L’attente – Keum Suk Gendry-Kim – Ed. Futuropolis

« Une famille coréenne brisée par la partition du pays »
Copyright Keum Suk Gendry-Kim (texte et dessin) / Sarbacane
Depuis le 5 mai 2021, 245 p., 26 €

L’attente, c’est ce que vivent ces femmes et ces hommes, séparés des leurs depuis près de soixante-six ans, et qui ne sont autorisés à les revoir qu’à la faveur de relations apaisées entre le Nord et le Sud… et lorsque la chance leur a souri. Une attente interminable pour des retrouvailles forcément bouleversantes à bien des égards, mais parfois déconcertantes quant au fossé idéologique qui s’est creusé entre ceux qui sont restés et les autres.

Une attente souvent vaine aussi, comme c’est le cas pour la mère de l’auteure.

Ici, la dernière réunion en date doit avoir lieu le 28 août 2018. Guija 92 ans a échoué dans sa demande, c’est une de ses amies qui a été sélectionnée par tirage au sort. Tout sa vie Guja a espéré retrouver son mari et son fils, perdus de vue dans la foule qui fuyait les bombardements américains.

Elle avait alors poursuivi sa route, son nourrisson suspendu dans un pagne accroché à sa poitrine, espérant les retrouver à la frontière sud-coréenne.

« Saisie par un sentiment d’urgence alors que la génération qui a connu la guerre s’éteint et que la nouvelle oublie le passé, j’ai interrogé ma mère pour qu’elle me raconte ces blessures traumatisantes de la guerre et de la séparation. » Keum Suk Gendy-Kim

Plusieurs chapitres sont consacrés à sa jeunesse dans le Nord, sous occupation japonaise jusqu’en 1945, puis à l’accalmie qui s’en est suivie, avant que Kim Il-Sung et les communistes chinois n’attaquent la Corée du Sud cinq ans plus tard.

Ce long flash-back nous permet de découvrir les us et coutumes d’une société patriarcale dans laquelle les mères enseignaient à leurs filles l’art de la soumission : « Après mon mariage, j’ai été sourde, aveugle et muette pendant trois ans » lui avait dit la sienne. La jeune femme avait cependant eu un bon mari, deux magnifiques enfants, et tout le loisir de s’exprimer à sa guise. Mais ce bonheur n’avait été que de courte durée…

Un récit familial pudique au retentissement profond et durable, servi par un coup de crayon à l’image de Guija : résolu.

Anne Calmat

Photo Nicolas Grivel

Keum Suk Gendry-Kim est née en 1971 en Corée du Sud. Elle est dessinatrice et traductrice. Ses livres sont publiés en France depuis 2012 (Le chant de mon père, Ed.Sarbacane) et portent le témoignage de ceux qui ont subi les outrages de la guerre en même temps que la fresque de son pays natal. Étudiante en peinture à l’Université de Sejong, elle intègre plus tard l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg.