La tête en l’air (Arrugas) de Paco Roca (scénario, dessin, couleurs ) – Ed. Delcourt.
Sorti en 2007 aux éditions Delcourt sous le titre Rides, l’album a été réédité en 2013 sous celui de La tête en l’air. Traduit en dix langues, il a reçu de nombreuses récompenses, en France comme à l’étranger, dont le Prix national de la bande dessinée à Barcelone en 2008. Il nous a paru opportun de lui redonner un coup de projecteur, à l’occasion de l’édition du nouvel opus de Paco Roca, La Maison.
Un père et son fils se querellent. Le premier, visage en lame de couteau, se croit toujours directeur de banque, cependant que le second tente de lui faire avaler son assiette de soupe, qu’il reçoit en pleine figure dans un accès de colère du vieil homme.
On saisit qu’Ernest a quelques problèmes, qui vont le conduire dans une maison de retraite médicalisée : il « perd la tête », selon l’euphémisme de rigueur qui désigne la maladie d’Alzheimer.
Paco Roca traite de manière sensible et réaliste la vie de ces personnes âgées dont le cerveau est peu à peu grignoté par cette atteinte qui efface tout à plus ou moins long terme.
La vie à la maison de retraite est donnée à voir sans excès ni enjolivures. Ernest a encore des moments de lucidité et regarde autour de lui avec ironie et amertume. Emile, son voisin de chambre, vieux célibataire qui n’attend plus aucune visite, lui sert de guide et le prend en charge. Il le fait avec générosité, et l’on comprend aussi que ce geste a pour lui un aspect salvateur. Mais c’est en vain qu’ Emile va s’efforcer d’aider son ami à lutter contre l’invasion de la maladie, et face à sa propre impuissance, Ernest est parfois en colère.
Quand on est trop atteint, qu’on n’a pas pu répondre aux tests du médecin, on sait qu’on va être relégué au dernier étage, et que là-haut, ce n’est pas drôle. Sinon, au premier, on dort beaucoup : dans l’entrée, devant la télé, à la bibliothèque, et on attend l’heure des repas et la distribution de médicaments. De temps en temps, un cours de gym sur chaise et une sortie. Les journées sont uniformes, le temps est arrêté, rien d’étonnant à ce qu’on y perde ses repères.
Aussi Ernest, Emile le filou qui ne perd jamais une occasion de soustraire quelques euros aux autres pensionnaires et Adrienne, vont-ils, dans un ultime pied de nez romanesque, tenter une évasion. Une escapade qui donne à ce roman graphique une petite respiration, avant le plongeon inéluctable d’Ernest dans le monde du brouillard permanent, où le visage de l’autre s’efface à jamais.
La tête en l’air nous permet de mieux comprendre le processus de la maladie, et faute de nous rassurer, nous donne à voir malgré tout un reste d’humanité quand tout a fichu le camp.
112 p., 14,95 €
Danielle Trotzky
La Maison ( La casa) de Paco Roca (scénario, dessin, couleurs ) – Ed. Delcourt (En librairie de 11 mai)
Un vieil homme referme derrière lui la porte de sa maison, nous comprendrons plus tard qu’il n’y reviendra pas. Quelques cases, une grande économie de moyens, un dernier regard sur ce qui fut son quotidien, des arbres, un pot de fleurs ébréché et un potager à l’abandon.
Sur les planches suivantes, son fils, un jeune écrivain et sa compagne pénètrent dans la maison vide, après la disparition du vieil homme. Des épisodes qui semblaient révolus resurgissent, et avec eux, les relations que le jeune homme entretenait avec son père. Flashbacks où l’on voyage dans un passé qui n’est pas si lointain.
Les frères et leur sœur enfin réunis se demandent finalement s’ils vont vendre cette demeure où leur père avait investi tant d’énergie, fait tant de projets, et qui porte les traces des étés de leur enfance.
Cette maison fut d’abord un lieu de vacances, rêve enfin accompli d’une famille modeste, ensuite, les parents y avaient pris leur retraite.
Là encore, avec sensibilité et délicatesse, Paco Roca amène ses personnages à prendre la mesure de cette vie qui s’est éteinte, de ce qu’est une existence au fond, si peu de choses, des traces fugaces, des objets démodés qui vont finir à la benne, des arbres qu’on plante et une tonnelle qui ne tient pas debout.
Il évoque aussi la vie de ce père, chauffeur, ouvrier, bricoleur infatigable, de ces hommes qui ne pouvaient jamais rester sans rien faire…
Et plus subtilement, apparaît en filigrane la place que chacun dans la fratrie a occupée auprès de ses parents, dans l’enfance et bien plus tard, au cours de leur vieillesse. Ceux qui avaient toujours autre chose à faire, qui se déclaraient trop pris par leur travail, par la distance, et ceux qui s’y collaient, qui faisaient face, qui étaient là lorsque le parent âgé est tombé malade, a perdu ses forces, ses moyens…
Tout cela sans acrimonie, sans ressentiment. Les pages défilent comme l’existence même, dont la maison du père est une belle métaphore.
Paco Roca, jeune dessinateur, montre dans ces deux albums une grande attention au troisième âge et nous dit que la vie est courte et qu’il nous appartient d’y tisser et d’y maintenir des liens avec ceux qui nous sont chers, même s’il nous semble que la maladie et le grand âge dévorent tout et que cela nous fait peur.
128 p., 16,95 €
D.T.