En librairie le 22 mars 2022 – Copyright E. Boré, Vincent / La Joie de lire – 56 p., 15 € – Tout lectorat à partir de 5 ans.
Où il est de nouveau démontré que les enfants accueillent mieux la vérité que ne le pensent les adultes.
Archives, avril 2022
Dans leur album précédent, les auteurs donnaient la parole à Jean-Blaise, un chat qui se prenait pour un oiseau (voir lien ci-après), dans celui-ci, Diouke le super-chat de la famille est omniprésent dans les conversations mais il vient de mourir, et son jeune maître ne le sait pas encore…
Pour l’annoncer à son fils bien-aimé, sa maman – qui évoque une « nana » tout droit sortie d’une bande dessinée de Claire Bretécher- décide d’avoir recours au traditionnel « Il est parti au ciel ». Ce qui ne veut pas dire grand chose pour lui. « Il s’est envolé ? »
Et de décrire avec force détails le pseudo envol, afin de rendre crédible sa version des faits. « Il a vu une échelle descendre des nuages… Il s’est élancé sur le premier barreau, là il a levé sa patte et sorti ses griffes en signe de victoire (…) avant de disparaître derrière un cumulonimbus blanc comme de la crème Chantilly ».
?!?!? Mine éberluée du fiston… qui on s’en doute trouvera un heureux dénouement au drame qui vient de le frapper en plein cœur.
Et vice-versa…
Le garçonnet est le narrateur, ce qui donne encore plus de force et d’amplitude au récit qu’il fait de cette journée si particulière. Tout est éloquent dans cet album empreint d’amour filial et de poésie saupoudrée de loufoquerie, à commencer par la couverture, qui résume parfaitement le lien qui unissait Dioude à son jeune maître. À mettre entre toutes les mains.
Née en 1984 en France, Émilie Boré est diplômée de l’École du Louvre et titulaire d’un Master en lettres et histoire de l’art. Active dans la rédaction et la communication culturelle, elle a notamment publié deux livres pour enfants (Contes saugrenus pour endormir les parents, Stentor, Montreux, 2014 et Serge le loup blanc, Clochette, Paris, 2015).
Né en 1979 à Genève, Vincent Di Silvestro, dit Vincent, est diplômé de l’école Emile Cohl de Lyon. En 2010, il devient dessinateur de presse pour le journal satirique romand, Vigousse. Il travaille également pour le quotidien genevois Le Courrier depuis 2014. Il est aussi auteur de bandes dessinées dont Rodger, l’enfance de l’art (co-écrite avec Gérald Herrmann, Éditions Hermine, 2018).
Lorsqu’en 2014 Galien accepte l’offre qui lui est faite d’animer un atelier de dessin dans la maison d’arrêt de Caen, il ne sait pas encore s’il parviendra à y trouver sa place. « Qu’est-ce que vous venez faire ici ? » lui a demandé quasiment d’entrée de jeu un détenu. Bonne question.
Le premier groupe vient d’arriver ; il sera par la suite remplacé par d’autres participants, au gré des libérations ou d’autres propositions d’ateliers. Ils sont avant tout venus pour « s’aérer », fuir la monotonie du quotidien, les images qui les hantent ou dont ils ont la nostalgie, oublier l’exiguïté de leurs cellules et se soustraire pendant un moment au boucan permanent qui n’autorise aucune évasion mentale. Quant à « se faire la malle » pour de bon, cela reste un fantasme pour beaucoup. « Une cavale, ça coûte cher » dit l’un d’entre-eux
En dehors de quelques bruits de couloirs et autres vantardises de la part de deux ou trois durs à cuire, à qui on ne la fait pas, Galien ne sait rien sur ses futurs « élèves ». De toute façon, il n’est pas là pour les juger, mais pour les amener à explorer « L’Homme du futur ». Sous son crayon à mine graphite, le sien évoque celui qu’a décrit Vitruve, puis dessiné Léonard de Vinci. Pour l’heure il lui faut apprendre à anticiper les demandes et les réactions de ses élèves, en comprendre les enjeux. Galien sait qu’il va être testé en permanence, qu’il doit savoir dire non ou au contraire lâcher du lest à bon escient. Apprendre aussi à fermer les yeux sur les petites combines inhérentes à la vie carcérale… Si le dessin parvient à les réunir, il deviendra un langage universel.
L’auteur nous entraîne sans difficulté dans ce qui a rapidement pris les allures d’une enquête sur la privation de liberté et ses incidences – ressentis et témoignages. Au fil du temps, un point d’équilibre s’établit entre celui qui, selon ses propres paroles « reste un intrus », et ceux qui subissent de plein fouet un quotidien souvent désespérant. Détenus comme encadrants. Nous faisons ainsi la connaissance de prisonniers aux itinéraires tortueux, dont on ne doute pas un instant que le dessinateur les a côtoyés, tant leurs portraits physiques, qu’il prend manifestement plaisir à caricaturer, et leurs parcours de vie, sonnent juste.
Galien est un dessinateur et illustrateur basé à Caen. Pour lui le dessin de presse, c’est avant tout « gueuler ». « Je le fais pour évacuer un peu de colère », précise-t-il. Galien collabore régulièrement avec le trimestriel Fakir, ce journal « fâché avec tout le monde » qui a fait de l’enquête sociale sa ligne directrice.
État des lieux en France – Chiffres de septembre 2022 (Ministère de la Justice).
• 187 établissements pénitentiaires, dont 47 ont
une densité carcérale supérieure à 100 %.
• Un peu plus de 60 000 places opérationnelles.
• Plus de 71 000 écroués détenus (19 000 prévenus
et 52 000 condamnés).
• 1 830 matelas au sol.
• 647 mineurs détenus. Chiffres de septembre 2022 (Ministère de la Justice).
• Taux d’incarcération en France en 2020 : 105,3
personnes détenues pour 100 000 habitants.
Notons que le plan de construction de places de prison ne devrait pas changer la donne. Plus de 7 000 places nouvelles annoncées pour 2022 (finalement livrées en 2023, voire 2024), plus de la moitié compensera la fermeture programmée d’établissements vétustes. Les trente dernières années ont confirmé l’adage selon lequel plus on construit, plus on remplit
En partenariat avec Amnesty international et France Médias Monde – À partir du 2 mars 2023. 144 pages, 22 euros.
« Payons-nous, trente ans plus tard, les erreurs, faux pas ou mauvais calculs qui, au moment de la chute du mur, semblaient alors négligeables ? C’est possible, l’histoire est pleine de petits événements qui se traduisent bien plus tard par de grandes tragédies. Premier malentendu, qui figure en bonne place dans la tête de Poutine : qui a ‘gagné’ la guerre froide ? Gorbatchev, sur ses vieux jours, avant son décès à l’âge de 91 ans en 2022, s’est ainsi plaint publiquement que les Occidentaux s’étaient comportés vis-à-vis de la Russie en ‘vainqueurs’ alors que la guerre froide aurait pris fin parce que des dirigeants soviétiques comme lui avaient décidé d’inverser le cours de l’histoire. » Pierre Haski, chroniqueur sur France inter
Copyright Ed. Gallimard
Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine. Cette guerre sur le sol européen a fait des milliers de victimes et nous ramène aux heures les plus sombres de l’Histoire. Si ce conflit rappelle à bien des égards les guerres du siècle passé, il fait aussi surgir d’autres problématiques et de nouvelles menaces : nucléaires, économiques, énergétiques, guerre de l’information… Titré Fichez-nous la paix!, l’album contient une sélection de 120 dessins de presse internationauxqui reviennent sur la guerre en Ukraine, ses enjeux et ses conséquences.
Copyright Ed. Gallimard
Provenant du monde entier, ils permettent de saisir les enjeux de cette guerre aux lourdes conséquences, qu’elles soient humaines, politiques ou économiques.
Renouvelant son intérêt pour la création littéraire et les différentes formes d’écritures, la Bibliothèque publique d’information expose pour la première fois des manuscrits de Serge Gainsbourg provenant de son domicile, rue de Verneuil à Paris, ainsi que de nombreux ouvrages de sa bibliothèque. Parolier, compositeur, interprète, réalisateur, photographe et romancier, Serge Gainsbourg fut profondément influencé par la littérature et la poésie, sources d’inspiration de nombreuses chansons. Il était aussi collectionneur de petits papiers, autographes et paperolles, qui témoignent de son rapport quotidien, méticuleux et compulsif à l’écrit.
