Dans la forêt des Lilas

En librairie le 9 janvier

Les éditions Delcourt Jeunesse aborderont magnifiquement l’année 2019, avec ce récit initiatique de Nathalie Ferlut, sublimé par le dessin de Tamia Baudoindont BdBD/Arts + nous avait fait découvrir en août 2017 leur précédent album intitulé Artemisia.*

La jeune Faith, qui adore se faire appeler Comtesse, retrouve chaque nuit ses amis les hôtes de la forêt. Elle aimerait ne jamais grandir afin de préserver leur lien si précieux. Nés de son imagination, tous ont cependant conscience de la fragilité de leur existence.

© N. Ferlut/T. Baudoin/Delcourt
© N. Ferlut/T. Baudoin/Delcourt

Rongée par un mal dont son entourage lui cache la nature, mais que l’on devine en découvrant au fil du récit les taches de sang en forme de fleurs qui constellent ses vêtements à chaque quinte de toux, Comtesse vit recluse en compagnie de sa gouvernante dans un cottage isolé de la banlieue de Londres. À la fois surprotégée et fragilisée par son maintien dans l’ignorance de son état, la jeune fille s’accroche aux lieux de son enfance.

(détail)

Il lui faudra pourtant grandir, lorsque, sur son insistance à connaître la vérité, elle mesurera le temps qu’il lui reste à vivre. 

Grandir, constater que ses amis de la forêt se comportent désormais d’une étrange manière, voir clair en elle, puis s’éveiller à l’amour avant que le grand oiseau de nuit, qu’on appelle aussi la Camarde, ne vienne l’emporter un soir d’automne. 

Anne Calmat

72 p.,14,95€  

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Les petites victoires

« Quand j’ai su qu’Olivier était autiste, j’ai été d’abord terrifié pour son avenir. Puis je me suis souvenu qu’un enfant très doué peut tout rater si ses parents ne lui donnent pas confiance dans la vie. » (p. 57)

Mention spéciale du jury œcuménique d’Angoulême pour «Les petites victoires», prix remis pour les qualités de valeurs humaines de la BD.

Scénario et dessin Yvon Roy – Ed. Rue de Sévres – Postface Régis Loisel

Dans la vie d’un couple, la confirmation du handicap d’un enfant résonne souvent comme un cataclysme. Chloé et Marc se sont aperçus que quelque chose n’allait pas pas chez Olivier, ils sont allés consulter dans un centre d’évaluation et le diagnostique est tombé : autisme. Passé le choc face à ce qui est devenu pour eux un principe de réalité, Marc se ressaisit : il se consacrera désormais à Olivier afin de lui permettre d’affronter l’existence dans les meilleures conditions. Il lui apprendra à équilibrer les moments de plaisir et de déplaisir, à maîtriser ses mouvements de colère, et en l’amenant peu à peu à tolérer un contact physique avec l’autre. 

En dépit des consignes données par les spécialistes du handicap, Marc, désormais séparé de Chloé, mais unis dans l’épreuve, va, au gré de ses intuitions, poursuivre son combat contre ce qu’il refuse de considérer comme une fatalité. De petites victoires en petites victoires, remportées au quotidien mais sans cesse à consolider, il parvient à instaurer un dialogue – tout d’abord minimal et fragile – avec Olivier. Une conversation rarement interrompue, destinée à le convaincre que le monde et ce qui le compose ne doit pas être perçu comme terrifiant. Marc sait aussi qu’il va devoir faire preuve de beaucoup de créativité pour que son fils parvienne à maîtriser ses accès de panique face, par exemple, à une poussière qui tournoie dans l’eau de son bain ou lorsqu’un bruit intempestif lui vrille les tympans. 

Superbe, tendre, émouvant de simplicité et d’authenticité, comme le sont les trois albums cités ci-dessous*. Les petites victoires, multi traduit, multi primé est à (re)découvrir. 

Anne Calmat

Yvon Roy est un auteur et illustrateur canadien. Il a réalisé, en collaboration avec Jean-Blaise Djian, l’adaptation en bande dessinée du roman phare d’Yves Thériault, Agaguk, ainsi que plusieurs contes pour enfants. Il vit au Québec, près de Montréal. Son fils a maintenant douze ans.

