Callas Je suis Maria Callas – Vanna Vinci – Ed. Marabout-Marabulles

Depuis le 26 juin 2019 © V. Vinci/Marabulles

Où cesse la parole, commence la musique a dit l’admirable Hoffman. Et vraiment la musique est une chose trop grande pour pouvoir en parler. Mais en revanche, on peut toujours la servir, et toujours la respecter avec humilité. Chanter pour moi, n’est pas un acte d’orgueil, mais seulement une tentative d’élévation vers ces cieux où tout est harmonie.

Maria Meneghini Callas (v. ci-contre)

Aperçu de l’album en préparation : https://www.google.fr/url?

Il y a quelque chose de désespéré et de revendicatif dans l’intitulé même cet l’album, pour lequel on comprend que c’est moins la sublime cantatrice que la femme qui a intéressé la scénariste et illustratrice italienne. Maria Callas et son inextinguible besoin d’être aimée et reconnue, Maria Callas et son rapport à la solitude et à celle qu’on ose à peine appeler sa mère. Cette mère qui l’a rejetée dès sa naissance, avant qu’elle ne découvre l’avantage financier qu’elle allait pouvoir tirer du talent musical de sa fille.

Et peut-être avant tout, le rapport que la diva assoluta a entretenu avec elle-même et avec son apparence, afin d’effacer le souvenir de l’enfant au visage ingrat et au corps disgracieux qu’elle avait été.

Il est naturellement question ici des hommes qui ont compté dans sa vie : l’industriel Giovanni Battista Meneghini, son époux-manager qui n’a pas vu la chenille se transformer en papillon, son grand ami Pier Paolo Pasolini qui a fait d’elle au cinéma une Médée incandescente – l’archétype même de l’héroïne tragique qu’elle incarna si souvent sur scène. Il y a aussi eu Onassis, le mufle, le prédateur qui s’est joué d’elle, et qui l’a dévastée…

Sa dimension « diva » est cependant bel et bien présente dans l’album. De nombreux témoignages de ceux qui l’ont cotôyée viennent conforter ou corriger l’image que l’on conserve d’elle : Elvira de Hidalgo, sa chère professeure de chant, les chefs d’orchestre Tullio Serafin et Carlo Maria Giulini, le cinéaste Lucchini Visconti, etc.

Celle qui a vécu dans une perpétuelle recherche de la vérité de la vie a tout connu : la dévotion de son public, mais aussi la curiosité mortifère de ceux qui ont pris un malin plaisir à pointer ses faux-pas et ses défaillances, à commencer par la meute de paparazzi qui l’ont sans cesse traquée.

https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjb_JiA0ZDjAhUIRBoKHWcuBM8QwqsBMAB6BAgBEAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3D9gHe3WmzKxE&usg=AOvVaw3zTEEEzu4C3PlQMgtwS8sp

De multiples moments restent à découvrir dans cet album qui sort en ce moment « dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre »… selon l’expression consacrée.

Anne Calmat

176 p., 17,90 €

Les Mystères de la peur – Bruno Pellegrino – Rémi Farnos (suivi de) Roberto & Gélatine – Germano Zullo – Albertine – Ed. La Joie de Lire

Depuis mai 2019 – © B. Pellegrino – R. Farnos / La Joie de Lire – coll. Les Mystères de la connaissance

Même pas peur ! D’ailleurs comment Lou, 12 ans, le pourrait-elle ? Elle en ignore depuis toujours jusqu’à la sensation. Elle ne comprend par conséquent pas pourquoi l’un de ses deux papas était dans tous ses états lorsqu’elle qu’elle a sauté à pieds joints sur la voie ferrée pour récupérer une peluche qu’un gamin venait de laisser tomber, alors que l’entrée en gare du direct de 18h47 était annoncée.

Ce n’est pas son premier exploit et il y a peu de chance que ce soit le dernier, aussi ses deux papas ont-ils décidé de l’amener chez le médecin.

Après moult examens, la sentence tombe : la faute en revient à une amygdale (pas celles auxquelles on pense) située dans l’hypothalamus : elle ne fait pas correctement son boulot. En résumé, le cerveau de Lou n’est pas équipé pour ressentir la peur.

Le bon docteur X propose pour elle une immersion de quatre jours dans le bien-nommé Institut P.E.T.O.C.H.E. (Peurs, Epouvantes et leur Traitement Organisé, Ciblé et Hautement Efficace) où une poignée d’ados souffrant d’angoisses et de phobies sont rééduqués au moyen d’un ensemble d’épreuves sur le mode « Fort Boyard ». Il espère qu’à leur contact Lou fasse surgir cette émotion qui lui échappe. Le monde de la peur irrépressible face à celui de l’impassibilité.

