Prix des Libraires Jeunesse 2021– Copyright I. Watanabe / Joie de lire 2020 – 40 p., 15,90 €
Ce pourrait être l’illustration d’une fable de La Fontaine, ou bien celles de textes sacrés qui racontent l’histoire sans cesse renouvelée des grandes migrations humaines. Une histoire immémoriale aussi.
Ici, celle et ceux qui ont pris la route de l’exil cheminent au milieu d’arbres aux membres décharnés, le regard fixe, dans un silence palpable, tous différents, tous tendus vers un seul et unique but. Ils ont fui les violences, la misère, leurs terres arides ont été brûlées jusqu’aux entrailles. Les plus vigoureux veillent sur les plus vulnérables, la mort, escortée par un magnifique oiseau que l’on dirait sorti d’un conte des Mille et une nuits, ferme la marche.
On est immédiatement subjugué par la force des images.
Les couleurs bigarrées de leurs tenues contrastent avec l’uniformité des paysages lugubres qu’ils traversent. Plus tard, ils feront une halte, sortiront leurs ustensiles de cuisine, ensuite ils s’étendront à même le sol pour quelques heures de repos, avant de repartir. Combien seront-ils à atteindre la « Terre promise » ? Et tiendra-t-elle ses promesses ?
Une histoire dotée d’une forte charge émotionnelle qui se passe de mots. À semer à tous les vents.
L’enfant que l’on découvre sur la couverture de Pupille 0877PE se prénomme en réalité Anna Nathalie. C’est son parcours que nous suivons ici. Un parcours chaotique, s’il en est, qui l’a menée de la plus profonde déréliction à la renaissance, grâce à son aptitude à puiser une force salvatrice dans sa révolte, et aussi, grâce à quelques bons génies que la Providence avait pris soin de placer sur son chemin parsemé de ronces et d’orties.
La vie de la petite fille bascule en 1968, à l’âge de 4 ans, lorsqu’elle n’est plus qu’un numéro sur les registres de l’Aide Sociale à l’Enfance, après une séparation sans ménagement d’avec sa mère et ses sœurs.
Extrait – « Un jeudi matin où mon agitation est au plus haut et que je fais semblant de jouer alors que je suis aux aguets, des signes me disent que ce sera pour aujourd’hui, le départ de la pupille. Mes pas, mes mains, mes mouvements, tout en moi est devenu mécanique. Silence au comble. Nulle chanson. Aucune parole de part et d’autre. Tata erre. Tonton-pipe fume et refume. Ma tête tape fort. Au fond de moi, l’enclume du cœur« .
Elle connaît ensuite une courte accalmie au sein de sa première famille d’accueil, qui a su panser ses plaies et rassurer cette « pauvre petite chose » habitée par le funeste sentiment de n’être pas digne d’amour, puisqu’elle a été rejetée. Mais très rapidement, Anna devra faire front.
Anna « la débile », comme on appelle celle qui, à force de vouloir être transparente, a fermé ses écoutilles et s’est murée dans le silence…
Anna la colère aussi. Colère contre ces institutions peu soucieuses de leur mission, qui, l’apprendra-t-elle beaucoup plus tard, ont préféré fermer les yeux sur tous les signalements de violences à son encontre, et pire encore, sur une demande d’adoption qui aurait changé le cours de sa vie.
Mais également, Anna la tendresse, la protectrice, capable, si jeune encore, de materner les plus vulnérables et de donner son cœur à celles et ceux qui lui ont offert le leur. Tous et toutes essentiels à son maintien en vie et en lutte, avec l’espoir fou de retrouver cette mère, qui un jour sinistre l’a abandonnée entre les mains d’une fonctionnaire de l’ASF.
Anna confrontée à la cruauté et au sadisme d’assistantes maternelles vipérines – véritables incarnations de la Folcoche d’Hervé Bazin – qui, pour certaines, se vengeaient de leurs frustrations sur ces enfants à qui on avait déjà tout pris. Anna enfin, livrée à quatorze ans aux « bas instincts » de celui qu’elle était censée appeler papa.
Bien d’autres épisodes, et non des moindres, émaillent ce récit aux allures de brûlot, mais nous n’en dirons pas plus, la suite appartenant à celles et ceux qui liront Pupille 0877PE. L’écriture est souvent lapidaire : phrases courtes, aucune affectation, les auteures vont à l’essentiel, quitte à se jouer des règles syntaxiques. Avec, de temps à autre, de belles envolées lyriques qui font battre le cœur un peu plus vite… et retenir son souffle.