À découvrir également…

  • Ce n’est pas toi que j’attendais (Ed. Delcourt, oct. 2014)
  • La Différence invisible (Ed. Delcourt, août 2016)
  • Arthur et la vie de château (Des Ronds dans l’O éditions, nov. 2016)

La ligue des super féministes

En librairie le 4 janvier 2019
© M. Malle/La ville brûle

de Mirion MalleEd. La ville brûle (dès 8 ans)

En voilà une bonne idée de proposer aux petites filles (aux petits garçons et aux autres) de réfléchir à ce que veut dire être une fille aujourd’hui, ce que c’est qu’être féministe, et de leur faire entrevoir qu’on peut décrypter dans les médias, à la télé, au ciné, sur nos smartphones des signes que filles, garçons et autres, ne sont pas traités de la même façon, et que cela a des conséquences.

Et tout y passe, des contes de fées, des livres roses à l’eau du même nom qu’on propose aux filles, ceux où la princesse attend comme une gourde le prince charmant dont le baiser va l’éveiller à la vie, aux séries télé du même tonneau, où les filles, toujours blondes roses et minces, et peu cortiquées, servent de faire valoir à la gent masculine dominante.

État des lieux remarquablement mené et souvent affligeant.

Ce n’est certes pas une réflexion nouvelle. En 1973, Elena Gianini Belloti faisait un constat similaire dans le fameux Du côté des petites filles paru aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque.

Ce qui est nouveau, c’est la variété infinie des supports qui véhiculent la misogynie ordinaire, très souvent doublée de racisme : internet, les séries télévisées, les jeux video, les super-productions américaines, les livres – bien que la place de ces derniers ait assez nettement régressé.

Il faut saluer le travail remarquable d’analyse mise à la portée des enfants, les chapitres vont crescendo, de la notion de représentation à celle de privilèges en passant par l’écriture inclusive, l’amitié, et ce que c’est que le consentement.

Mirion Malle montre avec brio, notamment avec la métaphore visuelle des sacs à dos de plus en plus lourds, comment les différentes sortes de discriminations s’empilent et rendent la charge importable : c’est plus difficile d’être une grosse femme noire ou un homosexuel au chômage pour faire carrière au cinéma ou simplement trouver un emploi ou un logement.

Le propos n’avance pas masqué, et cette bande dessinée à visée clairement pédagogique se propose de donner des outils, ce qu’elle fait souvent avec talent et bonne humeur.

Le dessin est sympathique, et l’auteure a veillé à respecter l’équité dans la distribution de ses personnages.

Nous sommes sans doute, après la vague des Metoo et autres balances de porcs, à un moment important de l’histoire du féminisme, mais il me semble qu’à vouloir rendre le propos exhaustif, à vouloir faire le tour de toutes les notions – celle de genre, de transsexualité, d’intersectionnalité, de binarité de genre, Mirion Malle risque fort de perdre ses lectrices et lecteurs en route. Comment une petite fille de huit ou dix ans peut-elle ingurgiter en trente-trois pages le tour du monde des différentes formes de discriminations ? C’est certainement un peu beaucoup et l’on frise souvent ce qu’on appelle le politiquement correct qui induit des cadres rigides.

Gare à la pétrification de la pensée dans la présentation de notions encore à l’étude qui sont parfois présentées comme des vérités intangibles.

Cependant, cet album ne manque ni d’inventivité ni de fantaisie et on espère que parents et pédagogues sauront y puiser, car la boite à outils fournie est riche.

Danielle Trotzky

64 p., 16 €

 

Les grands espaces

Depuis septembre 2018
Sélection Angoulême 2019

de Catherine Meurisse (texte et dessin) – Ed. Dargaud

© C. Meurisse/Dargaud

Paris, ciel gris, bas et pollué. Dans un appartement donnant sur les toits, une jeune femme trace sur un mur le dessin d’une porte, formulant le vœu que celle-ci ouvre sur les champs et les près. Et… comme dans un conte de Marcel Aymé, la porte s’ouvre, révélant un champ de tournesols.

Ce récit est celui d’une évasion dans la mémoire retrouvée et de la célébration d’une guérison.

Mû par une intuition, un couple décide d’aller vivre à la campagne pour donner une chance à leurs deux filles : l’auteure et sa sœur.

Le père, habité par la fibre constructive, restaure une vieille ferme en ruines pendant que la mère saisie d’une fièvre horticole sème à longueur de journée des graines dans les champs alentours et dans le cœur des enfants, en leur récitant poèmes et citations.

Les filles transformées en exploratrices conservent leurs étranges trouvailles dans un musée, créé dans le souci culturel d’imiter Pierre Loti, mais aussi d’arrondir leur argent de poche en le donnant à visiter aux parents et voisins.

Ce sont les animaux qui leur font découvrir les expériences de la mort, de la fécondation et du don de la vie. L’apprentissage de la littérature se fait à travers fleurs et fruits : les lettres grecques par les roses du Centifolia au parfum entêtant, Proust par la grande sauge des prés, qui, lui semblait-il, avait toujours quelque chose à lui dire, Montaigne par la beauté de ses roses éponymes et Rabelais par la saveur des figues.

