poignants de migrants émaillent le récit, témoignages qui prouvent, hélas, que s’ils savaient pourquoi ils fuyaient leur pays, la violence, la guerre et la misère, ils ne savaient rien de ce qui les attendait une fois à bord d’un bateau de passeur. On y trouve aussi des pages documentaires qui aident à comprendre la complexité et la dangerosité des missions de sauvetage.
Quel a été l’élément déclencheur qui vous a donné l’envie de faire un reportage sur l’Aquarius ?
MR – Depuis plusieurs années en Italie, on parle de migrants et de secours en mer, bien souvent à travers la propagande ou les fake news. Je voulais faire ce que chaque journaliste devrait faire : voir avec mes propres yeux les fonctionnements d’un bateau comme l’Aquarius. En même temps, je voulais recueillir les histoires des migrants, mais aussi des secouristes pendant une période cruciale pendant laquelle deux mondes se croisent pour la première fois.
LB – La première raison qui m’a poussé à partir a été le besoin de voir de mes propres yeux ce qui se passe réellement dans le canal de Sicile, et de pouvoir le raconter à tous.
Quelles
ont été vos principales difficultés ?
MR – D’abord une très vive émotion. C’est très compliqué d’avoir les idées claires quand il faut raconter la douleur des autres. Une autre difficulté concerne le grand nombre d’histoires recueillies. Même si beaucoup d’entre-elles malheureusement se ressemblent, en faire une sélection s’est révélé presque impossible. Face à cela, nous avons eu recours aux méthodes journalistiques, et surtout aux règles éthiques du journalisme, tout en faisant en même temps preuve d’empathie.
LB – Pas forcément des difficultés. En revanche, ça a été très prenant, aussi bien techniquement qu’humainement.
Vous êtes italiens. Quel a été l’accueil de l’ouvrage dans votre pays, sachant que le gouvernement actuel est pour le moins très critique envers l’Aquarius ?
MR –Le livre a été réalisé sous l’ancien gouvernement, qui probablement en essayant d’augmenter sa popularité avait déjà commencé à pointer du doigt les opérations des ONG. Cependant à cette époque, les autorités italiennes, comme le garde-côte, arrivaient encore à collaborer avec les ONG, dont elles coordonnaient les opérations. À partir du mois de mai, la situation s’est aggravée. D’une part parce que pour les ONG, il est désormais impossible d’agir, d’autre part parce que même le garde-côte italien en est empêché. Les ONG sont devenues des victimes de la propagande et de la mauvaise information. C’est pour cette raison que beaucoup d’Italiens ont peut-être eu un préjugé négatif sur notre livre, qui ne fait que raconter des événements que certains préfèrent faire semblant ne pas remarquer. Mais beaucoup d’autres, au contraire, ont accueilli cet ouvrage avec curiosité et intérêt, pour en savoir davantage et mieux connaître les faits et les histoires. Mise à part certains articles critiques (publiés avant l’édition du livre!) et l’habituel bruit des haters et trolls (des contenus haineux) sur les réseaux sociaux, notre livre a capté l’intérêt d’une Italie curieuse et solidaire qui ne cesse d’exister.
LB – Dans ce livre, nous racontons des faits réels qui peuvent être vérifiés, on n’entame pas une polémique avec le gouvernement. Nous avons rapporté les témoignages, les données et les éléments qui peuvent difficilement être démentis. C’est vrai aussi que nous avons subi des critiques et des insultes de la part de personnes qui n’ont même pas lu le livre ! Mais on s’y attendait. Nous avons également reçu énormément de compliments et d’éloges pour notre travail, et c’est extrêmement important pour nous, car ça signifie que nous avons fait du bon boulot.
Je
suis un honnête homme, Anne de Breuil, j’aurais pu vous prendre de
force, mais je vous ai épousée (…) J’ai fait de vous la première
dame de ma province. Alors quand je vous demande de m’accompagner à
la chasse, vous ne discutez pas, vous m’obéissez.
p. 15
Celui qui s’exprime ainsi est le comte Olivier de la Fère, futur mousquetaire du roi Louis XIII, plus connu sous le nom d’Athos. Celle à qui s’adresse cette injonction obtempère, mais elle n’en pense pas moins. Car derrière la blondeur et le visage angélique se cache déjà une femme révoltée. N’a-t-elle pas été marquée au fer rouge d’une fleur de lys pour s’être enfuie du couvent à l’âge de treize ans avec un prêtre défroqué ? Elle suit donc son seigneur et maître à la chasse. Dès lors tout va très vite : Anne fait une chute de cheval, le comte l’aide à se relever, il découvre la marque de l’infamie sur son épaule et décide sur le champ de laver son honneur…
p. 17p. 23
Tout est dit. Laissée pour morte, exclue de la société et animée par un inextinguible désir de revanche, la future Milady, autour de qui l’action va se nouer puis se dénouer avec une indéniable puissance dramatique, va poursuivre son objectif sans se soucier des dommages collatéraux.
