TER – Rodolphe & Dubois – Ed. Daniel Maghen (1 à 3/3)

On l’attendait avec impatience, le tome 3 de TER, sous-titré L’imposteur, arrive. Et avec lui, les réponses aux questions que s’est posées le lecteur dés la première vignette de cette série qui oscille entre fantasy et science-fiction. Coup d’œil dans le rétro…

T. 1

T.1 –L’étranger (avril 2017)

Pip, un pilleur de tombes,  découvre un homme au fond d’une sépulture. Il est nu, ne parle pas, et surtout, ne se souvient de rien. Seul indice, un tatouage à l’épaule droite sur lequel on peut lire  » MANDOR ».

Où sommes-nous ? Le lecteur n’aura un début de réponse qu’à la fin du premier tome.

Mandor est maintenant installé au Bas-Courtil, une cité mi-futuriste mi-médiévale régentée par deux collèges religieux et encadrée par un corps de garde composé de vingt-huit guerrières. 

Il est doué, il apprend vite à reparler et à écrire, mais surtout, il surprend son entourage par son extraordinaire aptitude à réparer tout ce qui a cessé de fonctionner. De là à voir en lui un magicien, voire un génie, il n’y a qu’un pas.

Plus qu’un génie, il est même possible que l’inconnu aux mains d’or soit le prophète qu’annonce le Livre des Psaumes. « Alors sortira un homme des entrailles de TER, qui montrera à tous le chemin à accomplir. Il n’aura ni biens, ni vêtements, et son seul langage sera celui du silence. » 

Les gardiens officiels des Écritures voient d’un très mauvais œil l’arrivée de celui qui pourrait un jour remettre en cause leur autorité. Ils vont s’employer à ce que cela ne soit pas…

T. 2 – Le guide (oct. 2017)

T. 2

Dans une société toujours prompte à rendre l’étranger responsable de ses maux, l’occasion va bientôt leur en être donnée : un séisme dévaste une partie du Bas-Courtil, alors que Mandor s’était aventuré hors de ses murs. Il est aussitôt arrêté et traduit en justice pour « hérésie et agissements graves à l’encontre de la cité« . 

Quel est ce lieu ? Pip n’a-t-il pas trouvé le jeune homme au fond d’une sépulture ? Cela voudrait peut-être dire qu’il vient d’un monde souterrain. Reste dans ce cas à en dénicher l’accès… 

p. 25
p. 26

T. 3 – L’imposteur (février 2019)

Mandor poursuit ce qu’il pense être sa mission, avec ses aléas et les dangers qui guettent ses compagnons, talonnés par un groupe d’extrémistes avides de pouvoir : les bien nommés Intégraux.

Toujours à la recherche de son identité, il en vient à douter de tout : Qui suis-je ? Qui suis-je pour avoir parfois ces visons étranges ? Servir de guide à tous ces pauvres gens… et ensuite ne plus rien voir du tout, les emmener et les abandonner ici, dans la pénombre du ventre de la terre ?

Yss – Supplément T. 1

On n’en dira pas plus (et aucune planche, dont la beauté graphique n’est plus à démonter, ne viendra lever le voile sur ce qui va advenir), si ce n’est qu’après avoir livré ses secrets, ce troisième opus est, comme les précédents, pourvu d’un superbe supplément graphique d’une quinzaine de pages, sorte de prolongement de cette odyssée singulière aux tonalités métaphysiques.

Supplément T. 2

Les planches en couleur directe des T. 1, 2 & 3 signées Christophe Dubois seront présentées à la Galerie Daniel Maghen* du 19 mars au 6 avril 2019.

  • 36, rue du Louvre, Paris 1er

Et, cerise sur le gâteau, mais cette fois il faudra attendre pour le déguster, un deuxième cycle de TER, retraçant la suite des aventures de Mandor, paraîtra en 2020.

Mandor – Supplément T. 3

Anne Calmat

56 p. couleur + supplément, 16 €  – Visuels © Rodolphe & Dubois/D. Maghen


Les jours qui restent – E. Dérian – M. Foutrier – Ed. Delcourt

Sortie le 13 février 2019 – Visuels © M. Foutrier/Ed. Delcourt

Dans cette BD imaginée par Éric Dérian (scénario) et Magalie Foutrier (dessin), deux femmes et un homme vont se croiser dans un hôpital parisien : trois personnalités différentes, trois situations personnelles et professionnelles différentes, trois âges différents, avec en commun, une image d’eux-même profondément dégradée, ce qui les entraîne dans un perpétuel renoncement.

Il y a d’abord Daniel et Charlotte. Il a un rendez-vous avec le docteur Lebon pour une consultation de routine, elle vient d’en ressortir bouleversée.

(détail planche)

Daniel a longtemps attendu son tour, puis il est reparti au moment où on l’appelait. C’est Catherine qui a pris sa place. La jeune femme traverse une période douloureuse, elle souffre de surcroît d’un vide sentimental abyssal, dû, pense-t-elle, à son physique ingrat.