Rue de Verneuil
Maître dans l’usage de la langue française, Serge Gainsbourg laisse derrière lui un impressionnant corpus de plus de 500 titres, écrits pour lui-même et pour ses interprètes, qui explique son influence dans la chanson française contemporaine.
Cette exposition entend plonger les visiteurs dans le paysage littéraire de Serge Gainsbourg en les accueillant par une vaste sélection des ouvrages tirés de son hétéroclite bibliothèque.
Autoportrait
Elle viendra aussi mettre en lumière la création de son « double » médiatique – Gainsbarre – personnage sorti tout droit de ses chansons, dans la lignée des doubles littéraires du XIXe siècle, du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde au Horla de Guy de Maupassant. Enfin, elle donnera à voir la formidable productivité de l’auteur et sa capacité à faire mouche, en proposant un riche ensemble de manuscrits et tapuscrits annotés. Ces précieux documents, associés au film inédit d’Yves Lefebvre, permettront au public de comprendre le processus d’écriture et de composition de l’artiste.
Toutes ces facettes, qui font de Serge Gainsbourg une figure littéraire et musicale unique aujourd’hui encore, seront à découvrir du 25 janvier au 8 mai 2023 à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou. Toutes ces facettes, qui font de Serge Gainsbourg une figure littéraire et musicale unique aujourd’hui encore, sont à découvrir du 25 janvier au 8 mai 2023 à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou.
ENTRÉE LIBRE – Entrée Bibliothèque par la place Georges- Pompidou – Métro Rambuteau
Depuis le 24 novembre 2022 – Copyright S. Coma / La Martinière. 984 p., 49, 90 €
Il y a du Dorian Gray chez Etienne Daho. Les années qui passent semblent n’avoir aucune prise sur lui. Le dandy élégant au déhanché à la fois sage et sexy de Mythomane (1981) et de La Notte, la notte (1984) poursuit son chemin depuis une quarantaine d’années, l’œil rivé sur sa propre ligne d’horizon intérieure.
Il a su, au fil de temps, prouver son épaisseur artistique et intellectuelle. Est-il pour autant un chanteur engagé ? La réponse se trouve bien souvent dans ses choix artistiques. Daho avance masqué, il dit mais n’assène pas.
ETienne Daho par Pierre et Gilles, 1989 copyright
En 2001, il interprète, par exemple, Sur mon cou et Le condamné à mort de Jean Genet ; en 2017, son nouvel opus appelle à la fois à la résistance et à cette forme de légèreté indispensable à la survie. Son onzième album, Blitz (2017), parle tout autant de djihad et que femmes qui tuent au nom de Dieu. Et dans L’hôtel des Infidèles (2017), il rend hommage à ceux qui accueillaient des Insurgés dans le Paris des années 40.
À l’occasion de ses quarante ans de carrière, Étienne Daho ouvre pour la première fois ses archives pour un livre riche de documents intimes et inédits..
A secret book retrace le parcours hors norme et la prodigieuse carrière d’un gamin né à Oran. Confiant en ses intuitions et en sa bonne étoile, il est devenu un auteur, compositeur, interprète, producteur exigeant, et un artiste iconique aimé et respecté. Sans compromis, Daho a depuis quatre décennies publié une quinzaine d’albums marquants et une flopée de tubes inoxydables. Il a survécu à la Dahomania et a imposé sa singularité artistique au point de devenir le parrain de la pop française. Casseur de codes, précurseur et passeur, il a réussi l’exploit de faire sauter les lignes de démarcation entre l’underground et la pop. Plus de quarante ans après la sortie de son premier album Mythomane, ce récit tout en anecdotes et confidences revient sur le tourbillon d’une vie artistique prolifique consacrée à sa passion pour la musique. À l’occasion de cette rétrospective inédite préfacée par Elli Medeiros, le secret Daho a pour la première fois accepté de partager ses archives et de confier courriers personnels, photographies intimes, télégrammes, affiches, coupures de journaux, manuscrits… et même ses carnets de notes de collégien. En bonus, ce livre nous offre une Paper Doll avec ses tenues les plus emblématiques. EditoLa Martinière
Extrait » Nous nous sommes connus à Rennes, dans les années 1970. Je le vois encore débouler dans la cour du bahut au moment de la récré. Il devait avoir seize ans. De loin, sa silhouette semble un peu flottante. Encombrée, disons. On a l’impression que sa tête est piquée au-dessus d’une veste dix fois trop large, avec tout un tas de fringues empilées dessous. Juste deux guiboles en jean qui dépassent et au bout, des boots en daim. Autour du cou, une écharpe violet et rose tricotée par sa mère souligne une pomme d’Adam qui fait le yoyo dès qu’il a un fou rire. Sur la pommette droite, un grain de beauté. Il n’est pas du tout dans le look, la sape, l’image. Il s’habille n’importe comment. (…) Toutes les filles adorent : il a une gueule, il est à part. Sous sa carapace de vêtements, il y a ce type cordial, doux, joyeux, et très marrant. Un champion de l’autodérision, avec son petit sourire en coin. Et puis derrière, et derrière encore, un petit quelque chose d’insaisissable, une ombre qui vous aimante autant qu’elle vous échappe. Une part manquante, intrigante. Rien ne filtre de sa vie antérieure, comme s’il n’en avait gardé aucun souvenir. C’est un personnage à éclipses au passé évanoui. Il vit le présent, et puis voilà. Personne ne pige d’où il vient, ni où il va, mais on sent qu’il est relié à une histoire forte qui s’inscrit dans le temps long. Un truc qui vient de très loin et qui vous file entre les doigts comme de l’eau vive dès qu’on tente de l’emprisonner avec des questions. » (p. 7)
Avec Françoise Hardy – ExpoDahO l’aime POp – Grande Halle de Villette (décembre 2017 – avril 2018). Copyright A. Giacomini, 1985
Depuis le 9 septembre – Copyright M. Panchaud (scènario et dessin) / Ed. çà et là. 225 p., 24 €
Les premières planches – Daisy Hope vient de terminer le gâteau qu’elle a confectionné pour l’anniversaire du petit Rupert Thomson. C’est son fils, Simon 14 ans, qui est chargé d’effectuer la livraison, en échange des 25 € demandés par sa mère. « Et interdiction de toucher au gâteau ! »
Simon ne détesterait pas l’idée d’y gouter, et surtout de garder l’argent pour se payer quelques friandises, mais cette somme est destinée à mettre du beurre dans les épinards, puisque, non content de tabasser sa mère, son vaurien de father claque une grande partie de sa paie sur les champs de courses. Simon ne détesterait pas non plus l’idée de se rendre sans encombres chez madame Thomson, puisqu’il fait régulièrement l’objet de moqueries et de harcèlements de la part des jeunes de son quartier, en raison de son « embonpoint » précoce. De là à entrer dans leurs magouilles, rien que avoir la paix, il n’y a qu’un pas…
p. 8
Un jour qu’il fait des courses pour madame McMurphy, « voyante » de son état, cette dernière lui révèle – moyennant abandon du prix de sa livraison – le nom de la prochaine gagnante de la prestigieuse Royal Ascot Race : Black Caviar. Tout un programme !
p. 24
Simon vient peut-être de perdre les 20 € de sa course, mais il ne va tarder à empocher plus de 16 millions de livres, après avoir misé sur la divine jument (grâce aussi aux économies de son père, qu’il lui a subtilisées au passage). Sauf que Simon est mineur et qu’il ne peut encaisser son gain.
Quand il revient chez lui, il trouve sa mère dans le coma et la police lui annonce que son père a disparu. Il doit absolument le retrouver. C’est le début d’une singulière et fascinante aventure…
p. 25
Singulière on l’aura compris au vu des planches qui illustrent cette chronique.
p. 14
On est tout d’abord déconcerté par le graphisme de l’album, réalisé avec des logiciels d’infographie : les personnages sont des points de couleur et les décors sont tous dessinés en plongée. Au tout début, on s’y perd un peu, surtout quand il s’agit de repérer Qui est qui (*). Mais les dialogues sont là pour nous éclairer, d’autant que l’agencement de chaque case a été conçu de manière à ce que lecteur sache toujours où il en est.
