


Depuis 1956, la clinique de psychothérapie institutionnelle la Chesnaie (Loir-et-Cher) a développé un modèle thérapeutique sans construire de mur d’enceinte ni fermer ses portes. À la Chesnaie, établissement conventionné, les médecins ne portent pas de blouses blanches, soignants et soignés se côtoient de façon indifférenciée. « On ne sait pas qui est qui. Il faut se parler pour le découvrir » prévient l’infirmière. Car ce sont les échanges qui sont au coeur de la thérapie, « leur traitement, c’est avant tout de leur redonner une vie sociale, on est vraiment dans le soin individuel, à la carte ». Les décisions sont prises collectivement lors de réunions hebdomadaires (investissements prioritaires, sorties culturelles…), chacun y va de sa proposition. Dans ce lieu de soins qui est aussi un lieu de vie l’association Club de la Chesnaie tient une place prépondérante et rallie tous les suffrages. Créée en 1959, le club joue notamment le rôle d’interface avec l’extérieur, il est ouvert à tous et accueille spectacles et spectateurs, résidence d’artistes, d’écrivains, d’illustrateurs… Nombre d’ateliers (artistiques, sportifs, culturels) sont régulièrement proposés.


Après avoir brièvement décrit le fonctionnement de l’établissement, les deux auteurs s’attachent aux rencontres qu’ils ont faites. L’approche retenue est naturaliste : à quelques exceptions près, le lecteur les accompagne dans tous leurs déplacements. « À la Chesnaie on marche beaucoup, on trottine, on cavale, on crapahute, on traîne du pied, on clopine, on flâne, on trépigne, on tourne, on retourne, on détourne (…) Y en a qui vont quelque part, d’autres nulle part, y en a certains qui semblent chercher où aller, d’autres qui ont trouvé, y en a qui ont oublié où ils vont… et d’autres qui ne l’ont jamais su. » Cela donne lieu à des anecdotes cocasses ; le compte rendu graphique qu’en fait Jeff Pourquié met surtout en évidence le fait que la maladie mentale n’est la plupart du temps pas fatalement « visible » : l’agitation n’est pas la règle, celles et ceux avec lesquels Ducoudray et Pourquié interagissent n’expriment que rarement les troubles qui les habitent. D’ailleurs, lorsqu’ils le font, ils manifestent, à quelques exceptions près, plus d’angoisse que d’agressivité.



Le personnel est polyvalent. Il peut, selon un planning établi à l’avance, tout aussi bien affecté être à la distribution des médicaments, qu’au ménage ou à la préparation des repas. « On est sur des « missions » entre six mois et un an (…) On voit ainsi nos patients autrement que dans une relation figée ». Idem pour les patients, et pour nos deux bédéistes qui, dans le cadre de la répartition des tâches tournantes, vont ponctuellement être affectés aux fourneaux ou à la plonge. « Pourvu qu’on ne nous demande pas d’être psys ! »

Ducoudray et Pourquié décrivent avec humour et sans sensationnalisme les pathologies de ceux qui ont été pris en charge à la Chesnaie. Des visages, des mots, des attitudes, des parcours de vie. Les planches sont très denses, très dialoguées – sept cases en moyenne par planche. Trois pleines pages ont été plus spécifiquement dévolues à trois pensionnaires, avec quelques-unes de leurs représentations mentales en arrière-plan.

Un beau reportage qui tord le cou à quelques clichés sur la maladie mentale et porte haut les couleurs de l’humanisme. Ici patients et soignants s’enrichissent mutuellement et l’on rêverait que cette expérience, qui en France a été reproduite dans trois ou quatre établissements, devienne monnaie courante, avec ici un rapport nombre de patients/nombre des nombre de soignants défiant semble-t-il toute concurrence.
Anne Calmat
122 p., 19€