Massamba, le marchand de tours Eiffel

En librairie depuis le 15 novembre 2018

de Béatrice Fontanel (scénario) et Alexandra Huart (illustrations) – Ed. Gallimard Jeunesse (dès 5 ans).

Soutenu par Amnesty International.

© Fontanel/Huard/Gallimard
(détail) © Fontanel/Huard/Ed. Gallimard

De l’Afrique à Paris : itinéraire d’un jeune migrant.

Après avoir été abandonné avec ses compagnons d’infortune à quelques encablures des côtes espagnoles, puis cueilli par des hommes en uniforme et parqué dans un camp de réfugiés, le jeune Massamba s’est finalement retrouvé vendeur de tours Eiffel porte-clés sur le parvis de la Dame de fer. Le jeune garçon est ingénieux, doté d’un esprit curieux et positif.

Vendre des tours Eiffel dans ce lieu mythique, même s’il est payé au lance-pierres, lui a tout d’abord semblé trop fort. Mais l’envers du décor lui est rapidement apparu. Guetter en permanence le passage des flics, prendre ses jambes à son cou au premier coup de sifflet, attendre que la voie soit de nouveau libre pour étaler sa quincaillerie sur le trottoir n’a vraiment rien de folichon. En revanche, contempler, la nuit venue, la fusée d’acier dans ses habits de lumière reste pour lui une source d’émerveillement, même lorsqu’il gèle à pierre fendre. Massamba sait d’instinct que son sort dépend en grande partie de son adaptabilité aux circonstances. Tenir bon, être vigilant, faire confiance aux Esprits qui veillent sur lui, et qui ne manqueront pas de lui offrir un jour l’opportunité de prouver qu’il est digne de confiance.

(détail) © Fontanel/Huard/Gallimard

Un album destiné aux adolescents aurait probablement pointé une réalité plus dure ; il n’en demeure pas moins que ce qui est ici dépeint, même de façon édulcorée, c’est l’itinéraire et le quotidien de ceux qu’on appelle les mineurs isolés, et que l’on peut résumer ainsi : exil, déni d’humanité, opportunités ou non de se construire une vie décente en dépit de l’adversité.

Un livre pour les tout-petits et leurs parents, dont le texte et les illustrations sur des pleines doubles pages aux tonalités africaines, témoignent de la connaissance qu’ont les deux auteures de ce continent.

A.C.

40 p., 14, 90 € cliquer ici

Mulysse prend le large

de Øyvind Torseter (texte et dessin), traduit du norvégien par Aude PasquierEd. La Joie de lire 

© Ø.Torseter/La Joie de lire

Dans l’album précédent (Archives, oct. 2016), Tête de mule délivrait ses six frères et leurs six promises, qu’un troll avait changés en statues de pierre. Nous le retrouvons ici apprenti coiffeur, occupé à massacrer la chevelure d‘une cliente.

Navré, mais vous êtes congédié, lui dit son patron.

Arrivé à son domicile, Tête de mule trouve un avis sur sa porte : La municipalité a donné l’autorisation de détruire cet immeuble, votre appartement a été vidé et vos affaires se trouvent dans un container au dépôt central. Désolés pour les éventuels inconvénients occasionnés.

L’inconvénient majeur, c’est la note passablement salée qu’il va devoir payer pour les récupérer.

À la taverne où il est venu, histoire se réconforter, pas de cacahuètes au chili pour lui remonter le moral. La serveuse est désolée.

Ce n’est décidément pas son jour. 

C’est alors que quelqu’un lance à la cantonade : 70 000 couronnes* à qui osera m’accompagner dans une expédition hasardeuse !

Celui qui a parlé est un riche collectionneur bon chic bon genre, avec quelques petites particularités physiques. L’enjeu de l’expédition : retrouver l’oeil le plus gros du monde, qui manque à sa collection.

Tope-là ! En route pour l’aventure, le capitaine à bâbord, le matelot à tribord… et une passagère clandestine dans la cale du trois-mâts.

Un voyage tempêtueux, plein d’embruns et d’embûches, à la recherche d’un œil, qui fera nécessairement défaut à son propriétaire et qui va nécessiter astuce et témérité de la part de ceux qui sont chargés de le dénicher, ledit oeil ne se trouvant pas sous le sabot d’un cheval, fût-il de mer.

Naufrage, animaux marins en tous genres, cyclope e tutti quanti ne vont pas faciliter la tâche aux deux aventuriers, le troisième ayant déserté.

