de Erich Ohser, dit E.O Plauen – Ed. Warum (Intégrale, 2015) – Fauve d’Angoulême 2016
Dans les années 30, en Allemagne, un dessinateur-scénariste a fait œuvre.
N’ayant pu s’inscrire à la chambre professionnelle des dessinateurs, Ohser, virulent caricaturiste anti-nazi, prend le nom de E.O Plauen (ville de Saxe d’où venait son père) et publie dans l’Illustrierte Zeitung ses dessins, qui remportent un vif succès de 34 à 37.
Rançon de sa notoriété, Ohser est « invité » à collaborer à l’hebdomadaire nazi Das Reich. Il ne peut se soustraire mais cela finira mal pour lui.
Dénoncé pour propos défaitistes, arrêté par la Gestapo, il se pendra dans sa cellule en 1944 à la veille d’un procès dont l’issue ne faisait aucun doute.
Les Editions Warum ont eu l’excellente idée de publier ces planches, le plus souvent muettes, titrées lorsqu’il le faut, afin de nous faire découvrir cette œuvre pleine de tendresse et de drôlerie, mais aussi d’une fine subversion propre à braver la censure.
C’est merveille de découvrir ce père rondouillard et affectueux, mais aussi, tricheur et de mauvaise foi, et son fils espiègle, très sensible et finaud.
Dans cette Allemagne rongée par la peste brune, Ohser nous donne à voir une éducation proprement libertaire où père et fils font ensemble des bêtises et transgressent les interdits. C’est l’anti Struwwelpeter *, ce livre terrifiant qui se voulait « amusant » de Heinrich Hoffmann, publié en 1844 : morale castratrice, images parfois cauchemardesques pour les petits Allemands qui en furent abreuvés…
On penserait plutôt au Chaplin du Kid, tant la tendresse entre le père et son fils est immense et bouleversante, lorsque l’on songe au destin du dessinateur.
On a beaucoup écrit sur la force subversive de ses dessins.
Pendant le nazisme, il fallait lire entre les lignes, Ohser a l’intelligence de ne pas ajouter de texte à ses planches, ou quasiment pas, ainsi l’interprétation reste ouverte.
Chaque épisode est une petite fable. Ici, lorsque le gamin est puni pour le devoir que son père a fait à sa place, c’est ce dernier qui reçoit la fessée. Là, le père fait tellement le pitre pour que son fils accepte d’aller chez le coiffeur que le gamin, tordu de rire, en ressort avec le crâne à moitié rasé.
Plus loin, les poissons décrètent la grève pour cause de surpêche : Stop, on arrête l’hécatombe ! Comprenne qui voudra.
Pour aider son fils à grandir, le père est prêt à tout : se coucher à ses côtés lorsque le môme fait des cauchemars ; transformer le vieux cheval en coursier fabuleux ; flanquer une rouste au braqueur de banque qui a renversé l’enfant sur son chemin. Là encore, on pense à Chaplin, prêt à en découdre pour protéger son rejeton, souvent face à de grands costauds mous du bulbe…
Les animaux tiennent une place importante. Bichonnés, protégés par le père et le fils, ils peuvent parfois devenir métaphoriques, comme ce petit poisson élevé en bocal qui finit par devenir baleine et fait exploser la demeure…
Les femmes sont peu présentes dans ce recueil, hormis de fugaces apparitions de fée ou de sirène. La mère est quasiment absente, si ce n’est comme figure d’autorité. Nous sommes dans un monde d’hommes.
Le père donne beaucoup de fessées, mais le regrette aussitôt. Le fils résiste de multiples façons à cette éducation contradictoire. On le voit même plongé dans un ouvrage intitulé Eduquer sans punir.
Les disparités sociales ne sont pas absentes : laquais en livrée, dames de la haute société qui nourrissent les oiseaux de miettes de luxe dans les allées du parc…
Père et fils sont eux de l’autre côté de la barrière. Même lorsqu’ils font un héritage et deviennent riches, ils ne parviennent pas à se prendre au sérieux.
Beaucoup de scènes en miroir, le fils se faisant la tête du père et vice versa. Le père ne veut pas grandir, mais comment garder sa part d’enfance dans l’Allemagne nazie ?
Plus on avance vers l’année 37, plus les récits filent vers la fiction. Père et fils deviennent riches, ils sont passés de l’autre côté des hauts murs.
Les derniers albums se font romans d’aventures.
Père et fils se sont échoués sur une île déserte où se croisent kangourous et castors, mais où l’on doit malgré tout faire parvenir, via une bouteille à la mer, un mot pour excuser l’absence du fils à l’école. La réponse revient, elle ne manque pas de sel…
C’est drôle et bouleversant, c’est un grand bonheur de lecture. On peut saluer le travail des traducteurs et rédacteurs des titres, qui souvent nous éclairent sur les petites histoires elliptiques…
Trois-cents pages d’amour fusionnel, mais aussi, subtilement, une résistance souterraine à l’oppression, une respiration.
Danielle Trotzky
300 p., 25 €
- Edité en France sous le titre Pierre l’ébouriffé
Vater und Sohn
Das ist witzig und erschütternd, ein großes Lesevergnügen. Man muss den Übersetzern und Verfassern der Titel, die uns oft über die kleinen elliptischen Geschichten Aufschluss geben, fuer ihre ausgezeichnete Arbeit danken.
Dreihundert Seiten einer fusionnellen Liebe, aber auch, scharfsichtig und feinsinnig, ein unterirdischer Widerstand gegen die Unterdrückung, ein Aufatmen.
Heidemarie Sirguy