Couleurs

de Sylvain Escallon (scénario et dessin) – Ed. Sarbacane

Vous adorez les intrigues ouvertes à de multiples interprétations ? Ce roman graphique est pour vous. Jugez-en plutôt.

Au départ : un voyage en train, un jeune homme dont on ne connaîtra pas le nom, rescapé semble-t-il d’un séisme de grande ampleur, et un bon Samaritain qui s’est porté volontaire pour l’accueillir chez lui en échange de travaux de jardinage. Herman Desonge va  l’installer dans l’atelier d’artiste qui jouxte sa propriété. Herman est peintre. On ne sait rien de son protégé, si ce n’est qu’il est totalement amnésique depuis qu’on l’a extrait des décombres d’un bâtiment, victime d’une forte commotion cérébrale. Dès son arrivée, le jeune homme a une impression de  » déjà-vu, déjà entendu « . Un scénario qui, au cinéma comme en littérature, est généralement propice à la manipulation du plus vulnérable par le plus fort…

L’album est en grande partie réalisé en noir et blanc. La première touche de couleur apparaît sur la porte de l’unique cabinet médical du village que les deux hommes traversent avant de se rendre chez le peintre.

Le garçon souffre à intervalles réguliers de violents maux de tête et il ne va pas tarder à franchir la porte en question.

Celui qui le reçoit l’installe sur ce qui tient plus du fauteuil de torture que de la table d’examen. Il lui fait subir ce qui ressemble à une « radiothérapie en technicolor ».  Le jeune homme en ressort dans un état second, proche de la sidération ; ses yeux sont injectés des couleurs absorbées,  mais la douleur a disparu.

Que n’a-t-il alors été en mesure d’entendre ce que lui a murmuré le clochard, posté comme en sentinelle à proximité des grilles de la propriété d’Herman ?  » Toi… Des papillons dans tes yeux, pétales de douleur… filent, filent sur une brise fine… éclats de couleurs de tes souvenirs. Tourne, tourne celui qui t’éblouit, celui qui t’endort, celui qui va te voler ton rêve. Garde tes couleurs et fuis… Fuis, car je suis celui que tu seras.  »

A son retour, une toile vierge, des pinceaux et une palette trônent au milieu de l’atelier et l’invitent à la création. Bientôt, les couleurs emprisonnées dans son crâne se retrouvent sur la toile.

Quelques jours plus tard, même scénario : violente migraine, suivie d’une séance de radiothérapie à l’identique, puis d’une nouvelle production artistique.

Que signifie tout cela ?

La réponse appartient aux futurs lecteurs de ce roman graphique aux inflexions kafkaïennes, dans lequel chaque scène est particulièrement percutante… et diaboliquement efficace. Avec une composante espace-temps qui en renforce l’étrangeté, et un dénouement à la hauteur de l’ensemble.

Anne Calmat

144 p., 18,50 €