Noire, La vie méconnue de Claudette Colvin – Émile Plateau – Ed. Dargaud

Sortie le 18 janvier 2019 – Visuels © Plateau/Dargaud

D’après le roman éponyme de Tania de Montaigne (Grasset, 2015).

C. Colvin

Des boulevards, des avenues, des squares, des écoles portent les noms de Martin Luther King ou Rosa Parks. Une petite rue dans un quartier misérable de Montgomery en Alabama, a pris celui de Claudette Colvin. Mais qui connaît le rôle courageux et précurseur que joua ce minuscule personnage, oublié de la grande histoire ? Un oubli qu’Émilie Plateau propose à son tour de réparer.

Il y avait bien peu de fées autour du berceau de Claudette Colvin, en ce jour de 1939 à Austin. À peine ouvrait-elle les yeux que son père dispraissait, avant de réapparaitre le temps de lui donner une petite soeur, Delphine, et de s’évaporer à tout jamais. Sa mère ne put guère faire mieux, qui confia ses deux enfants à ses grand-tante et grand-oncle qui vivaient à King Hill, le quartier le plus pauvre de Montgomery.

Puis Delphine décède, laissant sa sœur affronter seule les contradictions entre ses rêves et la ségrégation. Claudette, bonne élève, voudrait devenir avocate, mais sa peau est bien sombre et ses cheveux pas assez lisses.

Or, voici ce qui arriva. Le 2 mars 1955, elle rejoint le bus sur le trottoir réservé aux Noirs et s’assied dans la section qui leur est dévolue, quand une Blanche se présente. Le chauffeur invite Claudette à se lever. Celle-ci ne bouge pas, elle a payé sa place. Le bus s’arrête, la police intervient et la conduit manu militari en prison, d’où elle finit par être libérée, avec l’aide du Révérend Johnson.

Présentée à Rosa Parks de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) et à Jo Ann Gibson, présidente du WPC (Women’s Political Council), on lui propose de plaider non coupable et de poursuivre la ville, pendant qu’un boycott sera engagé par les deux institutions. Lors de son procès, le 18 mars, elle soutient courageusement sa position, aidée du témoignage de ses camarades. Las, elle reste sous le coup de trois chefs d’accusations : violation de la loi, troubles à l’ordre public et agression envers des représentants de la loi. Le mouvement de boycott qui s’en suit n’étant relayé par aucun leader, il s’essouffle et cesse.

Les rêves de futur se brisent pour Claudette qui rejoint le NAACP afin de témoigner de son expérience. Ce qui n’est pas sans danger car, victime d’un viol commis par un homme blanc, elle se retrouve enceinte.

Cette histoire nous en rappelle une autre. Elle apparaît en effet comme la répétition de ce grand mouvement qui se mettra en branle le 1er décembre, initié par Rosa Parks qui elle aussi a refusé de céder sa place dans un bus à un Blanc. Sauf que cette fois, le leader anti-ségrégationniste, Martin Luther King, est appelé à la rescousse par Jo Ann Gibson. Des tracts sont distribués, le boycott, auquel les femmes noires participent massivement, se met en place.

Même motif, même sanction, le procès de Rosa Parks conduit aux mêmes chefs d’inculpation. Les hommes rallient les femmes, le boycott fonctionne, des meeting s’organisent qui galvanisent les foules, une épreuve de force s’engage pour démontrer que la ségrégation dans les bus va à l’encontre du 14e amendement de la Constitution fédérale des Etats-Unis. Claudette Colvin, que tout le monde avait oubliée, est sollicitée pour rejoindre quatre femmes noires prêtes à engager une nouvelle action.

Nous connaissons la suite : le 20 décembre 1956, après 381 jours, c’est la fin du boycott et de la ségrégation dans les bus de Montgomery, déclarée inconstitutionnelle par deux juges de la Cour fédérale contre trois.

Le lendemain, une photographie de Martin Luther King montant dans un bus accompagné de trois leaders noirs fait le tour du monde. Quelques photos de Rosa Parks paraissent dans le magasine Look. Mais aucune ne montre les plaignantes, pas plus que Jo Ann Gibson.

Comme Rosa Parks, Claudette Colvin quitte le sud pour rejoindre la nord. Aide-soignante, elle poursuivra une vie pauvre et anonyme en élevant son fils.

Il a fallu attendre qu’elle ait soixante-dix-neuf ans pour qu’une rue porte son nom à elle, qui n’était pas Rosa Parks.

Nicole Cortesi-Grou

136 p., 18 €

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