de Jean-Claude Denis (scénario et dessin) – Ed. Futuropolis, 64 p., 14 €
Le temps ne serait-il qu’une construction de notre mental ? Question à la fois philosophique et physique, qu’aborde de manière plaisante cette bande dessinée.
Depuis Wells et sa Machine à remonter le temps, la littérature, le cinéma et les arts graphiques se sont emparés de ce fantasme : retourner dans le passé avec tout ce que nous savons du présent.
Luc Leroi, le héros de l’histoire, est une vieille connaissance, puisqu’on le rencontre déjà en 1980 dans la revue À suivre. Depuis, Jean-Claude Denis l’a embarqué dans de nombreuses aventures, souvent à son corps défendant. Car il est plutôt tranquille ce petit bonhomme roux et mal peigné, qui s’habille sans se soucier de la mode et roule dans une Vespa 400, authentique modèle de 1957.
L’histoire (si elle a un début…) commence de nos jours. Alinéa, l’amoureuse tahitienne de Luc, s’apprête à regagner la Polynésie, parce qu’à Paris, il fait gris et froid, qu’ils ne voient personne et mangent des pâtes tous les jours. Luc aurait bien envie de la suivre…
Pour la consoler un peu, il lui fait visiter le musée d’Orsay et admire avec elle les toiles de Paul Gauguin. Voici donc le peintre qui fait son entrée dans ce roman graphique. Mais les tableaux ne suffisent pas et Alinéa a le mal du pays. L’antique voiture est vendue pour payer le voyage, ils arrivent à Tahiti, dans l’accueillante famille de la jeune femme, pour une douzaine de jours.
C’est au retour que l’histoire prend une tout autre orientation : Luc, veste sans âge à parements de velours sur le dos, ukulélé en main, se trouve projeté en plein 19e siècle.
Il va rencontrer Paul Gauguin et ses amis, ce qui permet au lecteur de faire une plongée dans le Paris des rapins miséreux, des cabarets où personne ne veut acheter un Van Gogh, et où Gauguin, ne voyant pas d’issue pour ses toiles (le musée du Luxembourg vient de lui refuser un tableau, qu’il avait pourtant offert ! ) est contraint de les racheter. Il décide alors de retourner vivre à Tahiti. On croise d’autres célébrités de l’époque, dont Paco Durrio, sculpteur et dessinateur, ami du peintre.
Très bien documenté, l’auteur joue aussi avec des clins d’œil aux lecteurs de tous âges : une lointaine allusion au mythique Bons baisers de Partout de Pierre Dac et à l’un des faux Gauguin peints sur l’île, signé Guerelasse, qui a pour titre Plutôt plus tard (en maori)…
Souvenirs, souvenirs aussi, avec ce saut dans les années 50 ou 60, quand Orsay n’était encore qu’une gare.
Comment Luc Leroi a-t-il été projeté dans le Paris de la fin du 19e ? Va-t-il retrouver Alinéa ? C’est ce que l’auteur nous invite à découvrir.
Luc Leroi, ce monsieur Tout-le-monde, juste un peu différent en ce qu’il est attiré par les objets du passé, traverse toutes ces péripéties avec bonhommie.
Jean-Claude Denis a un talent étendu, il est également l’auteur de Zone Blanche, roman graphique assez sombre qui évoque la question de l’électro-sensibilité dans un thriller passionnant. Ici, le ton est beaucoup plus léger, le dessin est simple et la facture générale, classique. On se laisse prendre à cette intrigue improbable, qui nous permet de revisiter l’œuvre de Gauguin et de la replacer dans son contexte de luttes entre académisme et modernité.
D.T.
Zone blanche – Grand Prix 2012 du Festival d’Angoulême
To-day