Copyright S. Runberg, Grun / D. Maghen – 16 € – 80 pages environ pour chaque tome


On Mars ne se lit pas comme une extrapolation romanesque de ce que pourrait être l’implantation d’une colonie sur la planète rouge, mais plutôt comme une étude éthologique déductive sur l’état dans lequel risque d’être la société lorsque cette colonisation sera devenue une réalité. La trilogie imaginée par Sylvain Runberg et illustrée par Grun, dont le denier volet sortira en librairie le 4 mars 2021, est de ce fait une projection crédible de ce qu’il s’y passera.


Nous sommes ici en 2132, avec l’épuisement des ressources terrestres, l’avenir du genre humain repose sur une poignée de scientifiques et sur les forces de travail de celles et ceux qui mettent en place des forages, facilitent la recherche d’eau et son acheminement à la surface de Mars, édifient des structures d’accueil, etc. Les prisons sur la planète Terre constituent alors un réservoir inépuisable de main-d’œuvre à même de réaliser les travaux titanesques qui ont été entrepris depuis deux décennies. Pourquoi se priver de cette manne corvéable et renouvelable à merci ? Une condamnation à mort qui ne dit pas son nom. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes éthiques à des organisations humanitaires internationales…

Dans le T.1, un nouveau contingent d’hommes et de femmes est à l’approche de Mars. Parmi les arrivants, Jasmine Stanford, une ex-flic condamnée à vingt ans de travaux forcés pour bavure policière envers une jeune camée de la haute société. Nous suivrons album après album ses combats, les compromissions auxquelles elle va devoir se prêter pour survivre, ses revirements. On lui a greffé, comme à chaque nouveau venu, un implant respiratoire, afin que son organisme s’adapte à l’atmosphère martienne, et une puce GPS.

Nous découvrons une société pyramidale dont les bases reposent sur les forces de travail de ceux qui ont été transférés dans cette immense prison à ciel ouvert.
Au sommet de la pyramide, il y a les décideurs. Entre les deux, les ingénieurs, les techniciens, les colons, et les « référents » chargés de coordonner les équipes de manœuvres. Aucun rapprochement n’est autorisé entre eux et les colons (qui apparaissent peu dans la série), au moindre faux-pas, des drones interviennent. Nous constaterons plus tard qu’ils ne sont pas infaillibles.
Parmi les référents, un mégalo en puissance du nom de Xavier Rojas est devenu le gourou de la Nouvelle Eglise syncrétique.

Se pouvait-il qu’il en soit autrement ? Il semble communément admis que depuis la nuit des temps, là où il y a des hommes, il y a des dieux. Ses adeptes vont se multiplier à la vitesse de l’éclair, tant sur la planète rouge que parmi ceux qui suivent les étapes de la colonisation en attendant de faire partie d’un prochain contingent, bien décidés pour beaucoup à devenir les nouveaux Croisés interplanétaires.

Nous verrons aussi que de nombreux clans rivaux se sont formés et qu’ils s’affrontent sur cette Terre bis en devenir, cependant qu’un groupe de fugitifs appelés « Les solitaires », a choisi la lutte armée afin qu’une autre société que celle qui se dessine soit possible.

Tout se passe comme si l’Histoire ne cessait de bégayer. Dans ces conditions comment la colonisation, présentée comme une chance unique de faire table-rase du passé, pourra-t-elle tenir ses promesses ?

BdBD ne vous en dira pas plus, si ce n’est, on l’aura compris, que cette trilogie ouvre à ses lecteurs un large champ de réflexions, qu’elle est passionnante, fouillée, et magnifiquement illustrée par Grun (Ludovic Dubois), totalement sur la même longueur d’ondes que Sylvain Runberg. Un cahier de dessins d’une vingtaine de planches prolonge chaque album, avec pour le T.3, une ouverture sur l’avenir de la planète colonisée.
Anne Calmat