C’est là qu’un rapprochement avec l’odyssée que vécut un certain Ulysse « saute aux yeux ».

L’originalité de la fable – qui entre autres choses nous rappelle qu’un trésor mille fois convoité n’est rien au regard d’une peine d’amour perdu – est accentuée par celle de son graphisme qui alterne planches en noir et blanc presque minimalistes et illustrations pleines pages en couleurs.

 

Un album tout public, intelligent, plein d’humour et de poésie.
Anne Calmat

160 p., 24,90 € (livre cartonné)

  • 70 000 couronnes = 6.700 €

 

 

 

From Black to White

Depuis le 31 octobre 2018

de Stéphane Louis (scénario), Clément Baloup (dessin) et Joanna Cabanes (couleurs) – Steinkis Ed.

© Louis/Baloup/Cabanes/Steinkis

D’emblée, l’éditeur annonce la couleur, si on peut dire, affirmant sa volonté de mettre l’accent sur les ponts qui relient les gens et non les murs qui les séparent, et d’œuvrer à la connaissance de l’autre.

Quoi de plus louable en ces temps de repli identitaire ?

Nous allons suivre Curtis Ollis, né probablement à la fin des années 50 dans la communauté noire de Harlem, son père est pasteur et le petit garçon est fasciné par Michael Jackson qu’il découvre en 1964 dans la formation des Jackson 5.

La danse devient sa passion.

On traverse l’histoire des afro-américains, de l’apartheid à la guerre du Vietnam en passant par Cassius Clay qui devient Mohamed Ali, et l’émergence radicale des Black Panthers. On suit la trajectoire du courageux petit Curtis qui a commencé par imiter son idole puis a trouvé son propre style dans le hip-hop, et qui va connaître le succès en jouant dans la célèbre série Fame consacrée à la danse.

La folie mystique du père, la dépression de la mère, le grand frère qui arrache les sacs à main des vieilles dames pour faire vivre sa famille, rien ne nous sera épargné sur le quotidien d’une famille noire américaine. On frôle souvent le cliché.

Le récit est linéaire et sans surprise, et comme le titre l’indique, il questionne en filigrane la tentation de la blancheur chez le célèbrissime chanteur.

Rien à dire sur le graphisme ou le scénario, si ce n’est qu’il manque un soupçon de créativité.

Cet album, dont le projet didactique est par trop évident, améliorera sans aucun doute l’ordinaire des classes de collège ou de lycée, les auteurs ayant même fourni un récapitulatif historique à la fin de l’ouvrage.

Le lecteur reste cependant un peu sur sa faim.Le parti pris est édulcoré et édulcorant, la trajectoire de Michael Jackson passe sous silence ses zones d’ombre, et si on le voit blanchir de vignette en vignette, on ne saisit pas ce qui motive ces transformations. Un petit passage par Franz Fanon* pourrait éclairer notre lanterne, mais on reste dans le factuel.

Bien sûr on ne saurait demander à une bande dessinée de se transformer en ouvrage d’analyse sociologique ou politique, mais décidément, tout le monde ici est un peu trop lisse et trop gentil – même le grand frère délinquant, présenté comme une sorte de nouveau Robin des Bois – et on peine à vraiment s’intéresser au personnage de Curtis, tellement prévisible.

On le suit de Harlem en Californie, il fonde une famille, puis retourne à la case départ, après avoir connu le succès, il ouvre son école de danse pour donner leur chance aux gamins perdus.L’idée est intéressante : mettre en parallèle les deux destins si différents d’artistes noirs dans une Amérique qui est loin d’avoir réglé ses problèmes de racisme, pas plus que ses inégalités sociales ; il manque cependant une profondeur au personnage central, et un souffle épique à cette traversée de l’Amérique vue du côté des opprimés et de la variété où les artistes afro-américains servent trop souvent de caution à la mauvaise conscience de ceux qui sont du bon côté du manche.

Et malgré ces quelques réserves, il n’est pas mauvais de se remettre tout cela en mémoire.

Danielle Trotzky

104 p., 18 €

Peau noire, masques blancs de Franz Fanon aux éditions du Seuil, collection Points

En libraire depuis le 14 novembre 2918

À lire également :

Black in White America de Leonard Freed, traduction Claire Martinet  Steinkis Ed

 

 

 

On the wall au Grand Palais, Paris

du 23 novembre 2018 au 14 février 2019

Lundi, jeudi et dimanche de 10h à 20h
Mercredi, vendredi et samedi de 10h à 22h.

