Frances (Intégrale)

de Joanna Hellgren (texte et dessins) –  Ed. Cambourakis – En librairie à partir du 6 septembre.

Depuis la parution du premier volume en 2008, le cercle des amateurs de Joanna Hellgren n’en finit pas de s’élargir. Ce volume souple au format réduit par rapport à l’original réunira enfin les trois parties de cette série devenue culte.Frances, une petite fille en quête de vérité, a grandi en s’inventant des histoires qui l’aident à combler les béances de sa jeune existence. Sa mère, déterminée dans son refus d’avoir des enfants, s’est enfuie par la fenêtre de l’hôpital quelques jours après sa naissance. Son père, très aimant mais en attente perpétuelle d’un travail, l’a élevée tant bien que mal, avant de mourir.Recueillie par sa tante Ada, qui veille à contre-cœur sur son propre père atteint de la maladie d’Alzheimer, elle va devoir s’adapter à sa nouvelle vie et trouver une vraie place au sein de cette famille déliquescente, minée par les rancœurs et l’intolérance. 

L’auteure distille par petites touches les informations, qui nous éclairent sur les raisons profondes de ces dissensions et sur la rigidité de la société suédoise des années 1930, où chacun se bat pour affirmer ses choix de vie.

Les dessins de Joanna Hellgren, de facture plutôt naïve, exécutés au crayon noir, illustrent à merveille les mystères du monde de l’enfance et la rudesse de celui des adultes. Ils sont subtils, vaporeux, comme le sont les liens que Frances finira par tisser avec son entourage.

Une merveille.

Anne Calmat

375 p., 26 euros

Le Petit Prince

Coup d’œil…

 

(Le Petit Prince et le Renard, 4’43)

Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry – Ed. Gallimard Jeunesse (livre DVD-CD).

Il y a six ans, j’avais eu une panne dans le désert du Sahara. Quelque chose s’était cassé dans mon moteur. (…) Le premier soir je me suis endormi sur le sable a mille milles de toute les terres habilitées. J’étais plus isolé qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’océan. Imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m’a réveillé. Elle disait :

– S’il vous plaît… dessine-moi un mouton !”

L’album, édité en 2013 à l’occasion des 70 ans du petit prince, contient 1 plage DVD qui propose la lecture par Gérard Philipe du début récit et d’autres extraits du récit sur CD. 

On reconnaîtra, dans le rôle-titre, la voix du jeune Georges Poujouly et celles de Michel Roux (le serpent), Pierre Larquey (l’allumeur de réverbères), Sylvie Pelayo (la rose) et Jacques Grello (le renard).

On découvrira également le livre tel qu’il fut publié par la NRF en 1943, avec les aquarelles originales de l’auteur.

104 p., 19,90 €

Alexandrin ou L’art de faire des verres à pied

 

de Pascal Rabaté, dessin et couleur Alain Kokor – Ed. Futuropolis. Tout lectorat. 

« Partout se trouve la beauté

Dans un marteau, un clou, un cageot, un trait.

La beauté est dans l’oeil qui contemple.

Et qu’importe le sujet observé

L’émerveillement s’apprend et se transmet. »

Poète des campagnes et des villes, Alexandrin de Vanneville survit en faisant du porte-à-porte pour vendre les vers qu’il compose. « Comme la vie ne rime à rien, je fais sonner les mots« , dit-il. Les mots sont insolites, les rimes souvent riches.

Le vieil homme (qui ressemble beaucoup au délicieux Michel Robin de la Comédie-Française) croise la route d’un adolescent en cavale, un oiseau égaré qu’il prend sous son son aile et initie aux arts de la poésie et de la débrouille.

« C’est drôle, tu slames naturellement », remarque le jeune aspirant à la liberté. Ce à quoi le vieil homme répond : « C’est ce jeu avec les mots qui me tient debout… C’est cette quête du beau qui m’évite de rester à genoux ».

Ils vont faire un bout de chemin ensemble, le premier convertissant le second à la rime, le second illuminant le quotidien du premier.

Une BD vivifiante qui nous invite à réfléchir sur notre rapport au temps, et à repenser notre quotidien pour y puiser ce qu’il a de meilleur.

À ne pas manquer !

A.C.

95 p., 22 € – En librairie le 24 août 2017

 

L’aimant

Lucas Harari (scénario et dessin) – Ed. Sarbacane (sortie le 23 août 2017) – 152 p., 25 €

Pierre, le héros, était à ce point fasciné par l’architecture que Peter Zumthor avait imaginée à la fin des années 1990 pour la construction des nouvelles Thermes de Vals, qu’il a écrit sa thèse de doctorat sur ce complexe thermal et hôtelier niché à 1200 mètres d’altitude dans le canton des Grisons. Puis, il s’est ravisé et l’a jetée aux orties. La puissance d’attraction qu’avait exercé sur lui le lieu se faisant de nouveau sentir, il a décidé de se rendre sur place. Pour savoir.

Après une brève introduction sur les conditions d’écriture de la BD, nous le rejoignons dans le tortillard qui le mène vers son destin. Là, un petit caillou doté d’étranges pouvoirs surgit de l’extérieur et atterrit à ses pieds. Il aura une importance non négligeable tout au long de cette histoire qui échappe à toute rationalité. De même qu’un certain carnet de croquis, disparu puis réapparu, et un Zippo « passe-muraille ».

Une fois arrivé, le jeune homme va faire un relevé minutieux de la topographie de l’imposante structure minérale aux lignes géométriques et noter la présence d’une porte sur l’un de ses panneaux. La réalité de ladite porte va bientôt être contestée avec véhémence par l’un des personnages du récit, l’inquiétant Philippe Varet, un écrivain-conférencier, spécialiste dans l’étude des villes d’eau.

Pierre l’a pourtant vue de ses yeux vue, et même dessinée…

Le jeune homme va également être le seul à croire l’histoire que raconte Testis, un vieil ermite des montagnes, dont l’âge canonique porte les autres à déclarer qu’il déraille. Le vieillard prétend en effet que jadis, un jeune déserteur de la Première Guerre mondiale s’est volatilisé sous ses yeux, comme absorbé par la paroi rocheuse, cependant qu’une pluie de pierres fondait sur lui.  

On n’en dira pas plus, préférant laisser au lecteur le soin de découvrir cet album aussi singulier que captivant.

A.C.

Artemisia

de Nathalie Ferlut (texte) et Tamia Baudoin (dessin) – Ed. Delcourt _ En librairie le 16 août 2017.

© N. Ferlut/T. Baudoin/Delcourt

Le biopic réalisé en 1997 par Agnès Merlet avait apporté un éclairage faiblard sur cette artiste à la personnalité hors du commun, puis une exposition au Musée Maillol en 2012 en avait révélé l’extraordinaire dimension artistique. L’album de Nathalie Ferlot et Tania Baudoin donne un relief particulier aux deux.

Mais auparavant, jetons un coup d’oeil sur sa première planche.

 » Elle est née Romaine. Autour d’elle, des frères, des toiles, des brosses et des pinceaux, des huiles, et ces millions de grains de poudres de pigments précieux qui attendent l’instant de devenir couleur pour l’éternité. Sur son berceau et sur ses premiers pas, aucune Muse ne s’est penchée, juste la main d’une douce mère qui ne vivrait que quelques printemps timides, et d’un père qui veut qu’à toute heure on s’active pour l’Art, que les poudres soient mêlées, les huiles tiédies et les colles fouettées. Tout cela dans une pauvreté criarde et désorganisée.« 

La vie d’Artemisia Gentileschi (1593-1653), fille et élève d’Orazio Gentileschi (1563-1639), peintre d’influence caravagesque, fut très tôt marquée par des événements tragiques, en particulier son viol à l’âge de dix-sept ans par Agostino Tassi, l’un des collaborateurs d’Orazio. Ses toiles aux tonalités parfois violentes et viriles, dans lesquelles les femmes sont fréquemment agissantes, sonnent souvent comme l’expression d’un désir de vengeance. (cf. Judith et Holopherne). 

Artemisia a très rapidement compris que, seule, la peinture lui apportera la liberté à laquelle elle aspire. Il lui tarde aussi de retrouver son honneur, bafoué sur la place publique lors du procès de son agresseur.

Judith et Holopherne (1612)

Mais elle va bientôt être confrontée à une règle en vigueur dans toute l’Italie, qui veut qu’en aucun cas une femme puisse prétendre à un enseignement dans une académie de dessin.Qu’à cela ne tienne,  » seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient « , elle va tout mettre en œuvre pour être malgré tout admise dans la prestigieuse Académie de Florence. Tamia Baudoin la dote d’un regard qui suffit à lui seul à témoigner de sa détermination.

Cette admission sera son passeport pour l’indépendance. Elle n’a alors que vingt-trois ans.

Cette féministe avant la lettre ne va pas se contenter d’être une artiste reconnue, elle sera aussi une femme d’affaires avisée – et une grande amoureuse – et jouira de son vivant d’une renommée, in et hors frontières, propre à faire pâlir d’envie ses homologues masculins.

Anne Calmat

Devenir Rosie

ou Rosie la riveteuse et la performativité du genre

de Shreyas R. Krishnan (texte et dessins) – Ed. Cambourakis, collection Sorcières (août 2017). 16 p., 15 €

Les femmes, on le sait, ont souvent apporté leur contribution à l’effort de guerre.

Dans l’Amérique des années 40, elles ont été six millions à le faire, pendant que les hommes étaient au front, en Europe ou dans le Pacifique.