Charlotte est rentrée chez elle, elle a viré Fabien sans ménagement, si bien qu’il a dû finir de se rhabiller sur le trottoir. Catherine a filé au cimetière où l’attendait sa grand-mère. En repartant, elle a murmuré « Je t’aime, maman ». Daniel est passé chez le pharmacien pour son habituelle avance de médicaments.

Puis on retrouve Catherine quelques planches plus loin, moquée, ridiculisée par les deux pimbêches qui lui servent de collèges de bureau, cependant que Daniel traîne sa nostalgie à longueur de rues et de bar en bar, en quête d’un passé qu’il croit totalement révolu. Quant à Charlotte, elle accepte mal le diagnostic du docteur Lebon, ajouté à celui de ses professeurs aux Beaux-Arts, quant à sa production artistique. Elle s’apprête à réagir…

Les lecteurs de ces quelques lignes pourraient avoir le sentiment que nous leur proposons un plongeon dans la mer de la Morosité, il n’en n’est rien.

L’album, illustré avec humour par Magalie Foutrier, n’est pas sans évoquer une comédie douce-amère à la Cédric Klapisch, dans laquelle les protagonistes finissent par découvrir en eux les ressources qui vont leur permettre de pratiquer le « faire avec » ou le lâcher-prise, et de transformer leurs faiblesses ou leurs échecs, réels ou supposés, en une force.

Anne Calmat

144 p., 18 €

Ma génération, celle d’une vie chinoise – Li Kunwu – Ed. Kana

农历新年 5 février 2019

Coup d’œil dans le rétro en compagnie d’Yves Martin, librairie « Les Buveurs d’Encre » Paris 19è

Dans la trilogie Une vie chinoise, Li Kunwu abordait l’histoire contemporaine de la Chine à travers son parcours personnel. Il revient sur ce sujet sous un angle sensiblement différent dans Ma Génération (histoire prévue en 2 volumes).

Toujours nourri de l’expérience de l’auteur, le premier tome de Ma Génération embrasse la période qui va du grand bond en avant au début de la révolution culturelle, de la fin des années 50 au milieu des années 60. Ma génération va s’intéresser au parcours du groupe que forme le petit Li et ses copains d’enfance. Cette génération a pour caractéristique d’avoir traversé des périodes très différentes : les années de la construction socialiste, les années du chaos que fut la révolution culturelle, les années d’ouverture et celles du modèle hybride « communisto-libéral » d’aujourd’hui.

Li Kunwu replonge (et nous avec) dans ses années de petite enfance. Petit Li et ses copains ont trois, quatre ans et vivent en permanence à la crèche. Ils ont bien des parents, mais ceux-ci sont fort occupés à construire la Chine moderne. On est en plein dans la période dite du « Grand bond en avant », quand la Chine voulait développer l’agriculture et l’industrie du pays à marche forcée. L’objectif était de dépasser la production anglaise puis américaine en deux ou trois années seulement ! Cette politique va conduire à une désorganisation totale de l’agriculture, entraînant plusieurs années de disette voire de famine. Du point de vue industriel, ce n’est pas tellement plus brillant. La qualité de l’acier produit était si mauvaise qu’il se révélait souvent inutilisable.

Pourtant, Ma génération n’est pas un livre à charge sur la politique conduite par l’Etat ni sur le maoïsme. (Li Kunwu travaille et vit en Chine, il est ou était représentant des auteurs chinois dans des instances officielles). C’est l’abnégation des adultes, l’insouciance des enfants qui est mise en avant, pas l’erreur politique ni ses conséquences directes.

L’autre grande période illustrée dans cette première partie de Ma Génération est celle des débuts de la Révolution Culturelle. Les gamins ont grandi, on les retrouve au collège, à ce moment où les repères changent très rapidement, et où des professeurs adultes et jadis respectés sont mis sous tutelle de commissaires politiques d’une douzaine d’années, les « gardes rouges ». Mais même au coeur de cette période dramatique, les adolescents gardent des préoccupations de leur âge et s’ouvrent à l’amour romantique, tare bourgeoise s’il en fut.

Y. M.

256 p., 15 €

Ils ont connu le Grand Bond en avant, la Révolution Culturelle, l’enthousiasme et le désespoir. Ils se souviennent tous de ce qu’ils faisaient le jour de la mort du Président Mao. 
« Ils », c’est la génération d’Une vie chinoise. À l’heure de la révolution internet, que sont devenus les femmes et les hommes de la révolution maoïste ?
Li Kunwu nous offre un témoignage sur cette génération qui a construit la Chine d’aujourd’hui.

1972. La révolution culturelle a entamé sa phase finale. Les quatre ans de lycée de Li et ses camarades sont achevés, mais ce n’est pas pour autant qu’ils peuvent intégrer l’université. Pour cela, il faut en effet obtenir une recommandation des institutions locales. Et, pour y parvenir, il faut obtenir le statut d’étudiant d’origine paysanne, ouvrière ou militaire. C’est donc à 17 ans que Li et ses amis se séparent pour se rendre dans des provinces différentes. Li rejoint l’armée populaire de libération et, son régiment se trouvant à la campagne, se met à travailler la terre…

176 p. 15 €

Li Kunwu est un des rares artistes chinois de sa génération à s’être, tout au long de sa carrière, exclusivement dédié au 9e art et à en vivre. En 30 ans d’activité, plus d’une trentaine de ses ouvrages ont été édités en Chine, et il a publié dans lesmagazines de BD chinois les plus emblématiques tels Lianhua Huabao, Humo Dashi, etc. D’abord spécialisé dans la BD depropagande, il s’est ensuite orienté vers l’étude des minorités culturelles chinoises dont sa province, le Yunnan, est si riche. Il est membre du Parti communiste chinois et administrateur de l’Association des artistes du Yunnan et de l’Institut chinois d’étude du dessin de presse.

