de Gép (scénario) et Edith Chambon (dessins et couleurs) – Ed. Mouck, 40 p., 9,50 € (en librairie le 12 janvier) –
Un an tout juste après la tuerie de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher de Vincennes, et deux mois après le 13 novembre, comment parler à des collégiens des attentats du début de l’année 2015 ? Comment aider les pré-adolescents à cheminer, à prendre position au milieu de cette violence, de ces événements que les adultes eux-mêmes avaient du mal à analyser sur le moment.
C’est à cette tâche que s’emploient les auteurs de Graines de Charlie, huitième opus d’une série destinée aux 9-12 ans. Des albums bien ficelés qui abordent les questions qui font mouche: « La vie sans portable« , « 273 amis » ou « SOS argent de poche« , pour ne citer que quelques titres.
On retrouve Sonia, qui vit avec sa mère avec laquelle elle se chamaille régulièrement, son amoureux Salomé, habitant d’un quartier « sensible », sa copine Zorha, qui refuse de respecter la minute de silence pour les victimes de la tuerie de Charlie. On comprend ensuite comment elle en a pris la décision à ce moment-là.
On pénètre dans les familles, chacun réagissant selon son histoire propre, on constate que les profs, gardiens de la cohésion du groupe, doivent, dans l’urgence, faire respecter ordre, laïcité et minute de silence.
Et ce qui est fort bien dit dans ce livre, c’est la disparité des points de vue, aussi bien du côté des enfants que de celui des adultes.
Les jeunes observent leurs parents, certains comme mamie Claudette, dans le chagrin d’avoir perdu des compagnons de sa jeunesse, Cabu et Wolinski et le vent de liberté qu’ils diffusaient dans leur sillage, d’autres, comme les parents de Zohra, étreints par la peur d’être stigmatisés une fois de plus.
Signe des temps, les médias et les textos vont plus vite que la musique, avec parfois en arrière-plan, rapide et non négligeable, la présence de théories complotistes diffusées sur internet, source d’une lecture obscurantiste du monde, séduisante et réductrice.
Pas facile d’y voir clair quand on est pleine de vie, et de surcroît amoureuse…
Sonia rend visite à Salomé dans sa cité, et se sent rejetée par ses copains de la cage d’escalier – petit coup d’oeil sociétal au passage, car ils ne sont pas tout à fait du même monde.
Les illustration sont pleines de vitalité, d’humour et de sensibilité, comme c’est le cas pour toute la série.
Danielle Trotzky
www.editionsmouck.fr
(en librairie le 22 février)
Ce qu’il faut de terre à l’homme de Martin Veyron (scénario et dessin), d’après Lev Tolstoï – Ed. Dargaud
« Il nous faudra répondre à notre véritable vocation, qui n’est pas de produire et de consommer jusqu’à la fin de nos vies, mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes. »
Pierre Rabhi
Un paysan vit avec sa femme et son fils sur un lopin de terre sibérien, qui leur fournit le nécessaire. Il s’en satisfait avec sagesse, jusqu’à ce qu’une une voix venue de la ville, celle de son beau-frère, lui suggère de s’agrandir et de faire travailler les autres. Il lui prêtera la somme nécessaire pour mener à bien cette reconversion.
Un jour, un intendant, militaire à la retraite, engagé par le fils de la Barynia (la baronne locale) vient s’assurer que les moujiks cessent d’aller systématiquement faire paître leurs bétail sur les terres de cette dernière, de braconner, d’aller pêcher dans ses étangs, ou encore, couper les arbres de son domaine pour en faire du bois de chauffage. L’amende ou le fouet, tu choisis ! Le fautif opte bien souvent le châtiment corporel.
Puis la Barynia décide de vendre ses terres à son intendant. Révolte et assemblée générale des paysans. Après avoir envisagé de trucider le gêneur, on se range à l’idée de proposer une somme supérieure à la Barynia et de créer une coopérative agricole.
Les terres appartiennent désormais à la commune, mais peu à peu les dissensions sur la manière de les exploiter et les rivalités se font jour. Pour le héros, le besoin insatiable de voir ses possessions s’étendre à perte de vue est devenu obsessionnel. Il se pourrait même qu’il lui soit fatal. « Le pivot du mal n’est-il pas la propriété ? » écrit Tolstoï en 1883 dans Que devons-nous faire ?
« Deux mètres de longueur sur un mètre cinquante de largeur et de profondeur, voilà ce qu’il faut de terre à l’homme », précise-t-il trois ans plus tard dans cette fable, que Martin Veyron adapte en développant le côté prédateur du personnage principal.
Cette nouvelle illustration de la cupidité et de la perte de l’essentiel est servie par une grande fluidité du récit – découpé en sept épisodes – malgré la multiplicité des personnages, parfois hauts en couleur. De nombreuses planches muettes laissent au lecteur le loisir d’appréhender le monde rural russe de l’immédiat post-servage ; tout renvoie à cette atmosphère romanesque que l’on retrouve chez Tchekhov, Gogol et nombre d’écrivains russes du 19e siècle.
Anne Calmat
144 p., 19,99 €