Les auteurs revisitent ici le roman que Dumas père et Auguste Maquet firent paraître en 1844, en ne se concentrant que sur les scènes où le personnage totalement imaginaire de Milady apparaît. Les faits qui se déroulent sont décrits de son point de vue.
Selon Sylvain Venayre, Milady pourrait bien être la véritable héroïne des Trois Mousquetaires. Un message que Dumas aurait dissimulé dans son roman inspiré des Mémoires de M. d’Artagnan, de Courtiz de Sandras (1700), semble légitimer ce choix. Venayre écrit en effet dans la postface de l’album : À l’issue d’un siècle d’accentuation de la domination de l’homme sur la femme, alors que l’histoire des luttes féministes balbutiait (…) Dumas écrivait un livre revendiquant pour les femmes une place égale à celle des hommes. La société du temps étant ce qu’elle était – et Dumas lui-même ne renonçant pas à s’y faire une place enviable, il dissimula son message, tout en laissant des signes clairs à l’intention de ses lecteurs. Message que reprendra en 1872 Alexandre Dumas fils dans sa brochure intitulée L’Homme-femme.
p. 78
Dix ans plus tard, devenue Comtesse de Winter par son seconde mariage, puis rapidement veuve, Milady se met au service de celui qui veut la perte de la reine de France, en l’obligeant à dévoiler au roi sa liaison avec le duc de Buckingham : le Cardinal de Richelieu. L’histoire bien connue des ferrets de diamants qu’elle lui a imprudemment offerts inaugure la collaboration entre la belle intrigante et le ministre de Louis XIII. Milady va alors trouver sur son chemin ceux qui ont pris fait et cause pour la reine : Porthos, Aramis, d’Artagnan… et une vieille connaissance, Athos.
Cardinalistes contre royalistes, petite et grande Histoire des relations entre la France et l’Angleterre vont se mêler et mettre aux prises Milady avec Buckingham, d’Artagnan et lord de Winter.
Dans cette version graphique illustrée par Frédéric Bihel dans le plus pure style du grand Gustave Doré, le roman prend une tout autre coloration. Au relatif manque d’épaisseur psychologique des Mousquetaires, s’oppose l’irréductibilité d’une femme qui se bat avec les armes dont elle dispose pour se venger de la flétrissure infligée à son corps et des multiples outrages qu’elle a subis : le charme et un art consommé de la manipulation et du simulacre.
Je ne suis ni un ange ni un démon, mais une fille de la terre (…),dira-t-elle à celui qui, tombé en dévotion pour elle, a décidé de la sauver de la déportation et de la venger de ceux qui, selon lui, l’ont, par leur brutalité, amenée à être ce qu’elle est devenue.
Les lecteurs avertis savent que cette scène a lieu à la fin du quarante-troisième chapitre du roman, et qu’il en reste neuf, plus un épilogue…
Lorsqu’il n’était encore qu’un enfant, Bruno rêvait d’avoir une mobylette. Pour cela, il s’était improvisé ramasseur de cadavres de rats, qu’il fallait à tout prix dissimuler aux regards des touristes. « Achève-les avant de les benner » lui avait dit Ennio, l’homme à tout faire du port de plaisance de cette petite ville du nord de l’Italie. Nous verrons plus loin que, sur le plan humain, Ennio valait encore moins que les nuisibles qu’il traquait.
p. 107
p. 19
Bruno a maintenant une quarantaine d’années, il vit dans une baraque sur pilotis, à proximité d’une étendue d’eau soumise aux caprices d’une crue possible du Pô. Il est gardien de péage. C’est presque un invisible. Il se protège. Mais parfois les souvenirs attaquent par surprise. Celui qu’il est devenu ne pourra s’empêcher de faire de nombreux allers-retours dans ce passé qu’il préfèrerait oublier.