La voici maintenant plongée au cœur de l’action. Comment l’amygdale fauteuse de troubles va-t-elle se comporter ? Lou fera-t-elle ses preuves, sachant que celles ou ceux qui n’auront pas satisfait à l’examen final n’auront pas le droit de repartir ?

Les épreuves se succèdent, non dénuées d’une certaine forme de sadisme de la part de celle qui les a concoctées. Les camarades de Lou tremblent de peur cependant qu’elle reste de marbre. Quant à la nouvelle venue, la mystérieuse Mona aux cheveux bleus, tenue à l’écart par le groupe en raison de sa différence – sauf bien entendu par Lou qui lui tend une main secourable – elle ne laisse rien paraître…

Ce récit fictionnel, construit à partir à partir d’un cas réel et d’études scientifiques menées à l’Université de Lausanne, est illustré par Rémi Farnos. Les lecteurs de BdBD ont eu l’occasion de découvrir en 2016 et en 2017 deux de ses albums, Le Monde des Végétanimaux et Alcibiade (Voir Archives).

Cette histoire aussi intrigante que captivante aborde ici les thèmes essentiels de la peur de l’autre et de tout ce qui nous est étranger, et aussi ceux de la solidarité nécessaire entre les individus, de la désinformation et des idées reçues.

Anne Calmat

À partir de 10 ans. 144 p., 14,50 €

Toujours aux éditions La Joie de lire. En librairie depuis avril 2019)

Roberto & Gélatine  » Une grande histoire pour les grands » de Germano Zullo (scénario) et Albertine (dessin)

© G. Zollo – Albertine / La Joie de lire

Les adultes se reconnaîtront probablement (et reconnaîtront leurs petits) dans cette histoire qui met en scène la petite Gélatine, bien déterminée à ce que son grand frère s’intéresse à elle et abandonne toute affaire cessante ce qu’il est en train de faire. En l’occurence l’écriture d’un roman. ‘Obê’to ! ‘Obê’too ! ‘Obê’tooo ! insiste Gélatine. De guerre lasse, Roberto abandonne son ordinateur et propose de lui lire une histoire. Mais ce n’est pas suffisant, Albertine en veut plus, toujours plus. Et lorsqu’il retourne à ses propres personnages, la petite fille décide de créer à son tour une histoire. Une histoire dans laquelle son frérot change totalement de visage…

Les séquences évoluent par petites touches, de façon presque imperceptible, comme lors de la fabrication d’un film d’animation : le coup d’oeil en biais du frère précède sa mine consternée, puis irritée. On l’entend distinctement râler intérieurement, comme on entend Gélatine l’houspiller. C’est tout simple, plein d’humour et de poésie, le duo Germano Zullo et Albertine fonctionne à nouveau à merveille (v. aussi Le Président du monde, archives BdBD, oct. 2016) et on a hâte de découvrir le second opus de la série Roberto & Gélatine.

A . C.

Tout public – 88 p., 14,90 €

Orwell – Pierre Christin – Sebastien Verdier – Ed. Dargaud

En librairie depuis le 14 juin © P. Christin – S. Verdier / Dargaud

Le sous-titre de l’album annonce la couleur. Qui est ce curieux personnage qui semble avoir vécu plusieurs vies ? 

Eric Arthur Blair, de son nom de plume George Orwell, nait à Motihari en 1903 durant la période du Raj anglais. Ses origines promettent l’aventure : un arrière-grand-père propriétaire d’esclaves en Jamaïque, mort ruiné ; un grand-père devenu pasteur en Tasmanie ; une mère française et un père travaillant au département Opium pour le gouvernement anglais du Bengale. 

Eric Arthur annonce au monde sa vocation littéraire en dictant à l’âge de 5 ans ses premiers poèmes à sa mère. La suite de sa vie ne sera qu’une série d’épisodes qui formeront le terreau de son œuvre.

Il connaît une courte période heureuse en Angleterre où sa mère est rentrée vivre seule. Il découvre la nature anglaise, le jardinage, les animaux de ferme, auxquels il restera attaché sa vie entière.

Après une prep’ school anglaise où la discipline est de fer et le fouet fréquent, le jeune homme intègre la prestigieuse école d’Eton, où il gagnera un accent dont il ne pourra jamais se défaire. À sa sortie, plutôt que rejoindre la célèbre université d’Oxford, il fait le choix d’un engagement dans la police birmane. L’expérience tourne court, il donne sa démission pour laisser derrière lui « cinq années d’ennui au son du clairon ». Un premier roman, Une histoire birmane, raconte comment il a pris conscience de ce qu’on appelle l’impérialisme. Aucun éditeur n’en voudra. 

