
© F. Toulmé / Ed. Futuropolis


Le point de départ du récit de Fabien Toulmé est le crash délibéré en 2015 du vol 9525 de la Germanwings, dans les Alpes du Sud : 147 passagers et trois membres de l’équipage disparaissent. L’info tourne en boucle dans tous les JT, cependant qu’une autre, plus lapidaire, clôture l’un d’entre eux et interpelle l’auteur : 400 migrants meurent noyés lors d’une traversée de la Méditerranée. La répétition de ces naufrages aurait-elle pour effet de les banaliser ?

Aix-en-Provence, juillet 2017. Fabien Toulmé rencontre Hakim Kabdi (dont ce n’est pas le vrai nom). Quatre ans auparavant, le jeune homme a été contraint de quitter la Syrie parce que la guerre avait éclaté, parce qu’on l’avait arrêté sous un prétexte fallacieux, puis torturé et parce que le pays voisin semblait pouvoir lui offrir un avenir et la sécurité. Il pourrait ainsi y trouver du travail et envoyer de l’argent à sa famille restée en Syrie.
Semblait… Pourrait…

Dans un premier temps ce sera Beyrouth, en janvier 2013, puis, après un passage à Amman, Antalya en mars 2013, avant qu’Hakim ne tente de s’installer en Turquie.

Il parle de son enfance et de son adolescence, décrit sa vie dans la Syrie d’hier, jusqu’à l’arrivée des tout-puissants moukhabarats, les membres du redouté service de Renseignement militaire qui peut faire de vous un farouche opposant politique rien que pour être venu en aide à un manifestant. Il évoque son entreprise réquisitionnée par l’armée pour en faire une caserne, les premières manifestations dans la foulée des Printemps arabes, les affrontements, les morts, les dénonciations, les clans, les morts, encore et toujours…

En Syrie, Hakim a donc été arrêté, torturé, puis « miraculeusement » libéré. Craignant pour sa sécurité, il décide de quitter, seul, la terre qui l’a vu naître. ”Je me rends compte que n’importe qui peut devenir réfugié. Il suffit que ton pays s’écroule, soit tu t’écroules avec, sois tu pars.” confie-t-il à Fabien Toulmé.
À Antalya (Turquie), sa tentative de faire prospérer une pâtisserie de spécialités syriennes tourne court. Mais il y rencontre l’amour en la personne de la jeune Najemh, qu’il épouse très vite. Hadi naîtra de leur union. Petits boulots pour survivre : un jour vendeur de bouteilles d’eau à la sauvette, le lendemain, de parapluies ; un autre jour, guide touristique puis ouvrier dans le bâtiment… Mais la vie est trop dure, la police trop prompte à confisquer son maigre outil de travail, et ses employeurs peu honnêtes. On est partis avec la famille de Najemh à Istanbul. Hakim ajoute avec humour « Il n’y a pas beaucoup d’avantages à être un réfugié, mais s’il y en a bien un, c’est qu’on n’a pas grand-chose à déménager« .
Cependant, la complexité politico-sociale qui règne dans le pays qui les a tous accueillis, associée pour Hakim et son jeune fils à un ensemble de complications administratives, vont changer la donne pour eux, et c’est avec appréhension qu’il va monter à bord d’un canot pneumatique bondé, afin de traverser clandestinement la Méditerranée, pour un jour atteindre la France où Najemh et ses parents les attendent.

Une quarantaine de planches couleur bleu nuit, particulièrement intenses, décrivent ce qu’a été leur traversée entre la Turquie et l’île de Samos, avec en prime une panne d’essence, un moteur qui refuse de redémarrer, et toujours la mort en embuscade…

”Le but c’était pas simplement de résumer une migration à la traversée de la Méditerranée. C’est beaucoup plus complexe, et en plus ça donne l’impression qu’ils sont tendus vers l’Europe parce qu’ils ont plus de chance là-bas. Alors que la traversée c’est juste une nuit sur des années ! Moi je voulais montrer que ce ne sont pas des gens qui partent de chez eux pour venir chez nous. Au début Hakim va au Liban, mais il va se rendre compte qu’il est accompagné de tas de semblables et ça ne l’aide pas, le pays a tendance à rejeter l’afflux. C’est le besoin de survie qui va le pousser de pays en pays jusqu’à l’Europe. J’aurais pu faire un bouquin en Europe, mais je me serais concentré sur les temps forts et ça aurait rejoint ce qu’on nous montre d’habitude, qui est un peu caricatural.«
Le grand talent de Fabien Toulmé tient à sa capacité nous faire partager son empathie. Nous sommes aux côtés de son héros, il fait rapidement partie de notre vie et nous accompagnera pendant encore. Et si nous étions à la place d’Hakim, qu’aurions-nous fait ? C’était déjà le cas pour ses deux albums précédents, « Ce n’est pas toi que j’attendais » (v. chronique fin de page) et « Les deux vies de Baudoin ». Ce qui le caractérise également, c’est la simplicité éloquente de son style graphique, proche de celui d’un Riad Sattouf ou d’un Guy Delisle : une ligne claire, simple, qui va à l’essentiel et met l’accent sur les personnages et leurs émotions.
Le T.3 de L’Odyssée d’Hakim sortira en 2020 et racontera la terrifiante traversée de l’Europe d’Hakim, sur fond de haine des migrants. Un seul mot s’impose pour traduire notre attente : V I T E !
A. C.
T. 1 –De la Syrie à la Turquie– 304 p, 24,95 €
T.2 –De la Turquie à la Grèce –256 p., 22,95 €