Ailefroide Altitude 3954

Été 2018

Scénario Olivier Bocquet et Jean-Marc Rochette, illustrations Jean-Marc Rochette – Postface Bernard Amy – Ed. Casterman, 2018

Il n’y a pas deux vies d’alpiniste semblables, parce qu’il n’y a pas deux listes de sommets, de réussites et d’échecs semblables. En revanche, toutes les histoires d’alpiniste ont un point commun : leur commencement. Les débuts en alpinisme de Jean-Marc et Sempé, tels que racontés par Jean-Marc, pourraient sembler anecdotiques. Il n’en est rien. Ils sont remarquablement exemplaires. Ce que vivent aujourd’hui les jeunes gens qui découvrent l’univers de la haute montagne diffère peu de ce que nous montre le récit de Jean-Marc. Et il suffit de lire les nombreuses biographies publiées par les alpinistes depuis que l’ascension des montagnes est devenue un fait social, pour réaliser que tous ont vécu de la même façon leur « entrée en alpinisme ». B.A.

Le peintre-sculpteur Jean-Marc Rochette, co-auteur de la série post-apocalyptique des Transperceneige (Intégrale parue chez Casterman en 2013), signe ici un roman autobiographie d’une incroyable richesse, tant sur le plan graphique qu’émotionnel.

Enfant, à Grenoble, sa double passion pour les arts et les hauteurs lui a été transmise par sa mère, qui l’entraînait dans les musées, mais aussi dans de multiples randonnées pédestres en direction des sommets environnants du Massif des Écrins.

© JM Rochette

On le découvre tout d’abord en arrêt devant une toile de Chaïm Soutine intitulée Le bœuf écorché, émerveillé par la force de l’œuvre. Quelques planches plus loin, le jeune Rochette a accompagné sa mère dans l’une de ces randonnées en moyenne montagne qu’elle affectionne tant. « C’est ce jour-là que je suis tombé amoureux de la montagne. C’était d’une beauté absolue et je n’avais qu’une idée en tête : monter, monter tout en haut. »

© JMR

À l’école, il s’ennuie ferme. Son inclinaison pour le dessin, balayée d’un revers de main par son professeur, est pour lui une source de réconfort. Son second échappatoire va être la varappe le long des parois rocheuses que l’on trouve à l’extérieur de la ville, en compagnie de l’un de ses futurs compagnons de cordée, Philippe Sempé.

Rapidement, leur objectif sera l’escalade de la face nord d’Ailefroide. Mais auparavant, il leur faut faire leurs classes.

Dès lors, chaque expérience va être plus exigeante que la précédente… 

© JMR

Le jeune Rochette a maintenant pris de l’assurance, il tente même l’ascension d’un glacier en solo, pour les beaux yeux de deux filles. Alors qu’il s’attend à être félicité par les alpinistes qu’il a dépassés au pas de charge, il se fait remonter les bretelles pour avoir pris des risques inconsidérés. Il retiendra la leçon et se souviendra de ceux que la montagne a dévorés, sans jamais rendre leurs corps.

Nous partageons avec lui les nuits à la belle étoile, les bivouacs, les avalanches, les chutes de pierres qui exposent au pire – et dont Rochette fera les frais, les crevasses qui happent les corps, les escalades à corde tendueles rappels à l’épaule… 

Que la montagne est belle et vibrante sous les pinceaux de Jean-Marc Rochette !

© JM Rochette

Le récit s’articule autour des différentes ascensions effectuées. Il permet aussi de mettre en lumière les grands noms de l’alpinisme : Edward Whymper, Gaston Rébuffat, Lionel Terray… Et plus près de nous, Bruno Chardin ou Jean-Claude Zartarian. Mais aussi, d’appréhender une époque révolue et une façon, plus romanesque et peut-être moins pragmatique, d’aborder chaque expédition.

Bien qu’ayant dû renoncer à être guide de haute montagne, suite à un grave accident survenu lors d’une course en solo, Jean-Marie Rochette considère qu’être alpiniste, c’est pour la vie. Au retour d’une escalade difficile dans le Massif des Écrins en 2016, il a déclaré à Bernard Amy : Tu te rends compte, je n’avais pas grimpé depuis quarante ans ! Et ce qui est formidable, c’est que tout m’est revenu, comme si ça datait d’hier.

Anne Calmat

290 p., 28 €

La Danse de la Mer

Sept. 2016

de Laëtitia Devernay – Ed. La Joie de Lire – Littérature jeunesse

Coup d’œil dans le rétro pour ce superbe poème graphique sans paroles pour les petits et les grands, qui en dit long sur notre « mer nourricière » menacée d’épuisement.

C’est une armada de bateaux-frigorifiques pansus qui, dans un premier temps, accueille le lecteur. Les filets ont été jetés et les poissons multicolores pris au piège. Puis les envahisseurs s’éloignent et tout semble s’apaiser : poissons-oeil et sirènes peuvent alors révéler leurs secrets. Des nageuses, portées par la houle et les marées, offrent alors un étrange et énigmatique ballet.

page18

On s’attend  presque à voir surgir la petite Ponyo, que Hayao Miyazaki a imaginée courant sur la crête des vagues pour suivre son ami Sozuke, ou bien cette Enfant de la haute mer, si chère à Jules Supervielle. Qui sait ? c’est peut-être aussi à cet instant qu’Ondine et ses semblables s’apprêtent à quitter leur palais de cristal pour partir à la recherche de celui qui les fera femmes à part entière, avant de les trahir… page7

Réalisé à l’aide de collages, avec une trame à l’encre de Chine et des formes en faux relief du plus bel effet, l’album poétique de Laëtitia Devernay invite, on l’aura compris, au vagabondage et aux digressions littéraires.

A.C.

72 p., 22,90 €

De la même auteure : « Diapason « , « Be Bop ! » , « Bestiaire mécanique« . (Ed. La Joie de Lire).

 

Un détective très très spécial…

Septembre 2017

de Romain Puértolas – Ed. La Joie de lire

Coup d’œil dans le rétro pour ce roman singulier destiné aux adolescents.

Le matin, Gaspard est vendeur de souvenirs «made in China» dans une boutique à Montmartre. Et puisqu’il lui est impossible d’arnaquer à plein-temps les touristes, il est également «nez» pour une marque de déodorants l’après-midi. Ou plus prosaïquement, «renifleur d’aisselles», précise-t-il

Gaspard est trisomique, ce qui ne l’empêche pas de poser un regard aiguisé sur la marche du monde, avec ses merveilles et ses aberrations. Méthodique, il consigne jour après jour ses réflexions et découvertes dans des cahiers de couleurs différentes, en fonction de son ressenti face à chaque événement.

Gaspard est l’homme de tous les paradoxes. À la fois non-sensique à l’extrême et pétri de bon sens, il n’a semble-t-il pas son pareil pour résoudre un casse-tête sur lequel bien des individus, dotés d’un QI largement supérieur au sien, se casseraient les dents. Il pratique aussi, tout naturellement et presque systématiquement, la digression humoristique, le second degré, le calcul des probabilités, et se plaît à relever les défis que son imagination fertile a mis en travers de sa route.

Bref, Gaspard est un esprit supérieur qui s’ignore et dont ses parents, pourtant très aimants – pas du genre à avoir collé leur petit dans une institution spécialisée ! – semblent n’avoir pas pris la mesure.

Aussi, lorsque par un funeste concours de circonstances ses deux employeurs viennent à disparaître, Gaspard, qui a beaucoup regardé des séries télévisées (et en particulier Starsky et Hutch)*, opte-t-il pour une carrière de détective privé.

Le voilà maintenant « en immersion » dans un centre pour handicapés, afin de démasquer l’assassin de l’un de ses pensionnaires. La couverture idéale…

Mais la vie se charge parfois de remettre les pendules à l’heure, et c’est sur un double uppercut au plexus solaire que le lecteur arrivera au terme de cette histoire. En une vingtaine de pages, ce récit jubilatoire a fait place à l’émotion la plus intense…

Anne Calmat

120 p. 15,90 €

Du même auteur : L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. 

Le Dilettante, 2013.

 

D’une Alice à l’autre… 3/3

2016 – Visuels © éditions Soleil

Ce serait merveilleux si on pouvait entrer dans la maison du miroir, dit Alice à la chatte Kitty. Essayons !

Dans cette suite du chef-d’œuvre de Lewis Carroll, intitulée De l’autre côté du miroir (1872), traduite par Henri Parisot et illustrée par Benjamin Lacombe, Alice décide de passer à travers la plaque de verre. Elle découvre le Jardin des fleurs vivantes et côtoie des personnages plus insolites les uns que les autres: les deux inséparables Bonnet Blanc et Blanc Bonnet (Tweedledee et Tweedledum) ou bien un œuf plutôt prétentieux qu’on appelle le Gros Coco… D’étranges dialogues s’instaurent entre eux. La reine, par exemple, lui promet de la confiture pour chaque lendemain, jusqu’à ce, parvenant à la huitième case de l’échiquier, Alice devienne reine à son tour.

Un autre pays des merveilles l’attend. Il se présente comme un monde inversé dans lequel l’espace et le temps sont mis à mal ; décors, personnages évoluent littéralement. Certaines pages se déplient à la façon d’un plateau de jeu d’échec et accompagnent la bascule d’une dimension à l’autre.

