La Chute (T.1&2/5) – Jared Muralt – Ed. Futuropolis

(T. 1) Depuis 4 mars 2020 – © J. Muralt (Scénario et dessin) / Futuropolis – 72 p., 15 €

La première publication, en Suisse, du tome 1 de La Chute date de décembre 2018.  C’est dire si l’auteur s’est révélé particulièrement visionnaire en imaginant cette histoire aux accents apocalyptiques.

Un « devin » ? Non, tout simplement un scénariste-illustrateur qui, à force d’observer le monde tel qu’il va, en a conclu qu’il va dans le mur.

Qu’est-ce qui peut amener les hommes à une telle situation, et comment survivre dans un monde en chute libre ? Jared Muralt invite ses lecteurs à y réfléchir.

Ce qui est décrit nous est familier : un été caniculaire, une pénurie d’eau – avec toutes les conséquences que l’on imagine, une grippe estivale qui a viré à la pandémie mondiale malgré un plan de vaccinations massives. Toutes les conditions sont réunies pour une crise sanitaire et socio-économique sans précédent.

Le premier tome plante le décor de la tragédie en cinq actes qui va se jouer.

C’est ainsi que nous faisons la connaissance de Liam. Il rentre chez lui après avoir été licencié. Les nouvelles à la radio sont alarmantes. Il traverse des hectares de champs devenus stériles ; pas un arbre, pas un bovin à l’horizon pour donner un souffle de vie à ce paysage désolé.

Liam, la quarantaine, est père de deux ados, Max et Sophia, et époux d’une infirmière qui ne va par tarder à quitter la scène, emportée par cette « grippe estivale » qui a déjà fait tant de ravages. Les premiers signes de violences, qui se terminent dans un bain de sang, sont apparus dans cette partie de la Suisse allemande, malgré un service d’ordre assuré par les forces armées. La ville est désertée, les magasins d’alimentation ont été dévalisés ou pillés, Liam n’a plus d’autre choix que de partir avec ses enfants, dans l’espoir de rejoindre, malgré le couvre-feu strict qui a été décrété, ses beaux-parents qui possèdent un chalet à la montagne…

Détail planche

(T 2) Depuis le 6 janvier 2021 – © J. Muralt / Futuropolis – 88 p., 16 €

« La nature ne pardonne pas, n’oublie rien… Des coups, elle peut en supporter mille et rendre soudain non pas œil pour œil mais apocalypse pour chiquenaude » a écrit Jérôme Deshusses dans son roman Délivrez Prométhée. (Flammarion, 1978)

Ce qui est décrit dans le tome 2 va nous plonger dans une atmosphère plus oppressante encore. On pense irrésistiblement au roman de Cormac McCarthy, La Route

On a vu que Liam avait décidé de fuir un environnement devenu inhospitalier, dans l’espoir que ses enfants et lui trouvent un semblant de tranquillité dans les Alpes suisses. Au moment de partir, alertée par des cris insolites, Sophia retourne dans leur immeuble, dont elle ressort avec un bébé dans les bras. Une petite fille.

Puis l’auteur développe son analyse des situations possibles à venir. Les gouvernements n’ont pas suffisamment tenu compte du réchauffement climatique, qui pourtant se renforçait année après année, ni su endiguer la crise socio-économique qui sévissait dans leurs États ; une crise poussée à son paroxysme par l’apparition non-anticipée de cette grippe particulièrement virulente. Résultat : l’inéluctable s’est produit, le chaos généralisé a pris le pouvoir.

La vie à l’extérieur s’est organisée sur un mode clanique : tout étranger au groupe est un ennemi potentiel, et qui plus est, un ennemi mortel porteur du virus. Mais quand on a charge d’âmes, il faut faire face avec la seule arme dont on dispose : la détermination…

Liam, ses deux enfants et le bébé sont donc parvenus à quitter Berne, mais ce qui les attend ressemble aux prémices de l’enfer.

Et nous ne sommes qu’au début de cette fiction, remarquablement servie par le coup de crayon éloquent de Jared Muralt, (voir également les planches de croquis à la fin de chaque album). Nous saurons au dernier acte si – selon Jared Muralt – le mur que les hommes ont érigé est infranchissable…

Planche de croquis, détail

Anne Calmat

Jared Muralt est né en 1982 à Berne, en Suisse. Il suit des cours dans une école d’art, mais développe surtout des qualités de dessin anatomique de manière autodidacte au travers des livres. Il est aussi le co-fondateur des studios Backyard, une agence de design graphique qui a reçu le prix de la ville de Berne.

Texte © Paquet