Groenland Vertigo

 

de Tanquerelle (scénario et dessin) – Ed. Casterman

Le mail que vient de recevoir Georges Benoît-Jean, auteur de BD en panne d’inspiration, est providentiel.

Un certain Magnus Kuller lui propose de participer à une expédition scientifique et artistique sur un fjord du N.-E. du Groenland. Le sculpteur allemand Ulrich Kloster entend en effet y installer une œuvre monumentale et se faire filmer devant elle, afin de dénoncer l’exploitation de la région par les lobbies pétroliers.

Stimulé par la perspective d’un sujet d’album passionnant, autant que terrifié par le principe de réalité d’une telle aventure, Georges, l’alter ego de Tanquerelle (qui a vécu une expérience similaire), se jette à l’eau et accepte.

Le voici maintenant à bord de la goélette de Magnus Keller, «  L’Aurora « . Il y a là plusieurs scientifiques, Kloster et tout son staff, ainsi qu’un écrivain passablement alcoolique nommé Jorn Freuchen. Il n’est pas sans évoquer le célèbrissime capitaine Haddock. Georges a dans le passé adapté en bande dessinée les récits de voyage de Freuchen et ce dernier en profite pour lui faire miroiter un nouvel album. Dans la foulée, il l’entraîne dans une recherche homérique de bouteilles de whisky centenaires prises dans les glaces polaires.

Georges va aussi découvrir, entre autres joyeusetés, le mal de mer, les quarts de veille, l’obligation de porter une combinaison de survie… Et surtout celle d’avoir à supporter l’iracibilité et la paranoïa aiguë du sculpteur. L’aventure a viré au surréaliste, le vertigo arctique n’est pas loin.

Sur le plan visuel, Hervé Tanquerelle s’inspire de la ligne claire hergéenne – ses dessins sont subtilement rehaussés par la coloriste Isabelle Merlet – et nous gratifie en prime de superbes paysages à l’aquarelle.

L’Etoile mystérieuse, Hergé, 1941

Un album gouleyant, avec, cerise sur le gâteau, le plaisir pour les tintinophiles de découvrir les multiples hommages que Tanquerelle rend à l’auteur de L’Etoile mystérieuse, à commencer par le nom de baptême du rafiot qui trimballe toute cette bande de louftingues.

Anna K.

104 p., 19 euros

Montana 1948

de Larry Watson (scénario) et Nicolas Pitz (dessin) – Ed. Sarbacane – En librairie le 1er mars 2017.

L’album, premier roman graphique de l’auteur, raconte la perte des illusions de l’enfance et la découverte du monde adulte.

David, le narrateur se souviendra longtemps de l’été de ses douze ans.

Son père, Wesley Hayden, a succédé à son propre père au poste le shérif de Bentrock. Il n’a pas eu son mot à dire. Frank, le frère de Wesley, est l’un des médecins du comté. Il est estimé, et même admiré pour son héroïsme durant la Seconde Guerre mondiale.

R.A.S. en apparence au sein du clan Hayden. R.A.S. non plus dans cette petite ville de 2000 habitants, située à une quinzaine de kilomètres du Canada : la population semble vivre en bonne intelligence avec les Indiens et les interventions du sheriff se résument bien souvent à séparer quelques poivrots à la sortie du pub le samedi soir et à deux et trois interventions à propos d’une clôture mal placée ou d’un troupeau de moutons égarés.

Mais un jour, Marie, la jeune Sioux au service du couple Hayden, tombe malade. Pas question supplie-t-elle que le frère de son employeur vienne l’examiner…

On passe outre.

Le pot aux roses est finalement découvert et il apparaît que le praticien a une fâcheuse tendance à outrepasser les limites de la décence avec ses patientes indiennes. Le mot viol est lâché, quelques-unes de ses victimes sont prêtes à témoigner.

Stupeur. Vociférations du patriarche, pour qui Wesley fait désormais figure de traitre. 

Dès lors que faire lorsqu’on est le représentant de la loi ? Fermer les yeux sur les « manquements » du médecin en se disant que Dieu sera son seul juge ? Le mettre hors d’état de nuire ? Et comment, dans cette relation dominant-dominé, répondre à la violence d’un père prêt à tout pour que l’affaire soit étouffée ? Qui aura le dernier mot ?

L’enfant va assister impuissant à toutes les étapes du drame qui se joue sous ses yeux, en devenir involontairement l’un des témoins à charge, et découvrir la difficulté qu’il y a à choisir entre éthique professionnelle et loyauté à sa famille.

Eloquent et profond.

Anne Calmat

128 p., 19,50 euros

et il foula la terre avec légèreté

de Mathilde Ramadier (texte) et Laurent Bonneau – Ed. Futuropolis

Scènes muettes mais explicites de la vie conjugale d’un jeune couple, Ethan et Gaëlle, lorsque tout n’est encore qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

On retrouve le jeune homme en Norvège quelques planches plus loin, à l’aéroport de Bodø, puis sur l’archipel des îles Lofoten, au centre du cercle polaire arctique. Ethan, ingénieur forage, s’est vu proposer un job sur une plateforme pétrolière multinationale. Un gisement  aurait été découvert et une autre plateforme pourrait être érigée. Gaëlle est restée à Paris. Cette première mission d’exploration, qui lui avait fait dire à son arrivée  » Être là, ce n’était pas simplement chercher ses repères et reconstruire le connu. Il fallait se rendre disponible… Être à l’affut des moindres choses pour comprendre ce nouvel environnement, l’expérimenter », ajoutée à la proximité qui va s’instaurer entre Ethan et les autochtones, vont mettre à mal ses convictions… Il va dès lors mesurer les conséquences possibles d’un tel projet pour l’environnement, au risque pour lui de quitter ses cadres acquis.Le délicat roman graphique de Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau, inspiré de leur propre expérience*, nous conduit dans ce pays aride, fort heureusement baigné par le Gulf Stream qui le préserve des grands froids, dans lequel ses habitants, bercés par des mythologies ancestrales, guettent les aurores boréales, se fondent en elles, pratiquent la convivialité, croient encore au pouvoir de la Nature, et apprennent aux plus jeunes à s’y épanouir.
Et puis, comment n’être pas intrigué par l’intitulé de cette bd, proche du psaume, qui décline avec tant d’éloquence les préceptes du philosophe norvégien Arne Næss, fondateur du courant de l’écologie profonde : ne pas être pas arrogant face la nature et la respecter.

Les aquarelles épurées et poétiques de Laurent Bonneau servent à merveille la dialectique de l’album : quiétude des maisonnettes en bois, étrangeté des paysages aux montagnes escarpées, beauté des fjords et des aurores boréales, qui laissent une empreinte indélébile sur ceux qui les ont contemplées…

À découvrir à partir du 9 février 2017.

Anne Calmat

176 p., 27

  • Tous deux sont partis en Norvège en juin 2015, aux Îles Lofoten, pour comprendre et mettre à jour la problématique liée aux énergies fossiles. Ils ont écrit ce voyage poétique et contemplatif, composé d’après la philosophie d’Arne Næss (1912-2009), fondateur, très populaire en Scandinavie, du mouvement de l’écologie profonde.