On y retrouve bien entendu les personnages du Pays des merveilles, mais d’autres font leur apparition, comme exemple les jumeaux Tweedledee et Tweedledum…

Benjamin Lacombe se délecte en proposant ainsi une interprétation singulière de la beauté étrange d’un monde bercé par un délicieux mélange de poésie, d’humour et de non-sens, qui vise implicitement à former les plus jeunes.

A.C.

292 p., 29,95 € 

 

Cruelle Joëlle 1 à 3/3

Intégrale
En librairie le 20 juin 2018
  • La vie n’est pas si simple madame Lamort
  • Week-end frisson au lac Crystal
  • Une journée en Enfer !

Scénario Davide Cali, dessin Ninie – Ed. Les Petits Sarbac’/Sabacane – BD Jeunesse

La pimpante madame Lamort élève seule sa fille, Joëlle, 9 ans, que l’on découvre assez solitaire et désabusée. Evelyne Lamort travaille pour une société de pompes funèbres, la bien nommée Sté Trépas, particulièrement attentive à tout ce pourrait porter atteinte à son sacro-saint chiffre d’affaires. Comme par exemple les progrès de la science, les lois anti-tabac, la limitation de vitesse sur les routes… ou tout bonnement une veine de pendu (lorsque la corde casse). Chacune de ses opératrices, chargées de délivrer les très redoutées cartes noires aux « candidats » à l’au-delà, rêve de figurer au palmarès du mois de la meilleure employée. Un moribond qui revient à la vie, et c’est l’espoir d’une première place sur tableau d’honneur qui s’envole. La concurrence est rude et on se dit que s’il leur faut donner un coup de pouce pour faire « avancer le schmilblick », elles s’y colleront sans aucun état d’âme. 

Le titre vient justement de passer sous le nez de la pourtant très zélée Evelyne Lamort. Le fauteur de trouble, Monsieur Bavasse, a été démasqué, il n’est autre que le père du meilleur – et seul – ami de Joëlle, qui a eu l’indélicatesse de se soustraire à la carte noire en jouant sa vie aux échecs… et en trichant ! 

Qu’à cela ne tienne, elle a un plan. Mais les choses ne vont évidemment pas se passer comme prévu…

C’est le début d’une série menée tambour-battant, servie par un graphisme expressif et vigoureux.

Dans l’épisode suivant, l’association des parents d’élèves de l’école de Joëlle a organisé un week-end camping au bord du lac Crystal. D’abord réservée, Madame Lamort réalise que c’est précisément là qu’habite son prochain « client », Verdoux, 35 ans, qui depuis huit ans déjoue toutes les tentatives pour lui remettre le fameux laissez-passer pour l’au-delà.

Permis de tuer si nécessaire.

Là encore, un obstacle de taille va se mettre en travers de sa route… 

 

Dans le tome 3, Evelyne est inquiète. Malgré le diagnostic rassurant du médecin, Joëlle reste terrée au fond de son lit. Est-ce un hasard si au même moment des cartes noires ont mystérieusement disparu du siège de la société Trépas ?

La jeune femme va pour la première fois devoir confier sa fille à Gilles, le père de Joëlle, pour mener son enquêteMais est-ce bien judicieux ? On découvre que dans sa jeunesse, Gilles a passé un contrat avec la Société Lucifer: plaire à Evelyne, en échange, plus tard, de son bien le plus précieux. 

Comment se fait-il que j’apprenne juste maintenant que tu as une fille, lui a dit Monsieur Belphégore, le bras droit de Lucifer, bien décidé à récupérer la fillette… Panique à bord.

Il reste beaucoup à découvrir dans cette histoire tout en rebondissements, dont la tonalité diablement gothique plaira à un jeune lectorat.

Anna K.

122 p., 11.50 €

L’auteur

Davide Cali est un jeune auteur italien né en Suisse, dont Sarbacane soutient le travail depuis ses débuts, pour son humour et son sens aigu de la narration. À Gênes où il vit, il enseigne la BD, collabore à des revues d’art, organise des expositions. Il pose un regard universel, tour à tour hilarant et touchant sur la vie. Il est aussi l’auteur de la série 10 petits insectes, avec Vincent Pianina.

L’Illustratrice

Diplômée des Beaux-Arts de Nantes, Ninie (Virginie Soumagnac) est publiée chez de nombreux éditeurs : Larousse, ZOOlibri, Milan, Bayard

En 2009, elle dessine la série de BD intitulée Rustine, d’après un scénario de Michaël Escoffier, qui paraît dans la revue J’aime lire. Ninie vit à Angoulême.