Fermeture hebdomadaire le mardi

Fermeture à 18h les 24 et 31 décembre 2018

 

Les Ogres-Dieux (T.3) Le Grand Homme

Décembre 2014

de Bertrand Gatignol (scénario) et Hubert (dessin) – Soleil Ed., collection Métamorphose

© Gatignol/Hubert/Soleil Métamorphose

Ceux qui ont lu ce récit à la fois gothique et baroque, sous-titré Les Ogres-Dieux, n’ont pas oublié l’univers fantastique et cruel que décrit cet album en papier glacé au graphisme tout d’or, de noirs irisés et de blancs étincelants ou nacrés.

Petit nous invitait à pénétrer dans un monde ultra violent régi par une race de géants tyranniques et prédateurs qui vivaient dans un palais perché au sommet d’une montagne : les ogres-dieux. Au moment où débute l’histoire, ils sont inquiets pour leur espèce, en voie de disparition à force de cosanguinité, chaque génération étant de taille inférieure à la précédente.

Petit, le dernier-né de la lignée, est à peine plus grand qu’un humain. Il doit par conséquent être éliminé sur ordre de son père, le roi Gabaal. Mais Émione, sa mère, voit en lui la possibilité d’une régénération de l’espèce, à condition qu’il s’accouple à une  » non-ogresse « . Elle va donc le soustraire au terrible châtiment en le confiant à Desdée, mise au ban de la société des ogres-géants pour avoir refusé de manger de la chair humaine.

Qui de l’ogre ou de l’humain l’emportera sur l’autre ? Et quel sera le rôle de son amie Sala dans tout cela ?

 

 © Gatignol/Hubert/Soleil Métamorphose

 

Le présent récit débute à la fin de Petit. 

Petit et Sala se sont enfui. Ne pouvant prétendre lui-même au trône, le Chambellan (v. ci-après Demi-Sang) n’a pas renoncé à voir le jeune prince y accéder, permettant ainsi à la lignée de survivre.

C’est ainsi que, blessé, le fugitif assiste à la capture de Sala – un moyen de pression pour qu’il honore sa charge. Petit est alors sauvé par un homme mystérieux du nom de Lours.

Coutelier et rémouleur itinérant, Lours a rejoint les Niveleurs, un groupe de résistants qui, après avoir reconnu Petit, voient en lui un atout majeur pour faire échec au redouté Chambellan. En échange de leur aide à délivrer Sala, il devra revendiquer sa place sur le trône, désavouer leur ennemi commun et rétablir l’entente entre les géants et les humains. Je ne veux pas être comme mon père, plutôt crever !, proteste-t-il. Mais le cœur à ses raisons…

Une guerre d’usure s’engage alors entre les résistants et la soldatesque du Chambellan. Les syndicats contre l’exécutif, les travailleurs contre leurs exploiteurs, en quelque sorte.

L’histoire de Lours, qui toute sa vie a voulu devenir un grand homme, nous est contée en prose entre chaque salve de planches qui mettent en images l’action des deux parties adverses.

Le pouvoir, les origines, le déterminisme, le droit à la différence restent au cœur de ce nouvel épisode des Ogres-Dieux. Vaste programme !

Rappeler que le graphisme de cet album grand format magnifie ce qui nous est conté semble superflu ; il n’est que de le feuilleter pour s’en convaincre. Le Grand Homme sort le 21 novembre 2018, nul doute qu’il occupera une place de choix chez votre libraire préféré. 

A.C.

186 p./120 planches, 26 €

  • À lire également :
Soleil Ed, 2016. ©

Les Ogres-Dieux T. 2 – Demi-Sang

Demi-Sang est plutôt consacré à l’histoire de l’ascension de Yori, fils batard de la lignée Draken, qui va s’élever à la force du poignet à la dignité de Chambellan.

 

 

 

 

 

 

Les Beaux étés (T.5)

© Zidrou/Lafebre/Dargaud

Les Beaux étés – La fugue de Zidrou (scénario) et Jordi Lafebre (dessin) – Ed. Dargaud.

