– Journal d’un travailleur dans la centrale nucléaire 1F de Kasuto Tatsuta (scénario et dessin) – Ed. Kana, 192 p., 12,70 € (T. 1/2)
Le prologue s’ouvre sur cette injonction : Soyez prudents !
Nous nous retrouvons devant un bâtiment destiné à l’origine aux footballeurs locaux, que la compagnie d’électricité Tepco avait offert à la circonscription avant la catastrophe. Il sert aujourd’hui de centre de liaison pour les travailleurs de la centrale.
Nous sommes à Fukushima en 2012, parmi ceux qui viennent œuvrer à la décontamination du complexe atomique.
Kasuto Tatsuta, ouvrier pendant six mois sur ce site ravagé par un tremblement de terre suivi d’un tsunami en 2011, nous propose un témoignage de première main, précis, circonstancié, rigoureux, qui va conduire le lecteur à partager toutes les étapes de cette aventure peu banale.
Ainsi, nous suivons les difficultés du recrutement, compliqué par la bataille des sous-traitants, chacun cherchant à emporter le contrat.
Après les péripéties de l’attente d’embauche, nous passons par les premiers travaux périphériques qui précèdent l’entrée dans le cœur de la centrale 1 F. Nous croisons des travailleurs motivés par les salaires mais aussi par le sens du devoir, qui s’organisent en colocation, se distraient avec des jeux d’argent, se montrent solidaires dans ces conditions extrêmes. Nous visitons le site, grâce à des plans, des schémas, des dessins détaillés. Nous découvrons les équipements, les règles, l’intendance. Nous partageons les tracas, qui vont de la peur de la première fois aux démangeaisons irrépressibles, du coup de chaleur à l’épuisement total. Nous entrons dans l’intimité quotidienne des ouvriers, jusqu’à cet usage des toilettes qui, sans eau courante, se révèle problématique.
Au hasard des déplacements – visions de fin du monde – nous voyons défiler des pans de paysages d’une région à l’abandon, où s’ébattent des animaux retournés à l’état sauvage.
Le message de l’auteur contredit le discours des médias : oui, des choses se font à Fukushima, qui échapperont à chacun des individus que leur taux de radiations finira par éloigner, mais leur travail de fourmi, ni vain, ni insensé, est révélateur de courage et source de fierté.
Le noir et blanc sied parfaitement au sentiment de danger latent présent à chacune des pages. Les dessins au crayon, nets, fouillés, éloquents, s’accordent avec la forme » documentaire » de la BD. La variabilité des prises de vue suscite l’impression de découverte, comme le ferait un reportage photographique. L’alternance de plans resserrés et larges crée une dynamique propre au mouvement du parcours que nous sommes invités à effectuer.
L’ensemble exerce une fascination qui amène la question inquiète : avec quoi jouons-nous ?
Nicole Cortesi-Grou
To-day