de Patrick Prugne (scénario et aquarelles) – Ed. Daniel Maghen
Le retour en grâce sur le petit écran des westerns des années 60 a mis un coup de projecteur sur ces hommes et femmes qu’à l’époque on appelait indifféremment « les Peaux-Rouges », qu’ils soient originaires d’Amérique du Nord, du Sud ou du Canada. Il y avait les Apaches, les Sioux, les Comanches, les Cheyennes, etc. Et les Iroquois. Pour tous, sédentaires ou nomades, l’arrivée des Blancs a eu des répercussions plus négatives que positives.
L’action se déroule à Québec au début de l’été 1609. Plus préoccupé par les richesses que lui procurent la pêche à la baleine et le commerce des fourrures, la France d’Henri IV s’intéresse peu à ces arpents de terre habités par une poignée de « sauvages », pacifiés par l’explorateur Samuel de Champlain. Mais ce dernier, fondateur de Québec, a un objectif : établir des relations de confiance avec les nations amérindiennes (Hurons, Algonquins, Montagnais), grandes pourvoyeuses de fourrures, en leur prêtant main-forte pour que cessent les raids meurtriers dont ils font l’objet de la part des Iroquois, et donner ainsi à son comptoir l’ampleur d’un important lieu d’échanges commerciaux.
Constituée de trois bâtisses en rondins entourées d’une enceinte en bois, ladite colonie de Nouvelle-France abrite un groupe d’hommes qui s’apprêtent à faire face à leur premier conflit.
L’album débute au moment où, soucieux de complaire à ses alliés hurons et montagnais et soutenu par une quarantaine de colons français, Champlain a décidé de passer à l’action en allant combattre l’ennemi sur ses propres terres. L’équipe est guidée par « Le Basque », un trafiquant de peaux qui connaît parfaitement la région, et qui a toutes les raisons de vouloir la mort de ceux qui l’ont scalpé. L’explorateur dispose quant à lui d’un argument de poids en la personne d’une otage, « Petite Loutre », fille d’un chef iroquois, achetée peu de temps auparavant aux Algonquins.
Les Iroquois et « Petite Loutre » sont résolus à vendre chèrement leur peau, mais que peuvent les plus braves contre les « bâtons tonnerre » ? Champlain est loin d’imaginer que cette opération guerrière, dite bataille du lac Champlain, va engendrer deux cents ans de conflits entre Français et Iroquois.
Je vois du sang… beaucoup de sang… Car la vengeance de notre peuple sera terrible pour d’innombrables lunes à venir, prédit en conclusion un vieux sage.
L’album, agrémenté d’un riche cahier graphique d’une vingtaine de pages, est splendide. L’évocation de cet épisode historique permet une nouvelle fois de mesurer les ravages sur les populations amérindiennes qu’ont engendrés l’arrivée des colons. Mais également, le degré de cynisme du personnage principal – peut-être à son corps défendant – dicté par l’obligation absolue de servir les intérêts du royaume de France. La haine qui oppose les Hurons aux Iroquois semble trop profonde, jamais nous ne parviendrons à les rapprocher. Il nous faudra choisir entre les uns et les autres, déclare l’un des personnages. Ce à quoi Champlain répond : Eh bien, nous choisirons en temps voulou. Ce sera le commerce des fourrures qui donnera le « la ».
À bon entendeur.
Anne Calmat
104 p., 19,50 euros
Les planches originales de cet album sont visibles à la galerie Maghen (Paris 6e) jusqu’au 17 septembre, puis au festival BD Boum de Blois, du 18 au 20 novembre 2016.