Tomahwak – Patrick Prugne – Ed. Daniel Maghen


Copyright P. Prugne / G. Maghen – En librairie le 3 septembre 2020 – 96 p., 19,50 €

planches p.16 et 17

Tomahawk n’est pas le nom de l’une des nombreuses tribus d’Indiens qui peuplaient de nord-ouest de l’Amérique au temps de la conquête du Nouveau Monde par les Européens, mais celui d’une hache de guerre que ces mêmes Indiens utilisaient pour combattre leurs ennemis, et plus précisément, ici, celui d’un grizzli, rendu féroce par la seule volonté d’un homme.

Pl.anche p. 40 (détail)

L’un des héros de cette histoire, qui se déroule entre les mois de juin et juillet 1848, Jean Malavoy, va traquer sans relâche ce plantigrade gigantesque, afin de se venger de lui et espérer un jour voir s’atténuer une souffrance qui ne l’a jamais quitté. Mais la meilleure des vengeances n’est-elle pas, dans le cas présent, l’absence de vengeance ?

Détail planche p. 44

Plusieurs thèmes se mêlent à cette fable subtilement illustrée par Patrick Prugne, dont le contexte, rigoureusement historique, nous laisse entrevoir la bataille de Fort Carillon (8 juillet 1848) qui est sur le point de s’engager entre l’armée française et l’armée britannique : la colonisation et les rivalités pour l’appropriation des territoires qui restent à conquérir ou qui l’ont déjà été ; la vie des enrôlés dans les forts ; les relations entre les colons et tribus autochtones ; la grandeur ou la cruauté des uns et des autres…

Planche. p. 43
Carnet de croquis

L’album est tout simplement fascinant de la première à la dernière page. Car ne vous y trompez pas, l’histoire -avec un grand ou un petit « h » – ne s’arrête pas là où l’on croit. Il ne faut surtout pas passer à côté de la vingtaine de planches qui suivent le mot « Fin » inscrit au bas de la page 72 de l’album. Vous y découvrirez alors une postface qui en prolonge la narration, intitulée « Que sont-ils devenus ? », ainsi que nombre de croquis et esquisses, tous plus beaux les uns que les autres.

Carnet de croquis

Anne Calmat

Patrick Prugne (1961, Clermont-Ferrand) a toujours aimé dessiner. Parmi ses auteurs préférés on trouve Pratt, Manara, Juillard, Loisel, Breccia et Prado. Après ses études, il travaille dans la publicité, puis, obtient en 1990 le prix Alph-Art Avenir au Festival d’Angoulême, pour une parodie de la fable Le lièvre et la tortue. « Cela a été un déclic » affirme le dessinateur, qui contacte alors des éditeurs de BD. Dès l’année suivante, il signe chez Vents d’Ouest la série humoristique Nelson et Trafalgar, avec Jacky Goupil au scénario. En 1999 il publie Fol, une saga de fantasy, chez le même éditeur. En 2004, la trilogie L’auberge du bout du monde voit le jour chez Casterman, c’est sa première collaboration avec Tiburce Oger. Ensemble, ils publient en mars 2009 Canoë Bay, aux éditions Daniel Maghen. Aujourd’hui, Patrick Prugne veut poursuivre sa passion : « J’ai encore envie de faire de la BD et de dessiner des projets qui me tiennent à coeur. Si je n’étais pas dessinateur, je serais… dessinateur, ou peut être peintre ».

Texte et photo © Daniel Maghen

La dernière rose de l’été (suivi de) L’aimant – Lucas Harari – Ed. Sarbacane

C O M M U N I Q U É

Copyright L. Harari (scénario et dessins) / Sarbacane – En librairie le 26 août 2020 – 192 p., 29

C’est l’été. Léo, jeune rêveur parisien caressant l’espoir de devenir écrivain, bosse dans une laverie automatique en attendant de trouver l’inspiration pour son grand œuvre. Un soir, il croise par hasard un cousin qui lui propose de garder sa maison de vacances au bord de la mer. Coup de pouce du destin, le timide Léo devient quelques jours plus tard le voisin de riches plaisanciers.

Cependant, malgré l’atmosphère légère et surréaliste, quelque chose ne tourne pas rond. De jeunes hommes disparaissent aux alentours, la tension monte… 

C’est dans ce cadre étrange, et tandis que l’inspecteur Belœil mène l’enquête, que Léo rencontre sa jeune voisine, une adolescente capricieuse et sauvage : la belle Rose.

Policier intimiste hitchcockien d’inspiration Nouvelle Vague, La dernière rose de l’été revisite le récit d’ambiance avec une grâce épurée, une esthétique léchée, des couleurs hypnotiques, et un don singulier pour établir des atmosphères mystérieuses. Pas de doute, c’est bien le nouvel Harari ! 

