Carnet de prison – Galien – Ed. Steinkis

À partir du 16 mars 2023 – Visuels© Galien / Ed. Steinkis – 160 p., 22 €
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Lorsqu’en 2014 Galien accepte l’offre qui lui est faite d’animer un atelier de dessin dans la maison d’arrêt de Caen, il ne sait pas encore s’il parviendra à y trouver sa place. « Qu’est-ce que vous venez faire ici ? » lui a demandé quasiment d’entrée de jeu un détenu. Bonne question.

Le premier groupe vient d’arriver ; il sera par la suite remplacé par d’autres participants, au gré des libérations ou d’autres propositions d’ateliers. Ils sont avant tout venus pour « s’aérer », fuir la monotonie du quotidien, les images qui les hantent ou dont ils ont la nostalgie, oublier l’exiguïté de leurs cellules et se soustraire pendant un moment au boucan permanent qui n’autorise aucune évasion mentale. Quant à « se faire la malle » pour de bon, cela reste un fantasme pour beaucoup. « Une cavale, ça coûte cher » dit l’un d’entre-eux

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En dehors de quelques bruits de couloirs et autres vantardises de la part de deux ou trois durs à cuire, à qui on ne la fait pas, Galien ne sait rien sur ses futurs « élèves ». De toute façon, il n’est pas là pour les juger, mais pour les amener à explorer « L’Homme du futur ». Sous son crayon à mine graphite, le sien évoque celui qu’a décrit Vitruve, puis dessiné Léonard de Vinci. Pour l’heure il lui faut apprendre à anticiper les demandes et les réactions de ses élèves, en comprendre les enjeux. Galien sait qu’il va être testé en permanence, qu’il doit savoir dire non ou au contraire lâcher du lest à bon escient. Apprendre aussi à fermer les yeux sur les petites combines inhérentes à la vie carcérale… Si le dessin parvient à les réunir, il deviendra un langage universel.

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L’auteur nous entraîne sans difficulté dans ce qui a rapidement pris les allures d’une enquête sur la privation de liberté et ses incidences – ressentis et témoignages. Au fil du temps, un point d’équilibre s’établit entre celui qui, selon ses propres paroles « reste un intrus », et ceux qui subissent de plein fouet un quotidien souvent désespérant. Détenus comme encadrants. Nous faisons ainsi la connaissance de prisonniers aux itinéraires tortueux, dont on ne doute pas un instant que le dessinateur les a côtoyés, tant leurs portraits physiques, qu’il prend manifestement plaisir à caricaturer, et leurs parcours de vie, sonnent juste.

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Un témoignage sensible, dénué de tout sensationnalisme, à classer parmi les très bonnes études sur le sujet.

Anne Calmat

© Galien

Galien est un dessinateur et illustrateur basé à Caen. Pour lui le dessin de presse, c’est avant tout « gueuler ». « Je le fais pour évacuer un peu de colère », précise-t-il. Galien collabore régulièrement avec le trimestriel Fakir, ce journal « fâché avec tout le monde » qui a fait de l’enquête sociale sa ligne directrice.

État des lieux en France – Chiffres de septembre 2022 (Ministère de la Justice).

• 187 établissements pénitentiaires, dont 47 ont une densité carcérale supérieure à 100 %.

• Un peu plus de 60 000 places opérationnelles.

• Plus de 71 000 écroués détenus (19 000 prévenus et 52 000 condamnés).

• 1 830 matelas au sol.

• 647 mineurs détenus. Chiffres de septembre 2022 (Ministère de la Justice).

• Taux d’incarcération en France en 2020 : 105,3 personnes détenues pour 100 000 habitants.

Notons que le plan de construction de places de prison ne devrait pas changer la donne. Plus de 7 000 places nouvelles annoncées pour 2022 (finalement livrées en 2023, voire 2024), plus de la moitié compensera la fermeture programmée d’établissements vétustes. Les trente dernières années ont confirmé l’adage selon lequel plus on construit, plus on remplit

(source : Le Monde)

Album – Fichez-nous la paix ! – Cartooning for peace – Ed. Gallimard

COMMUNIQUÉ

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En partenariat avec Amnesty international et France Médias Monde – À partir du 2 mars 2023. 144 pages, 22 euros.

« Payons-nous, trente ans plus tard, les erreurs, faux pas ou mauvais calculs qui, au moment de la chute du mur, semblaient alors négligeables ? C’est possible, l’histoire est pleine de petits événements qui se traduisent bien plus tard par de grandes tragédies. Premier malentendu, qui figure en bonne place dans la tête de Poutine : qui a ‘gagné’ la guerre froide ? Gorbatchev, sur ses vieux jours, avant son décès à l’âge de 91 ans en 2022, s’est ainsi plaint publiquement que les Occidentaux s’étaient comportés vis-à-vis de la Russie en ‘vainqueurs’ alors que la guerre froide aurait pris fin parce que des dirigeants soviétiques comme lui avaient décidé d’inverser le cours de l’histoire. » Pierre Haski, chroniqueur sur France inter

Copyright Ed. Gallimard

Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. Cette guerre sur le sol européen a fait des milliers de victimes et nous ramène aux heures les plus sombres de l’Histoire. Si ce conflit rappelle à bien des égards les guerres du siècle passé, il fait aussi surgir d’autres problématiques et de nouvelles menaces : nucléaires, économiques, énergétiques, guerre de l’information… Titré Fichez-nous la paix!, l’album contient une sélection de 120 dessins de presse internationaux qui reviennent sur la guerre en Ukraine, ses enjeux et ses conséquences.