Chaque album de la série débute par le départ en vacances d’une famille belge, les Faldérault. Leur destination est immuable : cap au Sud. Pierre, le père, dessinateur de bandes dessinées est toujours « charrette » et fait attendre toute la famille. Mado, son épouse, s’impatiente. J’aurais dû épouser un fonctionnaire ! Leurs enfants suivent le mouvement dans la bonne humeur. La situation se complique généralement lorsque le clan arrive à destination…

voir Archives

 

 

 

 

Des chroniques en demi-teinte particulièrement bien troussées, des dessins ronds et solaires, des personnages attachants avec, côté auteurs, un art consommé de nous renvoyer à nos propres souvenirs.

Nous passons successivement de l’été 1973 (T.1) à ceux de 1969 (T.2), 1992 (T.3), 1980 (T.4) , et pour finir, à l’hiver 1979 (T.5). C’est un peu comme si on feuilletait une série d’albums photos sans se soucier de leur chronologie.

En librairie depuis le 9 novembre

Ce cinquième opus débute par un quiproquo. Pierre a laissé un mot sur la porte : Je suis aux Urgences. Panique à bord, Pépète et Mado sont dans tous leurs états. En réalité, Pierre est accouru au chevet de son collègue Garin, bédéiste comme lui, qui ne va pas pouvoir achever la série sur laquelle il planche. Une manne financière providentielle pour les Faldérault qui sont dans la dèche. Providentielle mais problématique, car Pierre n’est absolument pas inspiré par la série en question. Côté enfants, on retrouve Pépète, mais également Louis, Nicole et Julie-Jolie. L’aînée bûche ses partiels et ne va pratiquement pas participer aux mésaventures familiales.

Pour une fois, c’est Pierre qui, désireux de se changer les idées, est fin prêt pour des vacances improvisées. Au sud toute ! Mille bornes à parcourir au bas mot.

© Zidrou/Lafebre/Dargaud

Mado doit préparer fissa ses bagages. Louis est furax. Il s’est coltiné pendant des mois la balade des affreux roquets de son voisin afin de pouvoir se payer un billet pour le concert que les Pink Floyd donnent… à Londres, et voilà qu’ON lui impose des vacances en famille ! Mais à quatorze ans, il n’a pas voix au chapitre.

À bord de la mythique 4L rouge Estérel, l’ambiance n’y est pas vraiment. Leurs sacro-saintes vacances, si souvent émaillées d’épisodes pour le moins mouvementés, ne risquent-elles pas de faire un flop ? 

© Zidrou/Lafebre/Dargaud

On regrette que le grain de sable qui va mettre à mal cette escapade hivernale soit aussi prévisible – les auteurs avaient mieux ménagé le suspense en décidant du sous-titre de leur album précédent, mais les Faldérault ne sont-ils pas passés maîtres dans l’art de positiver et de tirer les enseignements de chacune de leurs mésaventures ? 

A.C. 

56 p., 14 €

 

Notre Mère la Guerre

Première parution le 6 novembre 2014 © Ed. Futuropolis

Chroniques de Notre Mère la Guerre Récits de Kris. Dessins et couleurs Damien Cuvillier, Edith, Hardoc, Vincent Bailly, Maël, Jeff Pourquié – Ed. Futuroplis

Dans cet ultime opus, à la fois complémentaire et indépendant des quatre albums éponymes que Kris et Maël ont publiés entre 2009 et 2012, les auteurs ont voulu rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont laissé des traces littéraires ou visuelles de ce qu’ils ont vécu durant la Première Guerre mondiale.

Certains, animés d’une ferveur toute patriotique, étaient partis la fleur au fusil. D’autres s’étaient au contraire élevés contre l’infamie que représentait à leurs yeux cette guerre, qu’ils qualifiaient de « flétrissante pour leur civilisation, dont ils étaient si fiers ».

Ce sont là les mots du caporal Louis Barthas, simple tonnelier dans un village de l’Aude, antimilitariste convaincu, socialiste patenté, dont les dix-neuf carnets, écrits sur le Front entre août 1914 et janvier 1918, ont participé à l’élaboration de cet album.

On le voit, tenant tête à un officier qui veut à tout prix re-mobiliser ses troupes épuisées. Deux jours plus tard, Louis Barthas écrira : « J’arrachai mes galons, que je jetai dans la boue. Je me sentis délivré d’un remords, libéré d’une chaîne ».