Noire, La vie méconnue de Claudette Colvin – Émile Plateau – Ed. Dargaud

Sortie le 18 janvier 2019 – Visuels © Plateau/Dargaud

D’après le roman éponyme de Tania de Montaigne (Grasset, 2015).

C. Colvin

Des boulevards, des avenues, des squares, des écoles portent les noms de Martin Luther King ou Rosa Parks. Une petite rue dans un quartier misérable de Montgomery en Alabama, a pris celui de Claudette Colvin. Mais qui connaît le rôle courageux et précurseur que joua ce minuscule personnage, oublié de la grande histoire ? Un oubli qu’Émilie Plateau propose à son tour de réparer.

Il y avait bien peu de fées autour du berceau de Claudette Colvin, en ce jour de 1939 à Austin. À peine ouvrait-elle les yeux que son père dispraissait, avant de réapparaitre le temps de lui donner une petite soeur, Delphine, et de s’évaporer à tout jamais. Sa mère ne put guère faire mieux, qui confia ses deux enfants à ses grand-tante et grand-oncle qui vivaient à King Hill, le quartier le plus pauvre de Montgomery.

Puis Delphine décède, laissant sa sœur affronter seule les contradictions entre ses rêves et la ségrégation. Claudette, bonne élève, voudrait devenir avocate, mais sa peau est bien sombre et ses cheveux pas assez lisses.

Or, voici ce qui arriva. Le 2 mars 1955, elle rejoint le bus sur le trottoir réservé aux Noirs et s’assied dans la section qui leur est dévolue, quand une Blanche se présente. Le chauffeur invite Claudette à se lever. Celle-ci ne bouge pas, elle a payé sa place. Le bus s’arrête, la police intervient et la conduit manu militari en prison, d’où elle finit par être libérée, avec l’aide du Révérend Johnson.

Présentée à Rosa Parks de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) et à Jo Ann Gibson, présidente du WPC (Women’s Political Council), on lui propose de plaider non coupable et de poursuivre la ville, pendant qu’un boycott sera engagé par les deux institutions. Lors de son procès, le 18 mars, elle soutient courageusement sa position, aidée du témoignage de ses camarades. Las, elle reste sous le coup de trois chefs d’accusations : violation de la loi, troubles à l’ordre public et agression envers des représentants de la loi. Le mouvement de boycott qui s’en suit n’étant relayé par aucun leader, il s’essouffle et cesse.

Les rêves de futur se brisent pour Claudette qui rejoint le NAACP afin de témoigner de son expérience. Ce qui n’est pas sans danger car, victime d’un viol commis par un homme blanc, elle se retrouve enceinte.

Cette histoire nous en rappelle une autre. Elle apparaît en effet comme la répétition de ce grand mouvement qui se mettra en branle le 1er décembre, initié par Rosa Parks qui elle aussi a refusé de céder sa place dans un bus à un Blanc. Sauf que cette fois, le leader anti-ségrégationniste, Martin Luther King, est appelé à la rescousse par Jo Ann Gibson. Des tracts sont distribués, le boycott, auquel les femmes noires participent massivement, se met en place.

Même motif, même sanction, le procès de Rosa Parks conduit aux mêmes chefs d’inculpation. Les hommes rallient les femmes, le boycott fonctionne, des meeting s’organisent qui galvanisent les foules, une épreuve de force s’engage pour démontrer que la ségrégation dans les bus va à l’encontre du 14e amendement de la Constitution fédérale des Etats-Unis. Claudette Colvin, que tout le monde avait oubliée, est sollicitée pour rejoindre quatre femmes noires prêtes à engager une nouvelle action.

Nous connaissons la suite : le 20 décembre 1956, après 381 jours, c’est la fin du boycott et de la ségrégation dans les bus de Montgomery, déclarée inconstitutionnelle par deux juges de la Cour fédérale contre trois.

Le lendemain, une photographie de Martin Luther King montant dans un bus accompagné de trois leaders noirs fait le tour du monde. Quelques photos de Rosa Parks paraissent dans le magasine Look. Mais aucune ne montre les plaignantes, pas plus que Jo Ann Gibson.

Comme Rosa Parks, Claudette Colvin quitte le sud pour rejoindre la nord. Aide-soignante, elle poursuivra une vie pauvre et anonyme en élevant son fils.

Il a fallu attendre qu’elle ait soixante-dix-neuf ans pour qu’une rue porte son nom à elle, qui n’était pas Rosa Parks.

Nicole Cortesi-Grou

136 p., 18 €

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