Copyright Ed. Gallimard

Provenant du monde entier, ils permettent de saisir les enjeux de cette guerre aux lourdes conséquences, qu’elles soient humaines, politiques ou économiques.

Copyright Ed. Gallimard

Celle qu’il n’attendait pas – Makyo & Luc Casalanguida / Ed. Delcourt

Depuis le 1er février – Copyright Makyo & L; Casalanguida (scénario) / Delcourt – 72 p., 16,95 €

Celle qu’il n’attendait pas…
Elle, c’est Camille, une jeune fille tourmentée de 19 ans, serveuse le soir dans un bar. Camille passe beaucoup de temps à scruter les grilles d’un bâtiment, que l’on croit tout d’abord être une prison.
Lui, c’est Roland Mars, un écrivain connu internationalement, dont on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’il vit comme un ermite, retranché dans une demeure que Camille a su débusquer. Mars vient tout juste de sortir un nouveau bouquin qui parle de « supranationalité et d’internationalité de l’esprit ».


Son titre, La tête dans les étoiles, l’intrigue et la revoie à son propre état.

Le lieu où vit Roland Mars semble exercer sur elle un pouvoir magnétique. Un jour il l’aborde. Elle lui fait part de son questionnement à propos du titre et du contenu de son livre. Il lui propose alors de prendre soin pendant un mois de ses plantes, tout en lui laissant entendre que ce pourrait n’être qu’une première étape vers « autre chose », à condition qu’elle s’acquitte consciencieusement de cette première mission. Il vous suffira de les regarder, ce qu’apparemment vous n’avez jamais fait, le reste viendra tout naturellement (…) Écoutez, soyez attentive, si vous avez besoin de conseils, les plantes sont là. (p.18).

Tel semble être le postulat des auteurs de cette fascinante bande dessinée qui, par l’intermédiaire du personnage de Roland Mars rappelle à celles et ceux qui seront prêts à l’entendre qu’il faut admettre une interaction entre les humains et les végétaux, entre les humains et les animaux, et qu’il faut être conscient qu’il n’y a pas de limites à notre ascendance, dont la mémoire est inscrite à jamais dans notre ADN.

Reste à détenir la clé qui permet de s’ouvrir à toutes ces perceptions, Makyo et Luca Casalanguida semblent l’avoir en leur possession. Et nous aussi, par définition.

Anne Calmat

Mademoiselle Else – Manuele Fior – Ed. Futuropolis

Depuis le 11 janv. 2023 – D’après la nouvelle de Arthur Schnitzler – Copyright M. Fior (adaptation et dessin) / Ed. Futuropolis – 96 p., 19€

Pour sauver son père de la ruine et du déshonneur, et sur injonction de sa mère, Else sollicite l’appui d’une vieille connaissance de sa famille, qu’il a auparavant déjà aidée. Ce dernier accepte à la condition qu’elle consente à se dévêtir devant lui. Le chantage du vieux libidineux fait écho à celui pseudo affectif de ses parents, qu’elle devine prêts à bien des compromis pour sortir de l’ornière. À la fois cueillie dans ses premières interrogations sexuelles, indignée par la pression qu’elle subit, mais ne voulant pas être responsable d’un possible suicide de son père, elle va accomplir sa mission, mais à ses conditions et d’une façon spectaculaire. Une décision à triple impact…

En novembre 2017, Manuele Fior illustrait La vie devant soi de Romain Gary alias Émile Ajar (v. Archives) ; sa mise en images de la nouvelle de Arthur Schnitzler, écrite en 1924 sous la forme d’un monologue épique qui témoigne de l’univers psychologique complexe et tourmenté de l’auteur, est cette fois encore un défi, que le dessinateur-scénariste relève haut la main.

Pour cela, il s’inspire du peintre tchécoslovaque Alfons Mucha et des artistes autrichiens Gustav Klimt et Egon Schiele, et restitue avec finesse l’atmosphère de volupté de la bourgeoisie viennoise de l’après-guerre.

A.C.

Manuele Fior

Né à Cesena. Après ses études d’architecture à Venise, il part à Berlin, Oslo puis Paris où il vit actuellement. Auteur de bande dessinées et illustrateur, il collabore régulièrement avec de nombreuses revues internationales (Feltrinelli, Einaudi, Sole 24 Ore, Edizioni EL, Fabbri, Internazionale, Il Manifesto, Rolling Stone Magazine, Les Inrocks, Nathan, Bayard, Far East Festival). Il a publié quatre romans graphiques : Cinq Mille Kilomètres Par Seconde (Atrabile 2010, Fauve d’Or – Meilleur Album – Festival International de Angoulême 2011, Premio Gran Guinigi – Autore Unico, Lucca 2010 ), Mademoiselle Else ( Delcourt 2009, Prix de la ville de Genève 2009), Icarus (Atrabile 2006, Prix A. Micheluzzi Meilleur Dessin 2006 ), Les Gens le Dimanche (Atrabile 2004).

Voir aussi dans les Archives: L’heure des mirages (janv. 2018) – L’entrevue (juin 2017) – Les Variations d’Orsay (octobre 2015)