(*) Un exemple ? Daisy Hope : point turquoise cerclé de bleu marine ; Simon Hope : point orange cerclé de marron clair ; Dan Hope : point vert bouteille cerclé de noir…
Et ainsi de suite jusqu’au dernier personnage, et ils sont nombreux. Très rapidement les visages des un(e)s et des autres se dessinent, on entre de plain-pied dans ce scénario un peu foldingue, un peu polar, plutôt noir, et en totale résonance avec l’actualité.
Car Martin Pinchaud ne se contente pas d’être un « pointilliste« * de talent, il met aussi l’accent sur les grands thèmes qui continuent de polluer nos sociétés, à commencer par les violences conjugales et celles qui sont faites aux enfants par d’autres enfants.
N.D.L.R. Avec l’admiration sans bornes que nous vouons aux véritables Pointillistes.
Anne Calmat
Martin Panchaud est né en 1982 à Genève, en Suisse, et vit depuis quelques années à Zurich. Auteur et illustrateur, il a réalisé plusieurs bandes dessinées, des récits graphiques grand format et de nombreuses infographies, dans un style visuel unique. Sa très forte dyslexie a été un frein à sa scolarité et l’a empêché de suivre des études supérieures. Il a néanmoins suivi une formation de bande dessinée à l’EPAC, à Saxon, puis a obtenu un Certificat Fédéral de Capacité de graphiste à Genève. Sa dyslexie lui a fait placer la lecture, ainsi que l’interprétation des formes et de leurs significations, au centre de ses recherches, et l’a incité à choisir un style très particulier pour exprimer sa créativité et raconter des histoires. Grâce à son travail, il a reçu plusieurs récompenses et a effectué de nombreuses résidences artistiques afin de développer ses projets de création. Exposé dans divers établissements culturels en Europe, comme le Barbican Centre de Londres et le Centre culturel Onassis Stegi d’Athènes, il s’est notamment distingué par son impressionnante œuvre intitulée SWANH.NET, une adaptation dessinée de 123 mètres de long de l’épisode IV de Star Wars, mise en ligne en 2016 (v. ci-après). La Couleur des choses, son premier roman graphique, a été initialement publié en allemand par Edition Moderne en 2020 et a remporté de nombreux prix en Suisse et en Allemagne.
À partir du 2 novembre – Copyright P. Squarzoni / Delcourt, 264 p., 21€90
10 ans après la parution de Saison Brune, Philippe Squarzoni prolonge son documentaire de référence sur le réchauffement climatique. Accélérée par la crise sanitaire et les confinements successifs, la numérisation du monde est en marche. Et tandis que les écosystèmes s’effondrent, l’auteur s’interroge sur la place des nouvelles technologies dans le monde que nous transmettons aux nouvelles générations . Il examine nos nouveaux usages numériques pour mieux déterminer leur impact sur notre environnement.
À l’heure de la publication de ce second volet et au regard de la situation catastrophique actuelle, il nous a paru pertinent de rappeler la teneur du T.1 de Saison brune, paru en 2012 puis réédité en 2018 (Voir Archives 9/10/2015 & 17/08/2018).
Avec Philippe Squarzoni, le pavé n’a jamais été loin de la mare, au sens propre comme au figuré. Témoin, ce pavé (précisément) de 477 pages qui nous rappelle que » le compte à rebours est lancé et notre crédit de temps, limité. Il est déjà trop tard pour faire marche arrière » , écrivait-il alors. Le titre de l’album fait du reste référence à cette cinquième saison qualifiée de « brune » dans le Montana, période d’indécision entre l’hiver et le printemps.
Pour cela, l’auteur, grand zélateur de la bande dessinée d’intervention politique devant l’Eternel, fait appel à de nombreux spécialistes, des climatologues, un physicien nucléaire, une spécialiste en gestion de l’environnement, des économistes, un journaliste. Dans le premier volet de Saison brune, les deux premiers chapitres sont consacrés aux aspects scientifiques du réchauffement de la terre : fonctionnement du climat, augmentation des gaz à effet de serre, risques encourus, expertise menée par le GIC et par les participants au mouvement altermondialiste ATTAC, etc.
Puis Philippe Squarzoni se livre à un recensement de leurs conséquences – nul besoin de les énumérer, elles continuent de s’étaler chaque jour sous nos yeux – et de leurs remèdes possibles. Que faire, quand tout ce qui est en cause est fondamentalement lié au fonctionnement même de nos sociétés ? Par quoi, par où commencer ? Quelle peut être notre action niveau individuel ?
Squarzoni analyse les différents scénarios énergétiques qui s’offrent à nous, puis il élargit son questionnement à d’autres dysfonctionnements notoires. Il met en garde et examine les modèles de sociétés qui permettront de limiter les dégâts.
À l’instar de ses précédents albums*, il trouve la bonnes distance entre didactisme à tout crin et vie au quotidien. émaillant son récit de références cinématographiques (Kurosawa, John Ford…), de croquis sur le vif, de graphiques, de saynètes. Le tout rythme, diversifie et fluidifie un scénario particulièrement foisonnant, à défaut d’être réconfortant.
Anne Calmat
Philippe Squarzoni a passé son enfance en Ardèche puis sur l’île de la Réunion. Il réside à Lyon. Après des études de Lettres, il s’engage dans plusieurs actions politiques et humanitaires (Croatie, Mexique, Palestine…). Ses premiers albums politiques, Garduno, en temps de paix et Zapata, en temps de guerre ont été publiés en 2002 et 2003 (Les Requins Marteaux). Il s’empare également de sujets difficiles comme l’infanticide (Crash-Text ), la mémoire de la Shoah (Drancy – Berlin – Oswiecim ) ou le handicap mental (Les Mots de Louise ). En 2007, il publie Dol dans lequel il dresse un bilan des politiques menées durant le deuxième mandat de Chirac. Loin de ces préoccupations politiques, Squarzoni a publié son premier récit en couleurs chez Delcourt en 2008, Un après-midi un peu couvert, un livre plus sensible, contemplatif et intemporel, une variation sur le thème de Peter Pan. Saison brune (Delcourt, 2012), une édifiante enquête au long cours sur le changement climatique, le fait connaître du grand public (Prix Léon de Rosen de l’Académie française, Prix du jury du festival de Lyon BD). En 2016 il se lance dans d’adaptation du roman documentaire de David Simon,Homicide, une année dans les rues de Baltimore (voir Archives), qui relate l’immersion du journaliste au sein de la brigade criminelle de Baltimore en 1988 (série en 5 tomes parus aux Éditions Delcourt).
En librairie le 2 novembre – Copyright A. Lomaev / Ed Sarbacane. 608 p., 49,90 € Un chef-d’œuvre de la littérature dans une édition enrichie de 100 illustrations exceptionnelles.* (*Édition précédente octobre 2017)
Communiqué
Voici une occasion unique et somptueuse de faire le tour du globe à la poursuite de la célèbre baleine blanche ! Qui ne connaît l’affrontement obsessionnel, digne des grandes tragédies antiques, entre le capitaine Achab et la terrible Moby Dick ? Pourtant, jamais cette aventure mythique n’avait été présentée dans une édition aussi formidable, multi-illustrée par de véritables tableaux enrichis de quarante illustrations au trait. La traduction, parue dans la Bibliothèque de la Pléiade, est de Philippe Jaworski. Une édition de luxe qui fera date, pour les nombreux amoureux de ce chef- d’œuvre du patrimoine littéraire mondial. (Communiqué)
Né à Manhattan en 1819, Herman Melville prend la mer à 20 ans. Ses aventures autour du globe fourniront la matière, entre autres, du célèbrissime Moby Dick. Revenu à terre, il mène une vie stable et familiale à partir de 1847, dans le Massachusetts, puis à New York. Sa nouvelle intituléeBartleby date de 1853. Mort dans l’oubli à 72 ans, après des années douloureuses sur le plan personnel, Melville sera redécouvert dans les années 1920. Son œuvre complexe et ambitieuse est aujourd’hui étudiée et traduite dans le monde entier.