Le plus beau présent fut sans doute le don d’un jardinet découpé façon Le Nôtre, dans lequel les enfants, outre scruter la pousse de leurs plantations, purent s’imaginer dans le parc de Versailles, un nain de jardin figurant avantageusement sa statuaire.

Tout paradis n’est cependant pas exempt d’incursions infernales : l’infecte odeur du sang de l’abattoir déversé sur les champs de maïs, un président de conseil régional dont l’ambition est de doter la région d’un parc d’attraction, la monoculture, les lotissements qui poussent comme du chiendent.

Un intermède : une longue visite au Louvre. Rien de bien particulier à découvrir, on y trouve des murs épais, comme à la maison, des poteries, comme dans le jardin et des statues, comme dans le « musée de Pierre Loti ». Mais ce qu’on y découvre, ce sont d’extraordinaires peintures de Corot, Watteau, Poussin, Fragonard qui célèbrent la nature et lui restituent son génie.

Dès son retour, Catherine ne lâche plus le pinceau, les fleurs, les arbres, les ruines, tant et si bien qu’elle est pressentie pour dessiner l’affiche du prochain festival du Cabicou, présidé par Ségolène Royal !

Las, sa chèvre allongée dans un hamac ne fait pas l’unanimité. Dépitée, elle caricature avec frénésie les festivaliers, ce qui lui assure dans le village un rapide et vif succès. Mystère de la naissance d’une vocation…

Avec de larges planches colorées, Catherine Meurisse nous restitue sa vénération pour la nature. Ses petits personnages, avec leurs mines et leurs gestes expressifs, conservent leur fragilité. Mais surtout, il est impossible de lire cet album sans avoir en tête le précédent, La légèreté*, qui suivait sa lente et douloureuse reconstruction après la tuerie de Charlie Hebdo. Ce retour à l’enfance et surtout à la source créatrice nous montre l’achèvement du processus de guérison. La munificence des couleurs est là pour le confirmer.

Nicole Cortesi-Grou

92 p., 19,90 €

 

  • La légèreté (archives BdBD, avril 2016) ici

Un sac de billes – Hommage à Joseph Joffo

 

Article mis en ligne en 2017

adapté du roman de Joseph Joffo (1931- 2018) – Récit Kris, dessin Vincent Bailly – Ed. Futuropolis  

Ce pourrait être une saga.

Il y eut d’abord le légendaire grand-père, Joseph, qui vivait prospère et heureux dans un petit village près d’Odessa, jusqu’à ce que les premiers pogroms éclatent en1905. Quand les bataillons tsaristes vinrent prêter main-forte à la populace déchaînée, commença pour lui et sa famille un exode à travers l’Europe, non dépourvu cependant de rires, de beuveries, de larmes et de mort.

Son arrivée dans un pays dans lequel on pouvait lire au fronton d’une grande maison de village « Liberté, Égalité, Fraternité » mit un terme à son périple. Il y posa ses valises et se mit à l’aimer comme le sien.

Le père Joffo dut également quitter son pays, la Russie. Pour renforcer ses troupes, le tsar envoyait ses émissaires ramasser de jeunes garçons pour les enrôler. Son père lui enjoignit de prendre la fuite sans attendre et de se débrouiller, à sept ans, il était un petit homme. Son périple l’amena à Paris, où il s’établit coiffeur pour hommes.

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Les enfants Joffo, Joseph et Maurice, passaient une enfance insouciante, rue Marcadet. Quand il fallut  coudre une étoile jaune au revers de leur veste et renoncer à prendre le train ou aller au cinéma, leur père déclara : « C’est à votre tour aujourd’hui, le courage c’est de savoir partir. » Le but du voyage était Menton, en zone libre, où Albert et Henri, leurs aînés, avaient trouvé refuge. Pour cela il s’agissait de passer d’abord la ligne de démarcation à Hagetmau, dans le département des Landes.

MEP_SDBILLES_240x300ok.qxd:Mise en page 1Ce qui apparut comme une folle aventure à Joseph et Maurice, commença avec cinq mille francs en poche – pour eux, une fortune – et la promesse solennelle faite de ne jamais, jamais, avouer leur judéité.Dès la gare de Bercy, il fallut jouer des coudes dans les trains bondés, compter sur son jeune âge pour susciter la protection des adultes, et bien sûr mentir, ne jamais avouer qu’on voyage seuls.
Leur spontanéité d’enfants les sert quand ils se laissent aller, par exemple, à faire confiance à un inconnu qui propose un rabais conséquent sur le prix du passage, en échange d’une tournée de livraison de viande. Ou bien quand, au mépris du danger, Maurice se fait passeur occasionnel pour que leur pécule ne fonde pas trop vite.

