Sexisme man fait du sport – Isabelle Collet – Philip – Editions Lapin

https://youtu.be/L-BuvFOXWdA

Préface Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, enseignante-chercheuse au Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (LVIS) de l’Université de Lyon1.

Copyright Ed. Lapin – 80 p., 9 € – Sortie le 13 mai 2022

Depuis #metoo, les discussions à bâtons rompus sur l’égalité des sexes et les discriminations envers les femmes ont montré que l’égalité des sexes n’est pas encore là. Restera-t-il des différences physiques indépassables entre les hommes et les femmes ? Quand on y regarde de plus près, il s’avère qu’on a du mal à différencier « plus fort » et « mieux entraîné », « plus fort » et « socialement avantagé » et, voire à différencier « femme » et « homme »… Rien n’est clair, dans cette histoire de sport, de sexe et de genre…

Heureusement, les lapins sportifs de Phiip, guidés par la prose rigoureuse et scientifique d’Isabelle Collet, vont décrypter pour nous les mécanismes du sexisme dans le sport, et proposer des pistes pour le futur.
 

L’histoire des sportives est celle d’un combat ! Sans doute est-il nécessaire de rappeler qu’être sportive, en France comme ailleurs, a été et demeure toujours un sport de combat ! Effectivement, nombreux sont les travaux en histoire et/ou en sociologie du sport depuis une vingtaine d’années qui attestent combien le mouvement sportif et olympique a participé́ et participe encore à « menacer (les femmes) de façon ponctuelle ou régulière, dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité physique ou psychique », comme le souligne Thierry Terret en 2013 dans l’ouvrage Sport, genre et vulnérabilités au XXe siècle.

Ainsi, les sportives ont lutté contre trois catégories d’inégalités. En premier lieu, des inégalités d’accès aux institutions sportives et aux compétitions (notamment les plus prestigieuses) que celles-ci organisent.

À titre d’exemple, rappelons qu’il faut attendre 1970 pour que des femmes soient autorisées à prendre une licence sportive à la Fédération française de football ; 1984 pour qu’elles soient autorisées à courir le marathon olympique et 2014 pour qu’elles récoltent des médailles olympiques au saut à ski… Si ces inégalités d’accès tendent aujourd’hui à disparaître lorsqu’il s’agit des terrains sportifs (toujours pas de femmes au départ d’un Grand Prix de Formule 1…), elles sont toujours d’actualité lorsqu’il est question d’accès aux fonctions de dirigeantes ou d’entraîneures, a fortiori aux niveaux national et international. Rares sont les femmes à accéder à des postes à haut pouvoir décisionnel, si bien qu’on ne parle pas seulement de plafond de verre, mais aussi de plancher qui colle dans le milieu sportif comme ailleurs ! En second lieu, des inégalités de traitement sont à l’œuvre dans la mesure où les sportives sont souvent sous-dotées à tous les niveaux pour s’entraîner et performer. Moins de sections dites féminines, des budgets moindres, moins de créneaux horaires, moins d’encadrant·es qualifié·es, etc., contribuent, de façon sournoise, car souvent passée sous silence, à complexifier leur engagement dans le sport.

Enfin, des inégalités de reconnaissance perpétuent la croyance d’une moindre valeur des femmes et/ou du féminin dans le sport. Leurs performances sont alors parfois déconsidérées (si une femme l’a fait, c’est que c’était pas si dur que cela… ou wouah ! c’est fort pour une femme !), parfois invisibilisées (qui sait que Sarah Thomas détient le record de traversée de la Manche avec deux allers-retours entre Douvres et le cap Gris-Nez en 54 h de nage ?). Pas toujours facile d’être sportive, surtout lorsque celle-ci transgresse les standards de la « bonne féminité » ou s’aventure dans des bastions de masculinité comme le rugby, la boxe, le cyclisme ou les échecs (car oui, c’est un sport) !

En 2022, est-il encore possible d’ignorer ces inégalités, ces discriminations et même ces violences à l’encontre des femmes (voir l’enquête publiée dans Disclose le 11 décembre 2019 qui révèlent les cas de violences sexuelles dans le sport) ? Des prises de conscience s’opèrent et, progressivement, les lignes bougent. Depuis 2013, des plans de féminisation se développent au sein de certaines fédérations sportives françaises pour promouvoir des actions en faveur des femmes et jeunes filles (cette dynamique a permis à la Fédération française de football de tripler le nombre de ses licenciées en moins de 10 ans, passant de 50 000 en 2011 à 200 000 en 2019). Depuis 2014, une politique des quotas est mise en place en vue d’augmenter progressivement le nombre de femmes dans les comités exécutifs des fédérations sportives. En février 2022 est adoptée (non sans difficulté) la loi Sport fixant pour 2024 l’objectif de parité dans les instances nationales du sport et pour 2028 à l’échelon régional. Enfin, dans le cadre du plan impact et héritage des Jeux olympiques de Paris 2024, l’état français crée le label « Terrain d’égalité » qui sera attribué aux organisateurs d’événements sportifs qui respecteront une vingtaine de critères et d’actions destinés à promouvoir la parité. Bien sûr, ces avancées ne sont que partielles et de nombreux problèmes ou limites demeurent. Les plans de féminisation ne sont, pour l’heure, ni obligatoires, ni sources de sanctions si une fédération décide de ne rien ou peu faire ; les personnes en charge des dossiers sont souvent peu formées aux problématiques et méthodes en études de genre ; les femmes sont plus souvent secrétaires que présidentes lorsqu’elles intègrent le comité exécutif d’une fédération sportive… La liste serait longue. Parmi les axes d’action possibles, celui de la formation m’interpelle particulièrement. Effectivement, en tant qu’enseignante-chercheuse, dit Isabelle Collet, je suis convaincue que l’égalité femmes/ hommes ne s’improvise pas. être volontaire et/ou de bonne volonté est une chose, être formé·es (et encore mieux qualifié·es) aux théories et aux méthodes permettant d’analyser et de remédier aux inégalités en est une autre. Aujourd’hui, il est impératif de multiplier les formations au genre à destination de tous les agent·es, (salarié·es ou élues) du mouvement sportif et de faire de l’égalité femmes/hommes un métier. Il est aussi impératif d’informer et d’impliquer les plus jeunes : leur dire que tous et toutes ne prennent pas le départ sur la même ligne et leur permettre d’identifier les obstacles tout comme les moyens de les déconstruire.

Avec humour, Sexisme Man œuvre à cette ambition éducative, ludique et esthétique. Entre les mots concis et percutants d’Isabelle, et le trait fin et incisif de Phiip, Sexisme Man contribue à éveiller de nouvelles consciences et à nourrir les engagé·es de demain.

Isabelle Collet est professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève et directrice du groupe de recherche « Genre, Rapports intersectionnels, Relation éducative » (G-RIRE).

Philip dessine des lapins qui luttent contre le sexisme et publie des livres. Il est le fondateur des éditions Lapin. (V. interview https://youtu.be/L-BuvFOXWdA