Anton Lomaev est né le 13 mars 1971 à Vitebsk, en Biélorussie. En 1992, il entre à l’Académie des Beaux-Arts de St Pétersbourg, ville où il vit toujours, avec sa femme et ses trois enfants. Il est membre de la prestigieuse union des peintres russes depuis l’an 2000. Il a illustré de nombreux contes traditionnels, mais aussi la fameuse série Rougemuraille (Redwall) de Brian Jacques. Sa maîtrise du dessin et de la couleur est absolument exceptionnelle, dignes des grands peintres classiques.
Copyright J. Sfar / Dargaud – Sortie le 30 septembre 2022 – 208 p., 25,50 €
Pas de félin philosophe et facétieux cette fois sur la planète Sfar, le scénariste-dessinateur a d’autres chats à fouetter. À commencer par cette saloperie de Covid qui vient de lui jouer un bien mauvais tour et lui laisse tout loisir de revenir sur sa propre histoire familiale, d’autant qu’il se donne peu de chances de survivre à la pandémie. Une histoire qui l’habite depuis des décennies,
C’est pour lui l’occasion de convoquer les figures tutélaires de son adolescence, à commencer, dès les premières planches de l’album, par Joseph Kessel, l’un de ses illustres prédécesseurs au lycée Masséna de Nice où le jeune Joann fit ses études dans les années 80. L’auteur de L’Armée des ombres (1898-1979) s’en veut encore de n’avoir pas tué Hitler, qu’il avait tout d’abord pris pour un bouffon inoffensif.
C’est pour l’hyper prolifique scénariste-dessinateur qu’est Joann Sfar l’occasion de rappeler au lecteur que le vrai danger vient autant des ceux qui véhiculent des idées nauséabondes que de la majorité silencieuse qui gobe son délire.
Puis Johann Sfar se souvient de ces années où, peu porté sur les rites et rituels religieux, il préférait rejoindre l’équipe, tout à fait officielle, des gardiens qui veillaient à la sécurité des lieux depuis les attentats qui avaient endeuillé la communauté juive à Paris. Le jeune Niçois va alors découvrir les joies des sports de combat, tout en se confrontant à l’absurdité des radicalités idéologiques et aux ambivalences de l’âme humaine.
Il sait que ces contradictions sont endémiques, et que l’Histoire a prouvé qu’elles sont destinées à ressurgir, aussi poursuit-il sa réflexion autour du deuil, de la religion et des extrêmes politiques. De nature plutôt pessimiste, mais admirateur de ceux qui se battent (au premier rang desquels son père, André Sfar, élu municipal vigilant, avocat engagé, défenseur avant l’heure de la cause des femmes et chasseur infatigable de néo-nazis), il met en scène cette courte mais déterminante période de sa vie, entre ses 17 et 21 ans, pour interroger le poids de l’héritage, la figure des héros et les menaces qui pèsent sur le monde. Un récit d’apprentissage agrémenté d’un cahier documentaire historique d’une trentaine de pages (docs , coupures de presse et photographies) particulièrement éloquent.
A. C.
Joann Sfar est né à Nice, le 28 août 1971, dans une famille juive ashkénaze d’origine ukrainienne, côté maternel et séfarade originaire d’Algérie, côté paternel. Orphelin de mère à l’âge de 3 ans, il prend le crayon pour refuge. Après des études de philosophie, il rejoint Paris pour y faire les Beaux-Arts où il anime des ateliers BD depuis plusieurs années. Figure de proue d’une génération de dessinateurs qui réinventa le langage de la bande dessinée dans les années 1990, il signe ses premiers projets aux Ed. L’Association,Delcourt et Dargaud. Seul ou en collaboration, il a signé plus de cent-cinquante albums, parmi lesquels, pour les plus célèbres, Petit Vampire (Delcourt/Rue de Sèvres) pour la jeunesse, la série des Chat du rabbin (Dargaud) ou encore ses Carnets, dont le dernier On s’en fout quand on est mort (Gallimard BD) paraîtra le 5 octobre.
Si les carnets de Joann Sfar sont toujours des fenêtres ouvertes sur notre société, On s’en fout quand on est mort est largement ancré dans le quotidien de l’auteur. Avec la verve et l’humour qui caractérisent son œuvre, il raconte ses vies multiples : celles de l’artiste, du père, du guitariste amateur, mais aussi celle du professeur aux Beaux-Arts. Dans ce quinzième carnet autobiographique, il nourrit notamment une réflexion sur la transmission et interroge notre rapport à l’art et à la littérature.
Lieu pluridisciplinaire du 19è arrondissement de Paris, ce Centre National de quartier est dédié aux Résidences, à la Création et à la Diffusion.
La treizième édition de notre festival de rencontres improvisées entre cirque et musique a sonné ! Chaque soir, huit artistes de cirque et un trio de musiciens se lancent à l’assaut d’un spectacle non recyclable au canevas imaginé dans l’après-midi. Leur seul mot d’ordre : la liberté absolue, l’écoute, la sincérité et une pointe d’humour iconoclaste. Pour cette nouvelle édition, le festival se ponctue par trois temps forts au cœur d’une scénographie imaginée par la plasticienne Camille Sauvage, transformant l’Atelier du Plateau en une maison de couleurs, avec bestioles d’intérieur et signes rupestres…
Quelque chose d’animal nous accompagnera la première semaine. On pourra y voir évoqué, incarné, tout un bestiaire d’animaux domestiques, sauvages, fantastiques et même y croiser quelques vraies bêtes. La seconde semaine sera consacrée au mât chinois, orientant notre regard vers Le monde des cimes là où l’air dit-on se raréfie et les visions s’agrandissent. Au programme, ballets d’acrobaties, et autres courses poursuites verticales. Enfin, nous tirerons le fil dans tous les sens. Nous clamerons Les précaires équilibres de notre espèce, et laisserons aux fil-de-féristes le mot de la fin.
L’Atelier du Plateau – 5, rue du Plateau – 75019 Paris – M° Botzaris / Jourdain
Quarante ans ans donc déjà que ce qui n’était qu’une utopie perdure, et qu’année après année la Maison des Cultures du Monde propose à son public des témoignages du génie des peuples. Des spectacles certes mais aussi des enregistrements, des articles, des études, des ouvrages, auxquels collaborent des artistes, des universitaires, des chercheurs, des passionnés de culture. Dix-neuf puis trente parutions de « L’internationale de l’Imaginaire », près de deux-cents éditions de vinyles et CD dans la collection INEDIT, quelques dizaines de catalogues, beaux livres et autres publications pour compléter ces approches des expressions culturelles dans la richesse de leurs diversités. Mais aussi des initiatives pour que la recherche progresse, avec la création du concept de l’ethno-scénologie, cette discipline que nous avons portée sur les fonts baptismaux en 1995 pour que le concept de patrimoine culturel immatériel, à la création duquel nous avons participé, trouve en France le soutien d’une institution culturelle pour surmonter des réticences administratives caduques. Quarante ans d’efforts d’une équipe réduite de passionnés courageux, travailleurs, convaincus de ce qui devenait pour eux une véritable mission. Tout cela se célèbre certes, mais dans la sobriété, la continuité, avec cependant quelques clins d’œil de rappel dans ce programme du Festival de l’Imaginaire qui boucle, lui, son quart de siècle. » Chérif Khaznadar Président de la Maison des Cultures du Monde-CFPC
Simon, un jeune Anglais de 14 ans un peu rondouillard, est constamment l’objet de moqueries de la part des jeunes de son quartier, qui le recrutent pour toutes sortes de corvées. Un jour qu’il fait les courses pour une diseuse de bonne aventure, celle-ci lui révèle quels vont être les gagnants de la prestigieuse course de chevaux du Royal Ascot. Simon mise alors secrètement toutes les économies de son père sur un seul cheval, et gagne plus de 16 millions de livres. Mais quand il revient chez lui, Simon trouve sa mère dans le coma et la police lui annonce que son père a disparu… Étant mineur, Simon ne peut pas encaisser son ticket de pari. Pour ce faire, et pour découvrir ce qui est arrivé à sa mère, il doit absolument retrouver son père. Au terme d’une aventure riche en péripéties et en surprises, Simon, l’éternel perdant, deviendra un gamin très débrouillard.
