
Le livre se lit tête-bêche. D’un côté, il y a la pièce de Fabrice Melquiot, et de l’autre « l’Avant », c’est à dire tout ce qui a précédé – et précède en général – la présentation au public d’un spectacle vivant. Commençons donc par « l’Avant », ce sera très bientôt d’actualité.
« On peut considérer qu’une pièce de théâtre connaît plusieurs états : la pièce que l’auteur a conçue, celle qu’il a écrite (ce n’est pas forcément la même), la pièce que jouent les comédiens et celle qu’entendent les spectateurs. Les arts plastiques apportent à leur tour toutes les ressourses dont ils disposent et la musique peut créer le mystère, l’inconnu divin. », Gaston Baty, 1923
Cette partie de l’album met un coup de projecteur sur celles et ceux qui participent à une telle aventure, et qu’on ne cite pas toujours le moment venu : assistant(e) à la mise en scène, scénographe, costumière, maquilleuse, technicien/technicienne (son, lumière…). Chaque spécialité est ici détaillée, puis commentée. La pièce a été créée en 2019 au festival d’Avignon dans une mise en scène de Mariama Sylla.
Ce que raconte Hercule à la plage…
Angelo, Charles et Melvil cherchent India dans ce que l’auteur décrit comme un labyrinthe, en ruine. Un espace hors du temps qui évoque celui où Thésée, guidé par le fil d’Ariane, parvint à retrouver le Minotaure. Tous se sont connus sur les bancs de l’école primaire, puis ils se sont perdus de vue.
Ce labyrinthe contient leurs souvenirs, réels ou non. Ils traversent les âges, ils ont neuf, quinze, quarante ans. Ils se racontent, apparaissent puis disparaissent. Il y a longtemps, India, qui n’était encore qu’une enfant, a lancé un défi à ses trois soupirants : « Si vous voulez m’aimer, soyez Hercule, sinon rien. » (…) « Je ne veux pas d’une vie normale avec des amis moyens. » Pourquoi Hercule ? Parce que lorsqu’elle était enfant, sa maman lui racontait les douze travaux. Les gamins l’ont prise au mot, ils ont accompli des exploits qui, à hauteur d’enfant, étaient dans la lignée de ceux du héros de la mythologie gréco-romaine.
Quelques années plus tard, le père d’India les a tous emmenés voir la mer, ensemble pour la dernière fois. « Elle va déménager, le verbe le plus dégoûtant de la langue française » résume Melvil.
India sur le sable, India sous le soleil, India les mettant à l’épreuve… Puis India désertant, emportant avec elle leur certitude d’être toujours unis et ne leur laissant que le souvenir d’amours platoniques.
Angelo : « La vie était pleine de promesses. Et on était si jeunes et si pleins de rêves. On allait se revoir, un jour ou l’autre, c’était sûr et certain ! »
Le texte – un voyage initiatique au terme duquel l’héroïne apparaît sous un tout autre jour – comporte plusieurs niveaux de lecture selon l’âge auquel on le découvre. Les temporalités s’enchevêtrent, le présent des personnages se mêle à leur passé, la narration s’interrompt pour faire place au dialogue, la mythologie grecque côtoie celle des héros de Marvel : Superman et toute la flopée de ceux dont le nom se termine en « man« . Est-ce que tout cela est vrai ? Angelo, Charles et Melvil étaient-ils si « moyens » et India tellement hors du commun ? Troublant.
A.C.
Tout lectorat à partir de 12 ans. 128 p., 23 €