p. 25
Il rend souvent visite à la vieille Maria qui, sur la demande expresse de sa fille, doit bientôt quitter sa maison : trop de cambriolages, trop d’immigrés pour squatter les fermes abandonnées aux alentours, trop de vols de bateaux sur le port. Le souvenir de Renato, l’époux de Maria, reste très prégnant chez celui qui, hormis cette parenthèse enchantée, semble n’avoir jamais trouvé sa place dans la société.
p. 33
Il y a aussi Anton, l’un de ces nombreux sans-papiers à la recherche du petit boulot qui leur permettra, peut-être, d’atteindre un jour le pays de leurs rêves. Il vient justement d’être embauché sur un chantier de construction. Horaires infernaux, salaire de misère. « Si tu te blesses, tu la fermes » a prévenu le contremaître. Anton tombe d’un échafaudage, mettant ainsi en péril l’économie souterraine du chantier. Il ne tarde pas à comprendre le sort qui lui est réservé et s’enfuit en emportant la caisse. Le hasard veut qu’il se réfugie dans la bicoque qu’occupe Bruno jusqu’au départ de Maria, qui en est la propriétaire…
p. 96
Piero Macola signe une fois encore un récit intimiste qui parle des malaises de la société. L’un de ses précédents albums, Le Tirailleur (Futuropolis 2014), mettait l’accent sur l’injustice d’une vieillesse miséreuse et sur les tracasseries administratives infligées aux ex-tirailleurs étrangers, enrôlés de force pour défendre la France durant de la Seconde guerre mondiale. Celui-ci nous rappelle, entre autres choses, que vivre à la marge ne fait pas des individus des nuisibles. L’histoire de sonne juste, ses illustrations au pastel sont délicates. De nombreuses planches sans bulles, mais explicites, ajoutent encore à la profondeur du scénario.
Sortie le 19 janvier 2019 – Visuels copyright A. Colazo/çà et là
Titre original : Encuentros Cercanos Texte et dessins Anabel Colazo – Traduit de l’espagnol par Hélène Dauniol-Remaud – Ed. çà et là
p. 14 et 15
A la fin des années 60, un certain David Vincent les avait avait vus se poser dans un champ, alors qu’il cherchait un raccourci qu’il ne trouva jamais.* Dix ans plus tard, ce fut au tour de Roy Neary d’apercevoir un vaisseau spatial au-dessus de sa camionnette…**
Dans « la vraie vie« , tout avait commencé avec Kenneth Arnold, un homme d’affaires américain voyageant à bord de son avion personnel. Le pilote avait aperçu neuf objets en forme de soucoupes inversées, volant à vie allure. On était en 1947, la vague d’observations d’ovnis et de rencontres avec les extraterrestres ne faisait que commencer. Elle allait se poursuivre jusque dans les années 2000, bien que l’hypothèse extraterrestre ait fini par perdre de sa force. Certains témoignages ont cependant traversé le temps, comme celui de Betty et Barney Hill. Il marqua profondément la culture populaire américaine et favorisa, en pleine période de Guerre froide, la théorie du complot. L’irruption de flying objects dans la vie des Américains, puis à peu près partout dans le monde, sera dès lors prise au sérieux par les États. Des commissions vont être créées, de grands pontes de l’astrophysique, comme Josef Allen Hynek (USA), vont associer leur nom à l’étude de ces apparitions intempestives, parfois corroborées par des enregistrements provenant de radars militaires ou des photographies, sans qu’au final aucune certitude ne se dégage, quant à leur origine. Et ce malgré un nombre respectable de cas, qualifiés de totalement inexplicables.
J. H. Hynek – Classement par types des rencontres extraterrestres. Type n°1 : observations dans le ciel avec lumières inhabituelles. (p.63)
Anabel Colazo ne les pas vus, mais voici ce que sa BD raconte :
p. 14
Suite à un étrange accident de voiture, alors qu’il se rendait en vacances chez ses parents, Daniel se retrouve coincé pendant trois jours dans le village d’El Cruce. Ebranlé par ce qu’il croit avoir aperçu, avant que son véhicule ne pile et refuse de redémarrer, il prête une oreille attentive aux histoires qui circulent dans la ville à propos de faits survenus récemment (graffitis ésotériques sur les murs d’une école, hommes en noir qui semblent épier les habitants…).
p. 11
C’est alors qu’il rencontre Marina et son frère Juan, obnubilé par les phénomènes inexpliqués. Des hommes l’auraient du reste contacté et mis en garde contre Daniel, avant même que ce dernier n’arrive à El Cruche. Ils sont à la clé d’un truc extraordinaire que nous ne pouvons pas comprendre, a déclaré Juan en guise de conclusion.
