
En librairie depuis le 11 janvier 2019
© F. Bihel-S. Venayre/Futuropolis
Je suis un honnête homme, Anne de Breuil, j’aurais pu vous prendre de force, mais je vous ai épousée (…) J’ai fait de vous la première dame de ma province. Alors quand je vous demande de m’accompagner à la chasse, vous ne discutez pas, vous m’obéissez.

Celui qui s’exprime ainsi est le comte Olivier de la Fère, futur mousquetaire du roi Louis XIII, plus connu sous le nom d’Athos. Celle à qui s’adresse cette injonction obtempère, mais elle n’en pense pas moins. Car derrière la blondeur et le visage angélique se cache déjà une femme révoltée. N’a-t-elle pas été marquée au fer rouge d’une fleur de lys pour s’être enfuie du couvent à l’âge de treize ans avec un prêtre défroqué ? Elle suit donc son seigneur et maître à la chasse. Dès lors tout va très vite : Anne fait une chute de cheval, le comte l’aide à se relever, il découvre la marque de l’infamie sur son épaule et décide sur le champ de laver son honneur…


Tout est dit. Laissée pour morte, exclue de la société et animée par un inextinguible désir de revanche, la future Milady, autour de qui l’action va se nouer puis se dénouer avec une indéniable puissance dramatique, va poursuivre son objectif sans se soucier des dommages collatéraux.
Les auteurs revisitent ici le roman que Dumas père et Auguste Maquet firent paraître en 1844, en ne se concentrant que sur les scènes où le personnage totalement imaginaire de Milady apparaît. Les faits qui se déroulent sont décrits de son point de vue.
Selon Sylvain Venayre, Milady pourrait bien être la véritable héroïne des Trois Mousquetaires. Un message que Dumas aurait dissimulé dans son roman inspiré des Mémoires de M. d’Artagnan, de Courtiz de Sandras (1700), semble légitimer ce choix. Venayre écrit en effet dans la postface de l’album : À l’issue d’un siècle d’accentuation de la domination de l’homme sur la femme, alors que l’histoire des luttes féministes balbutiait (…) Dumas écrivait un livre revendiquant pour les femmes une place égale à celle des hommes. La société du temps étant ce qu’elle était – et Dumas lui-même ne renonçant pas à s’y faire une place enviable, il dissimula son message, tout en laissant des signes clairs à l’intention de ses lecteurs. Message que reprendra en 1872 Alexandre Dumas fils dans sa brochure intitulée L’Homme-femme.

Dix ans plus tard, devenue Comtesse de Winter par son seconde mariage, puis rapidement veuve, Milady se met au service de celui qui veut la perte de la reine de France, en l’obligeant à dévoiler au roi sa liaison avec le duc de Buckingham : le Cardinal de Richelieu. L’histoire bien connue des ferrets de diamants qu’elle lui a imprudemment offerts inaugure la collaboration entre la belle intrigante et le ministre de Louis XIII. Milady va alors trouver sur son chemin ceux qui ont pris fait et cause pour la reine : Porthos, Aramis, d’Artagnan… et une vieille connaissance, Athos.
Cardinalistes contre royalistes, petite et grande Histoire des relations entre la France et l’Angleterre vont se mêler et mettre aux prises Milady avec Buckingham, d’Artagnan et lord de Winter.
Dans cette version graphique illustrée par Frédéric Bihel dans le plus pure style du grand Gustave Doré, le roman prend une tout autre coloration. Au relatif manque d’épaisseur psychologique des Mousquetaires, s’oppose l’irréductibilité d’une femme qui se bat avec les armes dont elle dispose pour se venger de la flétrissure infligée à son corps et des multiples outrages qu’elle a subis : le charme et un art consommé de la manipulation et du simulacre.
Je ne suis ni un ange ni un démon, mais une fille de la terre (…), dira-t-elle à celui qui, tombé en dévotion pour elle, a décidé de la sauver de la déportation et de la venger de ceux qui, selon lui, l’ont, par leur brutalité, amenée à être ce qu’elle est devenue.
Les lecteurs avertis savent que cette scène a lieu à la fin du quarante-troisième chapitre du roman, et qu’il en reste neuf, plus un épilogue…
Anne Calmat
128 p., 20 €