Détail planche

À son retour en Angleterre, désargenté, Blair-Orwell cumule une série d’expériences qui formeront sa conscience politique et nourriront son inspiration : fréquentation des bas-fonds et des asiles, garçon-plongeur dans les arrières-cuisines de restaurants parisiens, cohabitation avec vagabonds et clochards, découverte du prolétariat dans les régions minières. Il en voit assez pour se convertir au socialisme et entame une carrière de journaliste.

Un petit job dans une librairie lui donne l’occasion de rencontrer Eileen O’Shaughnessy, qu’il épouse.

Détail planche

Tous deux s’engagent en 1936 aux côtés des Républicains durant la guerre d’Espagne.

détail planche

L’intérêt passionné des auteurs pour cet homme excentrique et attachant se transmet au lecteur à travers les épisodes marquants de sa vie. Il meurt prématurément de la tuberculose en 1950.

Écrit en 1948, édité en 1949

Nous l’accompagnons jusqu’à son dernier ouvrage, 1984, dont le personnage de Big Brother symbolise la figure des régimes autoritaires. Se doute-t-il ce démocrate anti-stalinien qu’il apparaîtra soixante-dix ans plus tard comme l’annonciateur de la création de l’Internet, du Big Data et des possibilités de contrôle et de manipulation des données personnelles ? 

1984 (extrait planche)

La suite de planches en noir et blanc, très fouillées, très réalistes, déroule l’histoire comme un film dans lequel s’insèrent des séquences colorées, illustrant des extraits de textes ou de romans. Quelques photos nous dévoilent le vrai personnage, très grand, très maigre et moustachu. À travers cet ouvrage, nous avons rencontré Gorge Orwell.

Nicole Cortesi-Grou

160 p., 19,99 €

Sous le signe du Grand Chien – Anja Dahle Øverbye – Ed. ça et là

En librairie depuis le 14 juin – COMMUNIQUÉ
Visuels copyright A. Dahle Øverbye / Ed. ça et là

Les « journées du chien » est un phénomène qui se produit au cœur de l’été, pendant les journées les plus chaudes de l’année, entre le 22 juillet et le 23 août. Cette période est placée sous le signe de la constellation du Grand Chien, au moment où les esprits s’échauffent sous l’effet de la chaleur, « dans ces jours de chaleur, le sang est furieusement excité ! » (Roméo et Juliette, Shakespeare ).

C’est à ce moment-là que nous faisons la connaissance d’une jeune norvégienne, Anne, à mi-chemin entre l’enfance et l’adolescence. Le temps de plus en plus étouffant et poisseux de cet été a des répercussions sur les relations de la jeune fille avec son entourage. Sa meilleure amie, Mariell, préfère passer du temps avec Karianne, qui est légèrement plus âgée. Anne est laissée de côté, et même brimée par les deux autres filles, mais elle veut désespérément redevenir amie avec Mariell… Jusqu’à quel point ?

Les paysages de l’ouest de la Norvège, représentés avec une grande sensibilité dans des dessins au crayon jouent un rôle central dans cette histoire, un aperçu de la nature parfois violentes des relations entre adolescentes.

Sous le signe du grand chien est le premier roman graphique de l’autrice norvégienne Anja Dahle Øverbye.

Dans le même esprit, on aura plaisir à redécouvrir, toujours aux éditions çà et là, Ce qui se passe dans la forêt (oct. 2016) et L’une pour l’autre (juin 2017) de Hilda-Maria Sandgren (voir archives).

72 p., 15 €

Algues vertes, L’Histoire interdite – Inès Léraud – Pierre Van Hove – Ed. Delcourt

En librairie à partir du 12 juin 2019 – Copyright I. Léraud-P. Van Hove / Delcourt. Couleurs Mathilda.

Depuis la fin des années 1980, pas moins de trois hommes et quarante animaux (cheval, chiens, sangliers…) ont été retrouvés morts sur les plages bretonnes. L’identité du tueur en série est un secret de polichinelle : les algues vertes. Un demi-siècle de fabrique du silence raconté dans une enquête fleuve.

Nous découvrons ici les principaux épisodes de ce terrible feuilleton qui perdure depuis près de quatre décennies. En dépit de leur portée, peu ont été repris dans la presse nationale au plus fort de leur actualité.

Qui en effet, en dehors des associations de défense de l’environnement, a réellement pris la mesure de ce qu’induisait la présence d’hydrogène sulfurisé (HS25) dans les algues vertes en décomposition sur le littoral breton ?

Nous découvrons aussi la mauvaise foi accablante de ceux qui se sont saisis des dossiers à instruire, et qui sont allés jusqu’à imputer aux victimes la responsabilité de leurs malheurs. Avec la complicité, tacite ou non, de ceux qui craignaient de perdre leurs privilèges.

Affaire Vincent Petit, vétérinaire. Juillet 2009

Et même lorsque, à la fin du mois d’août 2009, suite à l’épisode relaté ci-dessus, quatre ministres se rendent en Bretagne, après une nouvelle mise en évidence de la haute toxicité des algues vertes, la secrétaire d’État à l’Écologie, Chantal Jouannau, déclare « Ce qui me frappe dans ce dossier, c’est le nombre d’années où on a joué la politique de l’autruche.« , ce fléau, qui aurait pu être en partie jugulé par une modification du système productif, dont cette fois les agriculteurs seraient les bénéficiaires, ne va pas pour autant être pris à bras-le-corps. Léthargie coupable de L’État, négligence, voire dissimulation des autres, HS25 a alors encore de beaux jours devant lui avant d’être mis ko.

En 2019, l’ombre de Sisyphe continue d’autant plus à planer sur ce combat que le taux d’algues vertes, historiquement en baisse en 2017, a connu un nouveau pic à l’automne 2018…

Affaire Thierry Morfoisse, ramasseur d’algues. Juillet 2009

Une enquête édifiante, menée par Inès Léraud, journaliste et documentariste, membre du collectif des journalistes d’investigation Disclose. Elle doublée à la fin de l’album d’un rappel chronologique & iconographique des principaux événements et décisions survenus entre 1960 et 2019. https://made-in-france.disclose.ngo/

Anne Calmat

144 p., 18,95 €

King Kong – Michel Piquemal - Christophe Blain – Ed. Albin Michel

© Piquemal-Blain / Hachette
En librairie depuis le de juin 2019

 » Un horrible rugissement déchira la nuit, et la frayeur d’Ann redoubla. Kong sortit de sa jungle, immense terrifiant. Il martela sa poitrine de ses poings velus. Pourtant, lorsqu’il aperçut Ann, son visage se radoucit. Avec délicatesse, il s’approcha d’elle et délia ses poignets… Anne senti la main rugueuse contre elle et s’évanouit, tandis qu’il la serrait tendrement dans ses bras. » (p.19)

Sorti en 1933 aux USA, le film, réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, avec moult effets spéciaux qui firent grand bruit à l’époque, raconte l’histoire d’une jeune fille pauvre, Ann Darrow, qui vole une pomme à un étalage dans le quartier de Manhattan. Le cinéaste Carl Denham assiste à la scène, la soustrait à la vindicte du commerçant, et, frappé par sa beauté, l’engage sur le champ pour le documentaire qu’il s’apprête tourner.

Il projette en effet de filmer une bête monstrueuse, sorte de demi-dieu pour les habitants d’une île mystérieuse au large de Sumatra. Et la jeune fille dans tout cela ? Denham compte se servir d’elle pour charmer celui que les indigènes appellent Kong.

p. 19

Mais les choses vont prendre une tournure inattendue : la Bête va s’éprendre de la Belle, être capturée et devenir une attraction à sensation sur une scène de Broadway… On connaît la suite.

Ce qui est intéressant dans ce remake sur papier glacé, c’est la façon dont Michel Piquemal (adaptation) Christophe Blain (illustrations) sont parvenus, avec un texte réduit à l’essentiel et des dessins qui mêlent sophistication et minimalisme, à nous faire entendre le long cri qui traverse de part en part cette histoire. Cri de celle qui a faim, cris des indigènes piétinés par leur King lorsque qu’on lui ravit sa bien-aimée, cris des animaux de la jungle, cris du public face au spectacle de Kong enchaîné, qu’Ann a rejoint rejoint sur la scène. Et enfin , cri de colère de Kong, victime de la jungle des villes et de la cupidité des hommes.

C’est peut-être aussi de la part des deux auteurs, une forme de réquisitoire contre tous les voleurs de vie, avides d’exotisme.

A. C.

43 p., 14,95 €

  • Un remake du film, réalisé par John Guillermin (USA), est sorti en France en 1976.



Le rapport W – Infiltré à Auschwitz – Gaétan Nocq – Ed. Daniel Maghen


En librairie depuis le 23 mai 2019
© G. Nocq/D.Maghen

Postface « À propos du Rapport Pilecki », Isabelle Davion. Maîtresse de conférences, Sorbonne Université
Rapport Pilecki, rédigé en 1943

Toute la journée, nous avons roulé. Aucune nourriture, aucune boisson ne furent distribuées. Mais après tout, personne ne voulait manger.