Mais il avait fallu auparavant les convaincre de s’affranchir des injonctions normatives qui, du cinéma à la littérature, ne cessaient de leur imposer une image bien précise de ce qu’était la féminité.

Norman Rockwell (1943)
J. Howard Miller 1943

Une campagne de presse ayant pour but de les amener à endosser des rôles qu’elles avaient depuis toujours été conditionnées à considérer comme masculins, a donc été lancée. Elles resteraient attrayantes, tout en étant assez masculines pour mettre les mains dans le cambouis. Dosage aussi habile que subtil, dont la Rosie de J. Howard Miller est une parfaite illustration.

Les Rosies ont alors revêtu leurs bleus de travail et pris le chemin des usines d’armement ou de construction aéronautique. 

Prenant pour référence ce symbole de l’émancipation féminine qu’a été Rosie, matérialisée en 1943 par Norman Rockweel pour le Saturday Evening Post (on remarquera qu’elle écrase de tout son poids un exemplaire de Mein Kempf) et dans le même temps par J. Howard Miller, Shreyas R. Krishnan s’appuie dans la foulée sur les théories développées par Judith Butler sur les approches performatives du genre, qui seront utilisées aux EU à partir des années 60.

La Rosie d’aujourd’hui n’a pas effacé l’icône populaire de la culture américaine d’hier, elle n’a tout simplement plus besoin de se travestir, « seul son geste suffit« , nous rappelle l’auteure de cet album composé de 16 pages abondamment illustrées.

Anne Calmat

Maudit Allende !

Coup d’œil…

de Olivier Bras (texte) et Jorge Gonzàles (illustrations) – Ed. Futuropolis, 2015

On apprend beaucoup sur le Chili en lisant cette bande dessinée au titre paradoxal, qui nous promène à travers plusieurs époques et plusieurs lieux. Le fil conducteur de ce récit graphique au tons souvent sombres – les gris, le sépia, avec parfois quelques très explosions colorées -, c’est le regard du narrateur, fils d’un ingénieur des mines qui a quitté sa terre natale pour l’Afrique du Sud, avant qu’Allende ne parvienne au pouvoir.

Léo, petit garçon bien sage, qui va suivre au départ la voie tracée par son père, ne connait du pays de ses parents que le portrait d’Augusto Pinochet qu’ils avaient accroché dans leur séjour.

Cet album est le récit de sa lente découverte des événements qui ont secoué son pays, depuis l’entrée en politique de Salvador Allende, ses premières tentatives aux présidentielles de 58, la dictature de Pinochet, jusqu’à nos jours où la fracture est encore visible, les blessures encore vives.

La chronologie est éclatée, mais le lecteur ne devrait pas s’en trouver désorienté. Le livre s’ouvre sur une rencontre (dont on ne sait si elle a vraiment eu lieu) dans les brumes du nord du Chili. Le jeune Allende, alors sénateur, rend visite aux prisonniers politiques du centre d’incarcération de Pisagua et se heurte au veto de Pinochet, officier de garde qui prétend en vain l’empêcher d’entrer.

Première confrontation, qui en annonce d’autres, plus violentes.

On part donc de l’enfance des deux « chefs », de leurs relations avec leurs familles.

Le petit Augusto, enfant maladif et choyé, est destiné par sa mère à la carrière militaire. Il n’est pas très doué mais gravira cependant les échelons. Allende, lui, a une histoire familiale ancrée à gauche : son grand-père était une figure du parti radical, elle émerge nettement.

Courage chez Allende, qu’on voit se battre en duel pendant sa jeunesse avec un membre de l’assemblée, duel heureusement sans conséquence et personnalité, contraste avec la personnalité de Pinochet,  beaucoup plus atone.On croit connaitre l’histoire de sa prise de pouvoir et l’horreur qui s’en suivit, mais ce récit graphique très richement documenté nous dévoile des événements et des enchaînements dont nous n’avions pas forcément connaissance.

Et c’est la découverte progressive de cette période d’épouvante que fut la dictature de Pinochet, que fait le narrateur, que rien ne prédisposait dans son histoire familiale à ce cheminement. La visite d’un cousin qui dépose subrepticement entre ses mains le dernier discours d’Allende à la Moneda, et plus tard, la rencontre de Français qui ont accueilli des réfugiés chiliens vont transformer son regard et éveiller sa conscience.

Les deux auteurs ont inséré des documents d’époque et des extraits de carnets d’Allende.

Les graphismes et les formats sont d’une grande diversité, et font de la lecture un voyage surprenant.

Les portraits sont mesurés, les parcours de chacun, bien définis, ainsi que leur environnement familial et social. Point de caricature ou d’emphase, mais la recherche d’une compréhension de ce qui était resté caché.

Danielle Trotzky

128 p., 20 €