
Dans presque toutes les civilisations, l’ours est considéré comme l’animal le plus proche de l’homme. Au Moyen Âge, alors qu’il était encore beaucoup plus présent en Europe que maintenant, on en a fait même un ancêtre.

Grenoble, prison Saint-Joseph. Un gardien vient chercher un prisonnier dans sa cellule et lui annonce que sa demande en grâce a été rejetée. Ce dernier reste impassible, il a déjà tout perdu, sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue.
Quelques planches plus loin, un flash-back renvoie le lecteur à l’année 1898. Un berger du Vercors vient de tuer le dernier ours de la région ; il saccageait les troupeaux depuis des mois. Tous les villageois, jeunes et vieux s’en félicitent, à l’exception d’Edouard Roux, dix ans, pour qui chaque créature vivante est unique et doit être protégée par les hommes. « C’est une belle saloperie d’avoir tué une aussi belle bête« , crie-t-il. S’en suit une bagarre avec ses « camarades » de classe dont il subit régulièrement les violences, en grande partie dues à sa couleur de cheveux. L’intervention du père de l’un d’entre-eux, un gendarme, met fin au conflit. Il lui annonce « qu’il finira au bagne ou à l’échafaud« . Le couperet vient de tomber, le destin du « rouquin » est scellé.
On le retrouve en 1917, il gît sur le lit d’un hôpital militaire, il est le seul rescapé d’une offensive allemande qui a décimé son unité. Sa tête est entièrement recouverte de bandages, une infirmière lui conseille de ne jamais se regarder dans une glace, « Tu ne pourras pas non plus parler, tu as eu la moitié du visage arraché dans l’explosion« . Edouard écrit alors à sa mère qu’il est devenu un objet d’horreur et qu’elle ne la reverra pas. Il ne se déplace plus qu’avec un sac sur la tête.

Un jour, quelqu’un lui parle d’une sculptrice, Jeanne Popelet, qui répare les gueules cassées…

Une nouvelle vie va commencer pour Edouard Roux, même s’il a conservé de l’ancienne un amour viscéral du monde animal et végétal, qu’il continue de vouloir protéger de la folie des humains. Une vie au milieu des artistes du moment et auprès de celle qu’il aime et dont il est aimé, Jeanne.
La jeune femme propose un jour qu’il lui fasse découvrir les lieux de son enfance. Edouard l’emmène alors dans un endroit secret – et qui doit le rester, dans lequel elle découvre une grotte remplie de peintures rupestres, avec tout au fond, la dernière reine des ourses. Elle lui semble si réelle qu’elle peut sentir son souffle sur son visage. Sous l’impulsion de son amant Jeanne décide d’en faire une sculpture et d’immortaliser à jamais l’ourse fabuleuse. Le projet sera mené à bien… pour le plus grand malheur d’Édouard Roux.
Les cent-quarante planches qui suivent appartiennent aux lecteurs et lectrices de ce somptueux album qui fait partie de la Sélection officielle de la 50ème édition du Festival de la BD à Angoulême.



Le Loup (v. Archives nov. 2019 et juillet 2021) interrogeait sur la place de l’humain au sein du règne animal, le présent album revient sur cette interrogation cruciale, tout en mêlant questionnements écologiques, histoire d’amour et puissance régénératrice de l’Art. La Dernière Reine, entièrement conçue par Jean-Marc Rochette, fait partie de ces quelques B.D. que l’on peut tout simplement qualifier de somptueuses, et qui font battre les cœurs. A. C.