Il se trouve que El Cruche est connu de tout amateur de phénomènes paranormaux. Le bois à l’orée de la ville est d’ailleurs réputé pour être un poste d’observation d’ovnis.
« J’ai su que j’avais fait une erreur. » Daniel, p. 62
Tous trois n’auront pas la même perception de ce qui va advenir : rationalisation de la part de Daniel, rédaction d’un livre à succès intitulé Proches rencontres pour Marina,dans lequel elle décrit leur rencontre avec des extraterrestres et ce qui s’en est suivi. Quant à Juan, il décide de vivre à l’écart de tous, dans un camping-car ayant autrefois appartenu à un certain Barry l’Etranger, qui semblait être très au fait de la question.
Vingt ans plus tard, Daniel est interviewé par Clara, une étudiante en journalisme passionnée d’ufologie. Il veut en finir une fois pour toutes avec ce « théâtre absurde », qu’il garde malgré tout en mémoire. Elle décide alors de se rendre sur place, afin de rencontrer Juan, Marina ayant payé le prix fort pour tout ce qui arrivé.
Une chose s’est produite, que les trois protagonistes ont vécue différemment . Mais était-elle pour autant d’origine extraterrestre ? La vérité est peut-être dans un ailleurs de l’entendement de tout un chacun.
Le propos de l’auteur est en effet de réfléchir sur ce que sous-tend ce type d’événement. Si son dessin vaporeux, presque simpliste, évoque celui d’un album destiné aux enfants, son histoire incite à une réflexion d’ordre philosophique. Peut-on opposer mensonge à vérité dès lors que l’on se trouve face à l’inexplicable ? Ce serait oublier que nous ne savons que très peu de choses au regard de tout que nous ignorons. Dans ce cas, toute tentative d’explication ne devient-elle pas inutile ?
Copyright V. de Castelbajac /Delcourt 96 p., 14,50
Que ce soit dans le cadre d’une thérapie individuelle, de groupe, familiale ou de couple, la plupart des personnages imaginés par Vaïnu de Castelbajac (texte et dessins) se retrouvent sur le canapé de ce psychiatre qui, ici, porte le nom du Test projectif aux tâches d’encre mis au point il y a une centaine d’années par le psychanalyste Hermann Rorschach.
Test de Rorschach
Lunettes vissées sur un pif en forme de patate, barbe fournie (comme il se doit), habillé à la va-comme-je-te-pousse (idem), le praticien écoute ceux qui sont venus à lui pour exprimer leurs doutes, leurs angoisses, leurs attentes. Il prend des notes, parfois il commente. « Pourquoi avoir tenté de mettre fin à vos jours en vous auto-avalant ? » demande-t-il, par exemple, à une gomme à la mine défaite. L’auteure parvient à détourner les termes de la psychiatrie pour les adapter aux drôles de zèbres venus consulter le bon docteur Rorschach.Point de zèbre en l’occurence, mais un chien heureux d’être enfin autorisé à monter sur un canapé ; une licorne qui souffre de l’impression de ne pas exister ; un père Noël en pleine crise existentielle ; un puzzle qui craint de ne jamais se reconstruire ; une cigarette qui ne se trouve pas assez bien roulée, etc.Côté thérapies de groupe, familiales ou de couples, le psy voit, entre autres patients, défiler Eve et Blanche-Neige qui évoquent leurs troubles alimentaires compulsifs ; deux oeufs au plat qui craignent de finir par se brouiller ; un kangourou adulte qui refuse de sortir de la poche marsupiale de sa mère ; un clou que son marteau d’époux cherche toujours à enfoncer ; deux postes de radio qui ne se sentent plus sur la même longueur d’onde… Ou encore, dans le registre « relations amoureuses destructrices », un crayon à papier et un taille-crayon ; une carotte et une râpe à carottes ; une bougie et un briquet… Au total, quatre-vingt-seize planches métaphoriques, souvent proches du dessin de presse, qui visent juste à tous les coups. Jubilatoire en diable !