La Couleur des choses bouscule les habitudes des lecteurs et lectrices de BD ; le livre est intégralement dessiné en vue plongeante sans perspective et tous les personnages sont représentés sous forme de cercles de couleur.
Le récit oscille entre comédie et polar, avec une technique graphique surprenante qui mêle architecture, infographies et pictogrammes à foison. Cela donne un roman très graphique étonnant et captivant.
M. Panchaud
Martin Panchaud est né en 1982 à Genève, en Suisse, et vit depuis quelques années à Zurich. Auteur et illustrateur, il a réalisé plusieurs bandes dessinées, des récits graphiques grand format et de nombreuses infographies, dans un style visuel unique. Sa très forte dyslexie a été un frein à sa scolarité et l’a empêché de suivre des études supérieures. Il a néanmoins suivi une formation de bande dessinée à l’EPAC, à Saxon, puis a obtenu un Certificat Fédéral de Capacité de graphiste à Genève. Sa dyslexie lui a fait placer la lecture, ainsi que l’interprétation des formes et de leurs significations, au centre de ses recherches, et l’a incité à choisir un style très particulier pour exprimer sa créativité et raconter des histoires. Grâce à son travail, il a reçu plusieurs récompenses et a effectué de nombreuses résidences artistiques afin de développer ses projets de création. Exposé dans divers établissements culturels en Europe, comme le Barbican Centre de Londres et le Centre culturel Onassis Stegi d’Athènes, il s’est notamment distingué par son impressionnante œuvre intitulée SWANH.NET, une adaptation dessinée de 123 mètres de long de l’épisode IV de Star Wars, mise en ligne en 2016 (v. ci-après). La Couleur des choses, son premier roman graphique, a été initialement publié en allemand par Edition Moderne en 2020 et a remporté de nombreux prix en Suisse et en Allemagne.
Copyright J. Lemire / Futoropolis COMMUNIQUÉ – En librairie le 24 août – 256 p., 27 €
Juin 2020 (v. Archives)
Après The Nobdy, inspiré du roman de G.H. Welles, L’Homme invisible (v. ci-après), Jeff Lemire revient avec ce roman graphique dans lequel le surnaturel côtoie le réel et où – comme c’est souvent le cas chez lui – les liens familiaux vont de paire avec le spleen de son personnage principal.
Will est obsédé par sa fille morte dix ans auparavant, et par son incapacité à se rappeler son visage et les événements importants qui ont jalonné sa vie. Ne lui reste en mémoire que ce pull trop grand pour elle qu’elle portait, et qui sentait la naphtaline…
Will en néglige toute socialisation, dans sa vie privée comme au travail. Jusqu’à ce qu’un mystérieux appel téléphonique au cœur de la nuit chamboule sa vie. L’appel lui indique que sa fille est toujours vivante, coincée dans le labyrinthe d’un livre de jeux qu’elle n’avait pas terminé. Convaincu que son enfant le contacte d’un espace qui se situe dans un monde intermédiaire, il va utiliser le labyrinthe inachevé dans l’un de ses journaux et une carte de la ville pour la ramener à la maison…
Jeff Lemire
Jeff Lemire est né en 1976 et a été élevé dans le comté d’Essex (Canada), près du Lac Saint-Claireau. Il publie à la fois pour la scène alternative et pour le grand groupe DC Comics, où il est principalement scénariste. Il a étudié le cinéma, puis décidé de poursuivre dans le comics lorsqu’il a réalisé que son tempérament solitaire ne collait pas avec le métier de réalisateur.
COMMUNIQUÉ – Roman – En librairie le 17 août 2022 (15 € ) Parution simultanée en version numérique (10€90)
“Il y a près de deux décennies, j’ai publié un récit où je clamais que j’étais encore puceau à vingt ans et des poussières. Quelle inventivité possède le déni ! Mensonge par lequel je baissais le rideau de fer sur un viol, une disparition (vécue comme un abandon), un passage à tabac (évoqué, lui, mais falsifié, comme désexualisé) qui fracturèrent mon adolescence et me hantent pour toujours« .
Trois souvenirs d’adolescence qui signent plus encore que la fin de l’innocence, la fin prématurée des promesses. Ce texte brûlant, le plus intime et le plus cru de Daniel Arsand, peut se lire comme le making of de son incroyable roman, « Je suis en vie et tu ne m’entends pas« .
Mais aussi, comme le résumé de toute une vie ou sur les effets des violences sexuelles sur la vie et la construction de ceux qui les subissent. Quelque part dans ce texte, Daniel Arsand écrit : “Il n’est pas en moi que des orages, il n’est pas en moi que des ruines.”
Et pourtant, on peut lire Moi qui ai souri le premier comme une visite privée de ces orages et de ces ruines laissés en lui par trois rencontres déterminantes, trois souvenirs d’adolescence qui sont aussi des possibles trahis, qui signent, plus encore que la fin de l’innocence, la fin prématurée des promesses. Débusquer la lumière, la force, la beauté au-delà du saccage – c’est sur le terrain du langage réinventé que s’érige, entre résistance têtue, secret livré et liberté farouche, ce bref livre éblouissant.
« Il y a moins longtemps que cela, j’ai entrepris un roman sur les massacres d’Adana (1909) qui préfiguraient le génocide arménien. Je tentais par des mots et des histoires de dialoguer avec le silence que garda mon père, Hagop Arslandjian, sur ce qu’il avait vécu. Brusquement j’en interrompis la rédaction, la suspendis pour quelques semaines. Le silence paternel venait de me renvoyer, violemment et sans échappatoire, à celui que j’observais sur ce que j’avais vécu à quatorze, quinze ans. J’écrivis d’un jet un viol, une disparition et un passage à tabac. Je me crus en règle avec moi-même et remisai les pages dans un tiroir.
Et puis j’écrivis la renaissance d’un « triangle rose » après Buchenwald.
Et puis j’appris, désespéré et découragé, qu’en Tchétchénie on internait les pédés dans un camp où ils étaient torturés, liquidés, et si on les libérait c’était pour que les familles prennent le relais d’une destruction. Durant des mois et des mois, je ne sus plus comment écrire une histoire, ce qu’était simplement écrire. Un jour, enfin, j’ai ressorti d’un certain tiroir un certain texte que je me mis à retravailler dans ma bienfaitrice solitude, essayant de l’intensifier, et je regardai en face ce qui avait été. Et je dis ce que j’avais à dire.”
À PROPOS DE L’AUTEUR
Portrait de l’écrivain Daniel Arsand en juin 1998, France. (Photo by Louis MONIER/Gamma-Rapho via Getty Images)
Éditeur et écrivain, Daniel Arsand est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont notamment La Province des Ténèbres (Phébus, 1998, et Libretto, prix Femina du premier roman), En silence (Phébus, 2000, et Ivresse du fils (Stock, 2004), Un mois d’avril à Adana (Flammarion, 2011, prix Chapitre du roman européen) et, le plus récent, Je suis en vie et tu ne m’entends pas (prix Jean-d’Heurs du roman historique, prix littéraire des Genêts, prix du Roman gay), paru aux éditions Actes Sud en 2016.
Préface Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, enseignante-chercheuse au Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (LVIS) de l’Université de Lyon1.
Copyright Ed. Lapin – 80 p., 9 € – Sortie le 13 mai 2022
Depuis #metoo, les discussions à bâtons rompus sur l’égalité des sexes et les discriminations envers les femmes ont montré que l’égalité des sexes n’est pas encore là. Restera-t-il des différences physiques indépassables entre les hommes et les femmes ? Quand on y regarde de plus près, il s’avère qu’on a du mal à différencier « plus fort » et « mieux entraîné », « plus fort » et « socialement avantagé » et, voire à différencier « femme » et « homme »… Rien n’est clair, dans cette histoire de sport, de sexe et de genre…
Heureusement, les lapins sportifs de Phiip, guidés par la prose rigoureuse et scientifique d’Isabelle Collet, vont décrypter pour nous les mécanismes du sexisme dans le sport, et proposer des pistes pour le futur.
