
Copyright F. Matteuzzi (texte) & E. Benfatto (dessin) – Steinkis Ed, 122 p., 18 €

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »
Cette phrase d’Albert Londres était pour Anna Politkovskaïa une ligne de conduite.
Née à New-York, enfant privilégiée de la Nomenklatura, la jeune Anna choisit le journalisme. L’année 1999 marque un tournant. Elle couvre le conflit en Tchétchénie pour Novaïa Gazetta et met, dès lors, le pied dans un engrenage qui va conduire à son assassinat sept ans plus tard.
« L’unique devoir d’une journaliste est d’écrire sur ce qu’elle a vu. » A. P.
C’est en Tchétchénie que débute le récit de ce roman graphique, hommage à une journaliste courageuse et à une femme déterminée qui fut et reste la voix de la Russie qui résiste. Les reportages sans concessions d’Anna Politkovskaïa, témoin oculaire du conflit qui opposait à cette époque les indépendantistes tchétchènes (assimilés par Moscou aux terroristes d’Al Quaïda) au régime de Vladimir Poutine, dont elle dénonçait les crimes contre l’humanité, ont scellé le destin de la journaliste.
Bien qu’ayant conscience que sa vie ne tenait qu’à un fil, et malgré son découragement face aux représailles que subissaient ses informateurs, elle mena son combat jusqu’au bout. Par éthique professionnelle et aussi pour que les jeunes générations sachent que résister à l’arbitraire est un devoir.

Le 7 octobre 2006, jour anniversaire de la naissance de Vladimir Poutine, elle était assassinée dans l’ascenseur de son immeuble. Pour beaucoup, cet acte sonnait comme une nouvelle mise en garde à l’adresse des opposants à un pouvoir qui cultivait auprès de son peuple un esprit nationaliste et nostalgique de l’ère soviétique et des gloires passées de l’Empire tsariste.


Parce que chez nous, ça fonctionne ainsi. Si vous parlez, si vous révélez des faits que le régime veut dissimuler, vous êtes mort. Il y a les journalistes rééducables, ceux qu’on peut remettre sur la bonne voie (…). Ceux qui disent la vérité mènent une vraie guerre », lui fait dire Francesco Matteuzzi en page 51.
Quelques-uns des évènements majeurs qui ont traversé la décennie en question sont ici illustrés, comme par exemple la prise d’otages au théâtre de la Doubrovka (oct. 2002). On la voit qui négocie avec l’un des assaillants. Il lui dicte ses conditions de retrait, mais l’irruption des forces spéciales russes (qui ont introduit un agent chimique inconnu dans le système de ventilation du lieu) vient réduire à néant toute tentative de conciliation. Vient ensuite tragédie survenue dans l’école de Beslan, en Ossétie du Nord (sept. 2004). Elle est sobrement dépeinte par l’auteur à l’aide de quelques dessins de style naïf, sur un cahier d’écolier à petits carreaux : des militaires encagoulés, bâtons d’explosif à la main, terrorisent femmes et enfants. L’intervention des forces spéciales russes va une nouvelle fois mettre le feu aux poudres. La journaliste n’a rien pu faire. Elle espérait cette fois encore négocier avec les preneurs d’otages, mais elle en a été empêchée avant même d’avoir posé le pied sur le sol ossète.
Non rééducable, il faut la traiter en conséquence, a déclaré le maître du Kremlin…


Une BD toute simple, mais qui résonnait déjà à sa sortie comme un bel hommage à l’exigence et à la rectitude d’une femme qui ne faisait que son métier.
Anne Calmat