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Le corps forcit avec les kilomètres qu’il faut bien faire à pieds, l’assurance s’affirme au gré des rencontres et l’esprit s’aiguise pour imaginer des astuces qui permettent de déjouer les pièges que tendent la police française et l’occupant. Il n’y a guère que les prostituées de Marseille pour provoquer l’effroi des gamins, tant ces dames sont offensives.
Malgré tout, l’enfance est encore prête à s’émerveiller devant la mer que l’on découvre.
Ils finissent par arriver sains et saufs à Menton. Mais le périple est loin de s’arrêter là. Il faudra encore repartir, cette fois pour Nice, retrouver la famille réunie suite à la libération rocambolesque par le frère aîné des parents arrêtés et en instance de déportation.

Sans ressources régulières, comment survivre si ce n’est en devenant expert en système D ? Ce qui est grandement facilité par le règne de la « combinazione » instauré par l’armée d’occupation italienne.
Quand celle-ci laisse la place à l’armée allemande, les rafles contraignent la famille à se séparer à nouveau, et les deux frères à se fondre dans l’anonymat d’un camp de jeunesses pétainistes.

C’est le moment de s’endurcir à nouveau et comme les espions, de s’inventer une identité, des adresses, des parents. Et cela tombe bien car, lors d’une sortie à Nice, les deux enfants ne peuvent échapper à une souricière tendue par les nazis. Seul, le culot permettra à Maurice, fidèle au serment fait à son père de nier leur judéité, de trouver le moyen de convaincre un bon curé niçois de venir apporter au commandant deux certificats de baptême.

La fuite à nouveau, cette fois à Aix-les-Bains, dans un restaurant pour Maurice, dans une librairie pétainiste pour Joseph. Les épreuves ont tant marqué ce dernier qu’il ne trouve plus suffisamment de larmes pour pleurer la mort de son père. Elle précède de peu la libération du village.
Reste à savoir ce qu’ils retrouveront rue Marcadet…

L’ensemble des planches est richement coloré, décors et personnages sont extrêmement bien figurés par un trait précis et dynamique.
Parue sous la forme d’un récit en 1973, cette histoire de formation donna lieu à deux adaptations cinématographiques : la première réalisée par Jacques Doillon en 1975, la seconde par Christian Duguay en 2017. Joseph Joffo, qui avait dix ans en 1941, est écrivain, acteur et continue à raconter son histoire. Il vient de mourrir à l’âge de 87 ans.

Nicole Cortesi-Grou

126 p., 20 €

Bonjour les Indes

Depuis le 21 novembre © Dodo/Ben Radis/Janos/Futuropolis

de Dodo, Ben Radis et Jano – Ed. Futuropolis

Épuisée depuis de nombreuses années, cette œuvre chorale d’une grande densité (au moins autant de texte que d’illustrations) est enfin rééditée. 

 Si vous vous demandez Qui a fait quoi ? les auteurs vous répondront : Le présent ouvrage est une réalisation de Dodo, Ben Radis et Jano. Mais tout n’est pas aussi simple que ça en a l’air ! Tous les textes sont de Dodo, à l’exception de ceux qui sont signés par d’autres. Ainsi à la page 21, Ben Radis signe un très beau récit qu’il affirme avoir vécu… 

p. 21

En ce qui concerne les illustrations, la chose n’est pas plus compliquée que le mode d’emploi d’une cafetière italienne. Les dessins sont signés de la main de leur auteur. Certains sont par contre réalisés à plusieurs. La page 13 par exemple est composée de 3 illustrations : 2 de Jano, 1 de Ben Radis. Les textes sous l’illustration sont de l’auteur du dessin. (…)

(détail)

 Quand trois auteurs emblématiques de la période rock de Métal Hurlant partent ensemble à la découverte de l’Inde, voilà ce que ça donne, et ça ne manque pas de punch…

p. 1, 2 et 3

New Delhi, Bombay, Pushkar, hôtels, transports, repas, architecture, vaches et autres animaux, santé, mode, cinéma, musique, la nature (et même un peu de calme)… Et bien sûr, sexe, drogue et rock’n roll.

Les voix et les styles de chacun se mêlent harmonieusement. C’est un authentique récit de voyage qu’il nous est permis de lire, coloré et franchement drôle.

À l’heure où les carnets de voyages sont souvent très académiques, (re)découvrez ce livre culte du neuvième art.

Anna K.

80 p., 22 €