L’histoire des sportives est celle d’un combat ! Sans doute est-il nécessaire de rappeler qu’être sportive, en France comme ailleurs, a été et demeure toujours un sport de combat ! Effectivement, nombreux sont les travaux en histoire et/ou en sociologie du sport depuis une vingtaine d’années qui attestent combien le mouvement sportif et olympique a participé́ et participe encore à « menacer (les femmes)de façon ponctuelle ou régulière, dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité physique ou psychique », comme le souligne Thierry Terret en 2013 dans l’ouvrage Sport, genre et vulnérabilités au XXe siècle.
Ainsi, les sportives ont lutté contre trois catégories d’inégalités. En premier lieu, des inégalités d’accès aux institutions sportives et aux compétitions (notamment les plus prestigieuses) que celles-ci organisent.
À titre d’exemple, rappelons qu’il faut attendre 1970 pour que des femmes soient autorisées à prendre une licence sportive à la Fédération française de football ; 1984 pour qu’elles soient autorisées à courir le marathon olympique et 2014 pour qu’elles récoltent des médailles olympiques au saut à ski… Si ces inégalités d’accès tendent aujourd’hui à disparaître lorsqu’il s’agit des terrains sportifs (toujours pas de femmes au départ d’un Grand Prix de Formule 1…), elles sont toujours d’actualité lorsqu’il est question d’accès aux fonctions de dirigeantes ou d’entraîneures, a fortiori aux niveaux national et international. Rares sont les femmes à accéder à des postes à haut pouvoir décisionnel, si bien qu’on ne parle pas seulement de plafond de verre, mais aussi de plancher qui colle dans le milieu sportif comme ailleurs ! En second lieu, des inégalités de traitement sont à l’œuvre dans la mesure où les sportives sont souvent sous-dotées à tous les niveaux pour s’entraîner et performer. Moins de sections dites féminines, des budgets moindres, moins de créneaux horaires, moins d’encadrant·es qualifié·es, etc., contribuent, de façon sournoise, car souvent passée sous silence, à complexifier leur engagement dans le sport.
Enfin, des inégalités de reconnaissance perpétuent la croyance d’une moindre valeur des femmes et/ou du féminin dans le sport. Leurs performances sont alors parfois déconsidérées (si une femme l’a fait, c’est que c’était pas si dur que cela… ou wouah ! c’est fort pour une femme !), parfois invisibilisées (qui sait que Sarah Thomas détient le record de traversée de la Manche avec deux allers-retours entre Douvres et le cap Gris-Nez en 54 h de nage ?). Pas toujours facile d’être sportive, surtout lorsque celle-ci transgresse les standards de la « bonne féminité » ou s’aventure dans des bastions de masculinité comme le rugby, la boxe, le cyclisme ou les échecs (car oui, c’est un sport) !
En 2022, est-il encore possible d’ignorer ces inégalités, ces discriminations et même ces violences à l’encontre des femmes (voir l’enquête publiée dans Disclose le 11 décembre 2019 qui révèlent les cas de violences sexuelles dans le sport) ? Des prises de conscience s’opèrent et, progressivement, les lignes bougent. Depuis 2013, des plans de féminisation se développent au sein de certaines fédérations sportives françaises pour promouvoir des actions en faveur des femmes et jeunes filles (cette dynamique a permis à la Fédération française de football de tripler le nombre de ses licenciées en moins de 10 ans, passant de 50 000 en 2011 à 200 000 en 2019). Depuis 2014, une politique des quotas est mise en place en vue d’augmenter progressivement le nombre de femmes dans les comités exécutifs des fédérations sportives. En février 2022 est adoptée (non sans difficulté) la loi Sport fixant pour 2024 l’objectif de parité dans les instances nationales du sport et pour 2028 à l’échelon régional. Enfin, dans le cadre du plan impact et héritage des Jeux olympiques de Paris 2024, l’état français crée le label « Terrain d’égalité » qui sera attribué aux organisateurs d’événements sportifs qui respecteront une vingtaine de critères et d’actions destinés à promouvoir la parité. Bien sûr, ces avancées ne sont que partielles et de nombreux problèmes ou limites demeurent. Les plans de féminisation ne sont, pour l’heure, ni obligatoires, ni sources de sanctions si une fédération décide de ne rien ou peu faire ; les personnes en charge des dossiers sont souvent peu formées aux problématiques et méthodes en études de genre ; les femmes sont plus souvent secrétaires que présidentes lorsqu’elles intègrent le comité exécutif d’une fédération sportive… La liste serait longue. Parmi les axes d’action possibles, celui de la formation m’interpelle particulièrement. Effectivement, en tant qu’enseignante-chercheuse, dit Isabelle Collet, je suis convaincue que l’égalité femmes/ hommes ne s’improvise pas. être volontaire et/ou de bonne volonté est une chose, être formé·es (et encore mieux qualifié·es) aux théories et aux méthodes permettant d’analyser et de remédier aux inégalités en est une autre. Aujourd’hui, il est impératif de multiplier les formations au genre à destination de tous les agent·es, (salarié·es ou élues) du mouvement sportif et de faire de l’égalité femmes/hommes un métier. Il est aussi impératif d’informer et d’impliquer les plus jeunes : leur dire que tous et toutes ne prennent pas le départ sur la même ligne et leur permettre d’identifier les obstacles tout comme les moyens de les déconstruire.
Avec humour, Sexisme Man œuvre à cette ambition éducative, ludique et esthétique. Entre les mots concis et percutants d’Isabelle, et le trait fin et incisif de Phiip, Sexisme Man contribue à éveiller de nouvelles consciences et à nourrir les engagé·es de demain.
Isabelle Collet est professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève et directrice du groupe de recherche « Genre, Rapports intersectionnels, Relation éducative » (G-RIRE).
Philip dessine des lapins qui luttent contre le sexisme et publie des livres. Il est le fondateur des éditions Lapin. (V. interview https://youtu.be/L-BuvFOXWdA
Depuis. le 17 mars 2022 – Copyright P. Senges (scénario) & Serge Bloch (illustrations) / La Joie de Lire – Dès 6 ans, 80 p., 24,90 €
Un Livre CD qui donne à voir l’enfance du petit Jean-Baptiste Poquelin, avant qu’il ne devienne Molière, lu par Arnaud Mazorati et interprété par Les Lunaisiens et Les Pages du Centre de musique baroque de Versailles.
Frédéric Ladone
Les plus anciens n’auront pas oublié la part belle que la metteuse en scène-cinéaste, Ariane Mnouchkine fit au jeune Jean-Baptiste dans son film, Molière (1978). On assiste aux déambulations du presque adolescent dans le Paris de Louis XIV, où il va se nourrir de théâtre populaire, de l’art des bateleurs, des forains… Ce que voit alors le jeune Molière en herbe déterminera le destin du grand homme de théâtre français qu’il deviendra par la suite.
Parcourons maintenant l’album de Pierre Senges.
Jean-Baptiste, suivi de son grand-père, fou de théâtre (il aura tôt fait de détourner son petit-fils du destin universitaire que Jean Poquelin, tapissier du Roi, envisageait pour lui) a hâte d’atteindre le Pont-Neuf où le théâtre de la vie s’étale « en majesté » sous les yeux de tous les Parisiens.
Le Pont Neuf : « Un théâtre à ciel ouvert. On est sûr d’y voir des marchands d’onguents, des mimes, des acrobates, des jongleurs… » p. 16
Jean-Baptiste et Louis Poquelin partis à la découverte de » toutes les merveilles qui se trouvent au centre de la ville ». p. 10
Marchand de remèdes miracles p. 18
C’est tout un éventail de sensations et une galerie de portraits que l’enfant, curieux de tout, va engranger, et qu’il restituera plus tard dans ses comédies.
Une autre scène nous attend quelques pages plus loin, au Jeu de Paume du Marais, où, dans le calme d’un vrai théâtre, avec une scène, des coulisses, un acteur en costume, tout maquillé de blanc est en train de répéter son texte. Il s’agit de Montdory, prince des acteurs, directeur de ce que sera notre actuel théâtre du Marais… Il prédit à ce gamin terrorisé, incapable d’articuler une réplique de la Médée de Pierre Corneille… un avenir dans la comédie.