Dessin et couleurs Maël

Puis on croise le lieutenant Charles Péguy. Fusil à baïonnette au poing, il ordonne à ses hommes de charger. « Tirez, mais tirez nom de Dieu ! » leur crie-t-il, avant d’être abattu d’une balle en plein front.

Les balles et les obus ne transperçaient pas seulement le cœur des soldats, mais aussi celui de leurs mères, de leurs épouses et de leurs fiancées

Les sublimes pages que Vera Brittain, anéantie par trois deuils successifs, a écrites sont d’autant plus précieuses qu’elles contribuent à donner un visage à ces millions de femmes qui un jour se sont retrouvées seules.

Les dessins signés Edith servent à merveille cette parenthèse féminine. Ils se démarquent stylistiquement de ceux qui illustrent les autres chroniques. La déréliction est là, dans les traits de ces tout jeunes gens aux yeux noirs sans pupilles. Ils ne peuvent plus offrir à leur entourage que l’esquisse d’un sourire.

On découvre ensuite que l’auteur de l’inénarrable Clochemerle, Gabriel Chevallier, avait écrit en 1930 un roman polémique intitulé La Peur. Un texte jugé impubliable à l’époque, dans lequel Chevallier énonçait des vérités indicibles. « Parler de la guerre sans parler de la peur, c’eut été une fumisterie. (…) Peu d’êtres sont taillés pour l’héroïsme, ayons la loyauté d’en convenir, nous qui en sommes revenus.», avait-il écrit.

Dans la dernière case du chapitre qui lui est consacré, un soldat en interpelle un autre et lâche: « Tu ne crois pas qu’on nous a bourré le crâne avec cette histoire de « haine des races » ?  Tout est dit.

Anne Calmat

64 p., 16€

Un amour exemplaire

En librairie depuis de 5 oct. 2018
Visuels © Cestac/Daugaud

de Daniel Pennac (scénario) et Florence Cestac (dessin) – Ed. Dargaud

C’est en effet une histoire d’amour exemplaire, racontée comme Daniel Pennac sait le faire, avec grâce, humour, fantaisie. Et quand Florence Cestac prend ses crayons aux couleurs vives, éclatantes, pétantes pour l’illustrer, cela prend le tour d’une narration foisonnante de digressions et débridée. Daniel Pennac arrive à son rendez-vous en Dauphine rouge, ce qui ne peut manquer de surprendre son amie Florence Cestac. Le fait qu’il justifie que ce ne soit pas une voiture, mais « une histoire d’amour », et qui plus est « exemplaire », n’a rien pour la convaincre de les dessiner, ni la voiture ni l’histoire.

Mais les deux amis se trouvent dans une brasserie, à boire un Bordeaux pas très bordelais, servi par un garçon grincheux à souhait, au milieu d’une faune ne demandant pas mieux que participer à la conversation, et… l’histoire en vient à se raconter d’elle-même.

Daniel, âgé d’une dizaine d’années et son frère Bernard passent leurs vacances chez leur grand-mère, à la Colle-sur-Loup qui fait face à Saint-Paul-de-Vence. Une joyeuse bande de sexagénaires jouent à la pétanque puis au bridge avant que ces dames fassent tourner les guéridons. L’attention de Daniel est attirée par Jean, un grand monsieur particulièrement laid, chauve, dégingandé et doté d’un nez conséquent. Celui-ci gagne si souvent aux boules et aux cartes que des soupçons de tricherie collent à sa réputation. L’épouse de Jean, Germaine, est rose, ronde et rieuse. Que ce couple soit sans enfant travaille l’imagination du jeune Pennac qui, pris d’affection pour eux, use de stratégies variées pour s’incruster dans leur quotidien. Au fil de jours, il apprend l’histoire du marquis de Cosignac, héritier d’une lignée de vignerons, et celle de Germaine, fille de ferrailleur et couturière de son état. Une histoire qui aurait pu être tragique mais qui éclôt en un amour unique, exemplaire et sans intermédiaire, que je laisse au lecteur le soin de découvrir.Cette découverte ne se fera pas sans rencontrer divers intermèdes, certains mettant aux prises les auteurs avec les consommateurs de la brasserie ; d’autres éclairant le récit par des flash-back, confidences entre Daniel et son frère ; d’autres encore procédant par incursions dans l’imaginaire des différents protagonistes.

Le tout servi par les irrésistibles personnages de Florence Cestac – gros pifs, tifs en bataille, dégaines inimitables – et mis en scène dans des décors soigneusement dessinés et coloriés.

