Ici

Ici de Richard McGuire (scénario, dessin et couleurs) – Ed. Gallimard – Fauve d’or, Angoulême 2016.

Sur la couverture de l’album : côté face, une fenêtre, côté pile, le mur en briques de l’arrière d’un bâtiment. Entre les deux, 304 planches, qui pour beaucoup décrivent ce qui s’est passé depuis la construction de la maison dans la pièce « à la fenêtre ». Mais plus largement, ce qui s’est passé à cet endroit précis au fil des âges. L’éventail des situations décrites se déploie sur des millénaires. Qu’y avait-il ici en 100 000 ans avant J-C ? Et en 1402 ? En 1553 ? Ou bien en 1203, quand tout n’était alors que marécages ?

Réponses improbables, sauf quand il s’agit de celles de  Richard McGuire.

Sait-on seulement qui a vécu trente ans auparavant dans le lieu que l’on occupe aujourd’hui ? Et peut-on imaginer ce qui s’y passera dans cent ans ? L’auteur semble avoir réponse à tout. Et ce qu’il ne sait pas, il l’imagine et nous invite à le suivre dans sa course folle aux souvenirs inventés.

Pas de chronologie, rien n’est figé. Chaque scène est datée en haut à gauche de chaque double planche, avec la plupart du temps, télescopage de différentes époques.

Ici, nous sommes en 1957, une mère tient un nouveau-né dans ses bras, cependant que d’autres cases nous montrent celles qui en ont fait autant dans les années 20, 40 ou 80. Là, nous sommes en 1983, la page comprend cinq cases et autant d’instants de vie : une famille se fait photographier sur un canapé, trente ans plus tôt, un jeune garçon jouait les équilibristes devant la cheminée du salon, sept décennies plus tard, une femme, que l’on ne fait qu’entre-apercevoir, dira ”Je n’ai pas vu le temps passer”.

Ici, ce sont les cueilleurs-chasseurs des tribus indiennes qui sont à l’honneur, plus loin, un peintre impressionniste semble nous convier à un déjeuner sur l’herbe.

L’album se présente comme une suite d’instantanés au parfum familier, constitués de gestes anodins, de tropismes, de tous ces petits riens qui se perpétuent de génération en génération : on repeint une pièce… à ses risques et périls ; des mômes font les zouaves sur le tapis du salon ou communient en cercle autour d’une télé ; on cherche ses lunettes ou ses clés ; on oublie ce qu’on allait faire au début de l’album et on s’en souvient à la fin…

Le rapport au temps semble être au coeur de cette œuvre-miroir envoutante et vertigineuse, qui se décline comme une partition musicale, avec ses allégros et ses adagios.

A.C.

304 p., 29 €