Nous n’en dirons pas plus, si ce n’est que la simplicité du récit, des images et des sons est un un bain de jouvence pour celles ou ceux qui auront entre les mains ce merveilleux petit bouquin. Plongez-vous donc sans tarder dans ce récit, hommage au célèbre dramaturge dont on fête le 400è anniversaire de sa naissance, et entraînez dans votre sillage toutes celles et ceux, qui ensuite vous en remercieront. Un grand bravo également à Arnaud Marzorati et aux musiciens du Centre de Musique Baroque de Versailles, sans qui ce livre n’aurait peut-être pas eu tout à fait la même aura. https://youtu.be/9-7RhkVBfhQ
Rappel : Après une expo en décembre à Paris, on peut désormais retrouver Izabela Ozieblowska à La Baule
Vitraux d’Art Ozieblowscy, 21340 Nolay
Depuis le mois d’avril 2016, Izabela Ozieblowska élabore ses créations dans un atelier niché au cœur d’un village médiéval des Hautes-Côtes de Beaune, dont l’architecture n’a pu que l’inspirer. Elle nous a ouvert ses portes et livré quelque-uns de ses secrets…
Izabela est maître-verrier, ou si l’on préfère, vitrailliste, bien que ce vocable nous semble passablement dissonant pour désigner un art aussi subtil. Elle a acquis ses compétences et son savoir-faire durant ses treize années d’études d’Histoire de l’Art en Pologne, à l’Université Jagellon à Cracovie, à l’Académie des Beaux-Arts de Katowice et à l’Académie des Beaux-Arts, département peinture, de Wroclaw. C’est également à Wroclaw qu’elle s’est tournée vers l’art du vitrail, avec pour guide le très distingué professeur Ryszard Wieckowski, qui disait d’elle « qu’elle était l’une des trois meilleures de Pologne. »
En 2016, elle s’installe avec son époux à Nolay, où ils créent LEUR atelier. « Nous travaillons ensemble depuis 25 ans. Je m’occupe de l’aspect artistique de chaque projet, et lui de la partie technique.«
L’exposition
« Je présenterai deux vitraux abstraits et trois figuratifs »
« Les trois vitraux ont la même taille (53×63 cm) et la même source d’inspiration : le Visage. Le même pour chaque œuvre. Je voulais montrer combien chaque visage peut sembler différent en fonction de l’environnement, de l’époque et du contexte. Il exprime en tout cas une personnalité et une conscience. Cette représentation, qui date du 19ème siècle, s’intègre parfaitement dans le présent, la beauté du personnage est universelle et intemporelle. »
Le vitrail central a une histoire particulière.
« En 2020, j’ai participé à un concours régional organisé par l’Atelier d’Art de France dans la catégorie « Patrimoine« . J’ai présenté ce vitrail, il a été sélectionné pour l’exposition au Salon du patrimoine culturel, au Carrousel du Louvre. Malheureusement, en raison de la Covid et du confinement, tout a été annulé.
« Dame Nature m’a ensuite inspiré les deux vitraux abstraits ci-contre. Ils seront également exposés à la Concept Store Gallery. Nous avons d’une part une ébauche de mur avec des efflorescences de sel, et de l’autre, la lave. Pour moi, l’abstraction est un jeu de couleurs. Je m’inspire d’un fragment de nature, je prends des photos, puis ensuite, j’imagine d’autres univers à partir de l’original, modifiant ainsi son image initiale. Je travaille ensuite selon la technique des poudres de verre. »
Comment Izabela procède-t-elle pour chaque création ?
« Créer un vitrail requiert, on l’a compris, un processus très long qui comprend plusieurs interventions et fait appel à différentes techniques. En ce qui me concerne, je prépare un dessin-projet qui doit correspondre à l’espace dans lequel il prendra place. On sait par ailleurs combien le symbolisme de la lumière traversant la matière a eu d’importance dans la pensée médiévale, à l’époque où l’art du vitrail prenait son essor. Chaque vitrail doit être conçu minutieusement, étape après étape : motif, forme, couleurs, dessin… »
Le vitrail n’est pas le seul mode d’expression d’Izabela, elle excelle également dans la gravure, la sérigraphie, la méthode « Tiffany » (procédé de montage à l’aide d’un ruban de cuivre), ou dans des techniques plus modernes comme le « fusing » (assemblage du verre par fusionnement) ou bien la poudre de verre qui, conjuguée au fusing, donne au vitrail des couleurs remarquables, mais aussi, un effet sculptural qui le rend encore plus exceptionnel. « J’adore ce procédé, les poudres produisent des effets visuels étonnants, des couleurs très lumineuses et permettent une totale liberté de création. Les vitraux réalisés selon cette technique sont uniques, contrairement à un vitrail peint traditionnel qui peut être reproduit. J’aime beaucoup faire des expériences, jouer sur la profondeur, mélanger les techniques pour obtenir le résultat final que je recherche. »
Qu’ils soient classiques, sacrés ou modernes, les vitraux qui sortent de son atelier sont réalisés « dans le respect des techniques traditionnelles qui remontent au Moyen Âge« , tient-elle à préciser.
De la diversité des sources d’inspiration d’Izabela Ozieblowska (vitraux hors expo)…
Où l’on (re)découvre les comix hors normes de la québécoise Julie Doucet, publiés pour la plupart dans la série Dirty Plotte(1991-1998), souvent autobiographiques, et dont l’insolence à tous crins continue de séduire… ou plus rarement, de choquer.
Depuis le 20 novembre 2021 – Copyright J. Doucet / L’Association – 400 p., 35 € (Adultes et adolescents)
Dirty Plotte 1/14
Il n’est pas rare qu’un auteur ou une autrice de bandes dessinées, ayant officiellement cessé d’en faire vingt ans auparavant, continue d’exercer une réelle fascination sur les bédéistes. Cela devient plus rare lorsqu’il s’agit d’une autrice underground. C’est le cas de l’irrévérencieuse et reine de la provocation, Julie Doucet. Active entre 1987 et 1999, à une époque où les dessinatrices n’étaient pas légion, surtout à se situer sur le terrain de l’esthétique trash. Avec elle tout y passe : cycle menstruel, masturbation, changement de sexe, serpent à pipe, etc.
La conception éditoriale et graphique de Maxiplotte a été réalisée par Jean-Christophe Menu, premier éditeur de Julie Doucet en France et co-fondateur de L’Association, en étroite collaboration avec l’autrice québécoise. Véritable panorama de l’évolution de son travail, Maxiplotte rassemble des travaux réalisés au cours de ses douze années d’activité d’autrice de bande dessinée. S’y déploie une œuvre à la fois subversive, féministe et fantaisiste. Julie Doucet évoque crûment et avec humour la vie du corps – des règles au désir sexuel en passant par les crottes de nez, les stéréotypes de genre, ses expériences de jeune femme, sans oublier sa vie onirique qu’elle relate abondamment. En noir et blanc, les récits s’épanouissent au fil de cases aux décors minutieusement élaborés, peuplées de personnages aussi insolites qu’attachants.
Julie Doucet
Julie Doucet est certainement l’auteure québécoise de BD la plus connue du monde. Ses bandes sont publiées en anglais, en français, en allemand, en finlandais et en espagnol. De plus, ses planches originales ont été exposées dans plusieurs villes tant au Canada qu’aux États-Unis, en France et au Portugal. Née à Saint-Lambert le 31 décembre 1965, Julie Doucet étudie en arts plastiques au cégep du Vieux-Montréal au début des années 1980. C’est dans cet établissement, à la faveur d’un cours sur la bande dessinée, qu’elle commence à s’intéresser à cette forme d’art. Doucet obtient son diplôme d’études collégiales, puis s’inscrit à l’Université du Québec à Montréal où elle étudie les arts d’impression et les arts plastiques. À cette époque, Yves Millet publie la revue Tchiize! (bis) (sept numéros de 1985 à 1988), une des seules revues à ne pas être exclusivement consacrée à la bande dessinée d’humour. Julie Doucet fait paraître une première histoire courte dans le deuxième numéro et récidive dans les numéros suivants. Entre 1988 et 1990, elle collabore aux deux numéros de L’Organe (qui devient Mac Tin Tac en 1990) ainsi qu’à Rectangle, revue de rock francophone et de BD. Ces deux revues marquent l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes montréalais underground dont font partie Doucet, Henriette Valium, Al+Flag, Marc Tessier, Alexandre Lafleur, Simon Bossé, Luc Giard, Siris, Jean-Pierrre Chansigaud, R. Suicide, etc. En septembre 1988, Julie Doucet fait le grand saut et crée son propre fanzine, Dirty Plotte, de format variable (et au titre tout aussi variable : Dirty Plotte Diet, Mini Plotte, Dead Plotte) qui paraît jusqu’en juin 1990 (quatorze numéros). C’est dans ces pages que Doucet met au point son style personnel de narration. Elle y entretient les lecteurs de ses fantasmes (réels ou inventés) et de ses angoisses, mais aussi de ses rêves, qu’elle note dans un journal personnel.