On devine la grande complicité qui lie les auteurs et leur permet ce ton simple, enjoué, spontané, divertissant. Scénario et dessins suscitent une sorte de réjouissance, un petit bonheur.

Daniel Pennac, faut-il le présenter, a expérimenté l’écriture sous de nombreuses formes : essais, romans policiers, romans d’aventure, littérature pour enfant, théâtre, livres illustrés, bandes dessinées. Ce cancre devenu professeur de français, auteur et comédien* sait diffuser le plaisir du texte écrit, dessiné ou parlé.

Florence Cestac, co-créatrice des éditions Futuropolis, fut collaboratrice des Echos des Savanes, Charlie mensuel, Pilote et Ah nana. Créatrice de la série des Deblok dans le Journal de Mickey, elle passa ensuite aux Cestac pour les grands. Le Démon de midi, adapté au théâtre puis au cinéma, La vie en rose et Du sable dans le maillot achevèrent de consacrer son talent. Son style, gros nez est immédiatement reconnaissable.

Nicole Cortesi-Grau

64 p., 14,99 € 

Un amour exemplaire, adapté pour la scène par Clara Bauer, se joue au Théâtre du Rond-Point (Paris 8è) jusqu’au 18 novembre 2018.

Avec Florence Cestac, Marie-Elisabeth Cornet, Pako Ioffredo, Laurent Natrella, Clara Bauer et Daniel Pennac – 01 44 95 98 21

Les Vieux fourneaux (T. 5) Bons pour l’asile

En librairie le 9 novembre 2018

de Wilfrid Lupano (scénario) et Paul Cauuet (dessin) – Ed. Dargaud Bénélux

Visuels © Lupano/Cauuet/Dargaud

Un énorme radeau gonflable vient s’échouer tel un cheval de Troie devant l’ambassade de Suisse à Paris, semant la pagaille parmi le personnel de sécurité. Une bande de vieillards déguisés en oncles Sam, gilets de sauvetage autour du cou, tente de prendre d’assaut la représentation helvétique en demandant à corps et à cri l’asile fiscal, et se retrouve inexorablement au poste…

C’est ainsi que s’ouvre le tome 5 des Vieux fourneaux. Le lecteur retrouvera ses personnages favoris : Antoine, Mimile et Pierrot, toujours gaillards, toujours prêts à renverser l’ordre établi, à s’insurger contre les injustices sociales, la mondialisation, le pouvoir des banques, le sort fait aux migrants.

Tandis que Pierrot retrouve au commissariat une ancienne ado dont il fut l’éducateur et qui est entrée dans la police, Antoine qui a la garde de sa petite-fille Juliette se voit obligé de reprendre contact avec son fils, et Mimile, qui s’apprête à assister au match de rugby France-Australie, erre dans les rues de Paris à la recherche de l’île de la Tordue, squat anar reconverti en dressing chic pour réfugiés par un artifice langagier dont on laisse la primeur au lecteur.

La question des migrants court comme un fil rouge le long de ce tome 5 et surgit aussi là où on ne l’attendait pas forcément.

Celle aussi de l’apparence dans notre société, où Cauuet et Lupano nous conduisent à des réflexions plus profondes qu’il n’y parait.

(détail planche).

On a toujours plaisir à retrouver l’équipe de vieux rebelles qui font chaud au cœur, et le tandem d’auteurs, œil ouvert sur le monde comme il va, a trouvé le filon pour nous faire sourire et nous alerter tout à la fois, par petites touches bien senties, du tas de cailloux énormes empilés sous le métro pour empêcher les réfugiés d’y trouver un abri pour la nuit, à la politique ségrégative des Australiens qui déportent les réfugiés sur une île perdue transformée en prison …

On chemine aussi avec les personnages et leur propre histoire familiale, retrouvailles, fâcheries, désaccords éthiques…. Mais mais mais, il faut bien dire que la veine commence à se tarir un peu, ou c’est peut-être le lecteur qui vieillit, on peine à retrouver la jubilation du premier tome…

Le plaisir est moins vif, mais il est toutefois toujours au rendez-vous, et le dessin nous rend presque joyeuses les marques des années qui s’inscrivent sur les visages de ces vieux irréductibles ; il faut aussi saluer toute la malice contenue dans le titre de l’album.

Danièle Trotzky

56 p., 12 €

 T. 1 à 3 : voir BdBD Archives février 2016