
En novembre 2017, Marco Rizzo, journaliste et scénariste, et son compagnon de plume, Lelio Bonaccorso, dessinateur et auteur de BD, faisaient un reportage à bord du navire, affrété par l’ONG SOS Méditerranée pour sauver des migrants en mer…

Ils donnent ici la parole à l’équipage de L’Aquarius et en particulier au chef mécanicien, Antony, que tous appellent « Papa Panda ». Sur le bateau, on affronte une misère humaine incommensurable, avec des gens qui nous racontent des tortures, des viols… On est hanté par des images de femmes, d’enfants qui flottent sans vie à la surface de la Méditerranée et que nous avons repêchés. Des témoignages poignants de migrants émaillent le récit, témoignages qui prouvent, hélas, que s’ils savaient pourquoi ils fuyaient leur pays, la violence, la guerre et la misère, ils ne savaient rien de ce qui les attendait une fois à bord d’un bateau de passeur. On y trouve aussi des pages documentaires qui aident à comprendre la complexité et la dangerosité des missions de sauvetage.

Conversation avec les auteurs. © Futuropolis

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a donné l’envie de faire un reportage sur l’Aquarius ?
MR – Depuis plusieurs années en Italie, on parle de migrants et de secours en mer, bien souvent à travers la propagande ou les fake news. Je voulais faire ce que chaque journaliste devrait faire : voir avec mes propres yeux les fonctionnements d’un bateau comme l’Aquarius. En même temps, je voulais recueillir les histoires des migrants, mais aussi des secouristes pendant une période cruciale pendant laquelle deux mondes se croisent pour la première fois.
LB – La première raison qui m’a poussé à partir a été le besoin de voir de mes propres yeux ce qui se passe réellement dans le canal de Sicile, et de pouvoir le raconter à tous.
Quelles ont été vos principales difficultés ?
MR – D’abord une très vive émotion. C’est très compliqué d’avoir les idées claires quand il faut raconter la douleur des autres. Une autre difficulté concerne le grand nombre d’histoires recueillies. Même si beaucoup d’entre-elles malheureusement se ressemblent, en faire une sélection s’est révélé presque impossible. Face à cela, nous avons eu recours aux méthodes journalistiques, et surtout aux règles éthiques du journalisme, tout en faisant en même temps preuve d’empathie.
LB – Pas forcément des difficultés. En revanche, ça a été très prenant, aussi bien techniquement qu’humainement.
Vous êtes italiens. Quel a été l’accueil de l’ouvrage dans votre pays, sachant que le gouvernement actuel est pour le moins très critique envers l’Aquarius ?
MR – Le livre a été réalisé sous l’ancien gouvernement, qui probablement en essayant d’augmenter sa popularité avait déjà commencé à pointer du doigt les opérations des ONG. Cependant à cette époque, les autorités italiennes, comme le garde-côte, arrivaient encore à collaborer avec les ONG, dont elles coordonnaient les opérations. À partir du mois de mai, la situation s’est aggravée. D’une part parce que pour les ONG, il est désormais impossible d’agir, d’autre part parce que même le garde-côte italien en est empêché. Les ONG sont devenues des victimes de la propagande et de la mauvaise information. C’est pour cette raison que beaucoup d’Italiens ont peut-être eu un préjugé négatif sur notre livre, qui ne fait que raconter des événements que certains préfèrent faire semblant ne pas remarquer. Mais beaucoup d’autres, au contraire, ont accueilli cet ouvrage avec curiosité et intérêt, pour en savoir davantage et mieux connaître les faits et les histoires. Mise à part certains articles critiques (publiés avant l’édition du livre!) et l’habituel bruit des haters et trolls (des contenus haineux) sur les réseaux sociaux, notre livre a capté l’intérêt d’une Italie curieuse et solidaire qui ne cesse d’exister.
LB – Dans ce livre, nous racontons des faits réels qui peuvent être vérifiés, on n’entame pas une polémique avec le gouvernement. Nous avons rapporté les témoignages, les données et les éléments qui peuvent difficilement être démentis. C’est vrai aussi que nous avons subi des critiques et des insultes de la part de personnes qui n’ont même pas lu le livre ! Mais on s’y attendait. Nous avons également reçu énormément de compliments et d’éloges pour notre travail, et c’est extrêmement important pour nous, car ça signifie que nous avons fait du bon boulot.
128 p., 19 €