L’enfant que l’on découvre sur la couverture de Pupille 0877PE se prénomme en réalité Anna Nathalie. C’est son parcours que nous suivons ici. Un parcours chaotique, s’il en est, qui l’a menée de la plus profonde déréliction à la renaissance, grâce à son aptitude à puiser une force salvatrice dans sa révolte, et aussi, grâce à quelques bons génies que la Providence avait pris soin de placer sur son chemin parsemé de ronces et d’orties.
La vie de la petite fille bascule en 1968, à l’âge de 4 ans, lorsqu’elle n’est plus qu’un numéro sur les registres de l’Aide Sociale à l’Enfance, après une séparation sans ménagement d’avec sa mère et ses sœurs.
Extrait – « Un jeudi matin où mon agitation est au plus haut et que je fais semblant de jouer alors que je suis aux aguets, des signes me disent que ce sera pour aujourd’hui, le départ de la pupille. Mes pas, mes mains, mes mouvements, tout en moi est devenu mécanique. Silence au comble. Nulle chanson. Aucune parole de part et d’autre. Tata erre. Tonton-pipe fume et refume. Ma tête tape fort. Au fond de moi, l’enclume du cœur« .
Elle connaît ensuite une courte accalmie au sein de sa première famille d’accueil, qui a su panser ses plaies et rassurer cette « pauvre petite chose » habitée par le funeste sentiment de n’être pas digne d’amour, puisqu’elle a été rejetée. Mais très rapidement, Anna devra faire front.
Anna « la débile », comme on appelle celle qui, à force de vouloir être transparente, a fermé ses écoutilles et s’est murée dans le silence…
Anna la colère aussi. Colère contre ces institutions peu soucieuses de leur mission, qui, l’apprendra-t-elle beaucoup plus tard, ont préféré fermer les yeux sur tous les signalements de violences à son encontre, et pire encore, sur une demande d’adoption qui aurait changé le cours de sa vie.
Mais également, Anna la tendresse, la protectrice, capable, si jeune encore, de materner les plus vulnérables et de donner son cœur à celles et ceux qui lui ont offert le leur. Tous et toutes essentiels à son maintien en vie et en lutte, avec l’espoir fou de retrouver cette mère, qui un jour sinistre l’a abandonnée entre les mains d’une fonctionnaire de l’ASF.
Anna confrontée à la cruauté et au sadisme d’assistantes maternelles vipérines – véritables incarnations de la Folcoche d’Hervé Bazin – qui, pour certaines, se vengeaient de leurs frustrations sur ces enfants à qui on avait déjà tout pris. Anna enfin, livrée à quatorze ans aux « bas instincts » de celui qu’elle était censée appeler papa.
Bien d’autres épisodes, et non des moindres, émaillent ce récit aux allures de brûlot, mais nous n’en dirons pas plus, la suite appartenant à celles et ceux qui liront Pupille 0877PE. L’écriture est souvent lapidaire : phrases courtes, aucune affectation, les auteures vont à l’essentiel, quitte à se jouer des règles syntaxiques. Avec, de temps à autre, de belles envolées lyriques qui font battre le cœur un peu plus vite… et retenir son souffle.
Rappel : Après une expo à la Concept Store Gallery de Saint-Germain-des-Prés, en décembre 2021, on peut désormais retrouver Izabela Ozieblowka à La Baule…
Depuis le mois d’avril 2016, Izabela Ozieblowska élabore ses créations dans un atelier niché au cœur d’un village médiéval des Hautes-Côtes de Beaune, dont l’architecture n’a pu que l’inspirer. Elle nous a ouvert ses portes et livré quelque-uns de ses secrets…
Izabela est maître-verrier, ou si l’on préfère, vitrailliste, bien que ce vocable nous semble passablement dissonant pour désigner un art aussi subtil. Elle a acquis ses compétences et son savoir-faire durant ses treize années d’études d’Histoire de l’Art en Pologne, à l’Université Jagellon à Cracovie, à l’Académie des Beaux-Arts de Katowice et à l’Académie des Beaux-Arts, département peinture, de Wroclaw. C’est également à Wroclaw qu’elle s’est tournée vers l’art du vitrail, avec pour guide le très distingué professeur Ryszard Wieckowski, qui disait d’elle « qu’elle était l’une des trois meilleures de Pologne. »
En 2016, elle s’installe avec son époux à Nolay, où ils créent LEUR atelier. « Nous travaillons ensemble depuis 25 ans. Je m’occupe de l’aspect artistique de chaque projet, et lui de la partie technique.«
L’exposition
« Je présenterai deux vitraux abstraits et trois figuratifs »
« Les trois vitraux ont la même taille (53×63 cm) et la même source d’inspiration : le Visage. Le même pour chaque œuvre. Je voulais montrer combien chaque visage peut sembler différent en fonction de l’environnement, de l’époque et du contexte. Il exprime en tout cas une personnalité et une conscience. Cette représentation, qui date du 19ème siècle, s’intègre parfaitement dans le présent, la beauté du personnage est universelle et intemporelle. »
Le vitrail central a une histoire particulière.
« En 2020, j’ai participé à un concours régional organisé par l’Atelier d’Art de France dans la catégorie « Patrimoine« . J’ai présenté ce vitrail, il a été sélectionné pour l’exposition au Salon du patrimoine culturel, au Carrousel du Louvre. Malheureusement, en raison de la Covid et du confinement, tout a été annulé.
« Dame Nature m’a ensuite inspiré les deux vitraux abstraits ci-contre. Ils seront également exposés à la Concept Store Gallery. Nous avons d’une part une ébauche de mur avec des efflorescences de sel, et de l’autre, la lave. Pour moi, l’abstraction est un jeu de couleurs. Je m’inspire d’un fragment de nature, je prends des photos, puis ensuite, j’imagine d’autres univers à partir de l’original, modifiant ainsi son image initiale. Je travaille ensuite selon la technique des poudres de verre. »
Comment Izabela procède-t-elle pour chaque création ?
« Créer un vitrail requiert, on l’a compris, un processus très long qui comprend plusieurs interventions et fait appel à différentes techniques. En ce qui me concerne, je prépare un dessin-projet qui doit correspondre à l’espace dans lequel il prendra place. On sait par ailleurs combien le symbolisme de la lumière traversant la matière a eu d’importance dans la pensée médiévale, à l’époque où l’art du vitrail prenait son essor. Chaque vitrail doit être conçu minutieusement, étape après étape : motif, forme, couleurs, dessin… »
Le vitrail n’est pas le seul mode d’expression d’Izabela, elle excelle également dans la gravure, la sérigraphie, la méthode « Tiffany » (procédé de montage à l’aide d’un ruban de cuivre), ou dans des techniques plus modernes comme le « fusing » (assemblage du verre par fusionnement) ou bien la poudre de verre qui, conjuguée au fusing, donne au vitrail des couleurs remarquables, mais aussi, un effet sculptural qui le rend encore plus exceptionnel. « J’adore ce procédé, les poudres produisent des effets visuels étonnants, des couleurs très lumineuses et permettent une totale liberté de création. Les vitraux réalisés selon cette technique sont uniques, contrairement à un vitrail peint traditionnel qui peut être reproduit. J’aime beaucoup faire des expériences, jouer sur la profondeur, mélanger les techniques pour obtenir le résultat final que je recherche. »
Qu’ils soient classiques, sacrés ou modernes, les vitraux qui sortent de son atelier sont réalisés « dans le respect des techniques traditionnelles qui remontent au Moyen Âge« , tient-elle à préciser.
De la diversité des sources d’inspiration d’Izabela Ozieblowska (vitraux hors expo)…