Le train s’arrête enfin, la porte du wagon s’ouvre brutalement, l’air pénètre dans l’espace confiné où étaient entassés des dizaines d’hommes, essentiellement des prisonniers politiques polonais. Des SS, Mauser à la main, les font descendre. L’horreur de l’arbitraire commence alors. Quelques-uns sont désignés, puis abattus. Leurs cadavres sont aussitôt livrés aux chiens qui accompagnent les soldats allemands.

Septembre 1940. La mission que s’est assignée Wiltold Pilecki, officier de l’Armée secrète polonaise, en se portant volontaire pour infiltrer le camp d’Auschwitz afin d’y constituer un réseau de résistance et de renseigner ceux qui pourront enrayer la machine infernale, vient de débuter.

S’en suit la description des conditions de travail une fois arrivé dans le camp d’Auschwitz, avec le sadisme des séances d’humiliation – Sautez ! Roulez ! Dansez ! Pliez les genoux ! – et, dans le meilleur des cas, l’opportunité pour certains d’y échapper un temps, lorsque l’on a, ou prétend avoir, une compétence particulière qui permet d’être chargé d’une réparation dans la maison d’un officier ou bien recruté pour des travaux de terrassement destinés à l’extension du camp, ou à la construction de son jumeau, à trois kilomètres de là.

Combien seront-ils encore là, lors de la libération d’Auschwitz, le 27 janvier 1945 ? Witold Pilecki* précise dans son rapport que la portion alimentaire était calculée de telle façon que les prisonniers ne vivent que six semaines.

Une fois dans la place, il lui faut ruser, se faire affecter aux postes stratégiques qui dépendent du bureau de la répartition de la maintenance, afin, par exemple, de faire bénéficier les vivants des colis que les morts ne pourront plus recevoir. Tenir bon, ronger son frein, même lorsque les camions viennent chaque matin déverser les affaires de ceux qui ont été gazés ou exécutés la veille. Se méfier, débusquer les traîtres. S’évader parfois en rêve, en se réfugiant dans les souvenirs d’un passé révolu.

Il lui faut aussi apprendre à compartimenter, afin d’éviter que tout ne s’écroule si la cellule a été repérée par les Allemands ou tout simplement dénoncée dans les lettres anonymes déposées dans la boîte aux lettres du Block 15.

Détecter les ennemis invisibles, être sans cesse sur le qui-vive, prendre des risques calculés, s’adjoindre les fidèles compagnons qui feront parvenir à l’état-major de l’armée secrète basée à Varsovie, des compte-rendus que les alliés pourront ensuite exploiter.

Pour mener à bien sa mission, Witold Pelcki s’est placé sous l’autorité d’un lieutenant-colonel emprisonné avec lui à Auschwitz. Son réseau s’appellera la SOW, l’Union des organisations militaires, d’autres se constitueront par la suite.

Combien de fois va-t-il échapper à la balle qui lui est destinée s’il venait à lui manquer une réponse aux questions que lui posent les Kapos ?

« Le jeu que je jouais était dangereux. En fait, j’avais largement dépassé ici ce que, sur terre, on appelle dangereux.»

Thomasz Serafinski va œuvrer sans relâche à la réussite de sa mission, jusqu’à ce qu’il soit prêt à prendre le contrôle du camp.

« Chacun était prêt à mourir. Avant de périr, nous aurions infligé des pertes sanglantes à nos bouchers. », écrira-t-il dans son rapport en 1943. On pense irrésistiblement au très beau texte illustré d’Aline Sax (v. BdBD Archives, Les couleurs du ghetto), dans lequel le chef de cellule dit aux insurgés « Nous ne survivrons pas à ce combat. Les forces en présence sont trop inégales. Nous nous battrons pour sauver notre honneur. Il existe deux façons de mourir : soit avec dignité en combattant, soit sans défense devant un peloton d’exécution ou dans une chambre à gaz. Laquelle choisissons-nous ? »

Détail p. 195

Il ne reste plus ici qu’à attendre que l’ordre d’entrer en action leur parvienne. À supporter qu’il arrive. Sinon, il faudra passer au plan B…

Un album vertigineux, tant pour la force du témoignage de Witold Pilecki que pour celle de l’adaptation qu’en fait Gaétan Nocq. Ses illustrations sont également remarquables ; on passe des séquences en monochrome dégradé à toute une palette de couleurs, en superposition ou en opposition, qui montrent les différentes phases du quotidien concentrationnaire des détenus.

Anne Calmat

250 p., 29 €

  • Infiltré sous le nom de Tomasz Serafinski.