Après L’aimant ( 2017 Ed. Sarbacane), La dernière rose de l’été est le second roman graphique de Lucas Harari.

Copyright L. Harari / Sarbacane –
152 p., 25 €

Pierre, le héros, était à ce point fasciné par l’architecture que Peter Zumthor avait imaginée à la fin des années 1990 pour la construction des nouvelles Thermes de Vals, qu’il a écrit sa thèse de doctorat sur ce complexe thermal et hôtelier niché à 1.200 mètres d’altitude dans le canton des Grisons. Puis, il s’est ravisé et l’a jetée aux orties. La puissance d’attraction qu’avait exercé sur lui le lieu se faisant de nouveau sentir, il a décidé de se rendre sur place. Pour savoir.

Après une brève introduction sur les conditions d’écriture de la BD, nous le rejoignons dans le tortillard qui le mène vers son destin. Là, un petit caillou doté d’étranges pouvoirs surgit de l’extérieur et atterrit à ses pieds. Il aura une importance non négligeable tout au long de cette histoire qui échappe à toute rationalité. De même qu’un certain carnet de croquis, disparu puis réapparu, et un Zippo « passe-muraille »…

Une fois arrivé, le jeune homme va faire un relevé minutieux de la topographie de l’imposante structure minérale aux lignes géométriques et noter la présence d’une porte sur l’un de ses panneaux. La réalité de ladite porte va bientôt être contestée avec véhémence par l’un des personnages du récit, l’inquiétant Philippe Varet, un écrivain-conférencier, spécialiste dans l’étude des villes d’eau.

Pierre l’a pourtant vue de ses yeux vue, et même dessinée…

Le jeune homme va également être le seul à croire l’histoire que raconte Testis, un vieil ermite des montagnes, dont l’âge canonique porte les autres à déclarer qu’il déraille. Le vieillard prétend en effet que jadis, un jeune déserteur de la Première Guerre mondiale s’est volatilisé sous ses yeux, comme absorbé par la paroi rocheuse, cependant qu’une pluie de pierres fondait sur lui.  

On n’en dira pas plus, préférant laisser au lecteur le soin de découvrir cet album aussi troublant que captivant.

Lucas Harari est né à Paris en 1990, où il vit toujours. Après un passage éclair en architecture, il entreprend des études aux Arts déco de Paris, dans la section image imprimée dont il sort diplômé en 2015. Sensibilisé aux techniques traditionnelles de l’imprimé, il commence par publier quelques petits fanzines dans son coin, avant de travailler comme auteur de bande dessinée et illustrateur pour l’édition et la presse.

A.C.

Sourvilo – Olga Lavrentieva – Ed. Actes Sud

C O M M U N I Q U É – Copyright O. Lavrentieva / Actes Sud

Traduction Polina Petrouchnina. En librairie le 2 septembre 2020 – 320 p. 28 €

En Russie, les grand-mères sont la mémoire vivante de l’histoire tragique de leur pays. L’écrivaine Svetlana Aleksievitch, prix Nobel de Littérature en 2015,  raconte d’ailleurs qu’enfant, sa grand-mère lui avait appris à écouter ce qu’on avait pas le droit de dire

Ici, c’est Valentina Sourvilo, 94 ans, qui raconte à sa petite-fille, Olga Lavrentieva, son enfance heureuse à Leningrad, brutalement interrompue par l’arrestation de son père, en 1937. Viennent ensuite l’assignation à résidence, la mort de sa mère, le retour dans sa ville natale, qui sera assiégée pendant plus de deux ans. C’est le tristement célèbre Siège de Leningrad. C’est aussi l’époque de la faim persistante, de la peur épuisante, des trahisons d’amis, puis plus rares, comme par miracle, celle des mains qui se tendent… Tout cela a laissé une profonde cicatrice dans le cœur de Valentina, la conduisant, même dans les années relativement prospères d’après-guerre, à souffrir d’une peur irraisonnée pour ses proches.

Imprégnée de tendresse, l’histoire de cette femme, que l’auteure illustre à travers un graphisme en noir et blanc, laconique  et puissant, devient le reflet du destin de millions d’autres, et de tout une nation*.

Olga Lavrentieva est membre de l’Union des artistes de Saint-Pétersbourg. Elle privilégie dans ses bandes dessinées la fiction documentaire, comme dans son premier album consacré à un procès de militants proches d’Édouard Limonov. Auteure reconnue en Russie, ses œuvres sont publiées en Finlande, en Suisse, en Norvège, aux États-Unis, en Hongrie, en Pologne et, pour la première fois, en France.

  • Pour mémoire – 1937 marque l’apogée de ce qu’on a appelé la Grande Terreur instaurée par Staline. La répression procède par catégories sociales : les anciens nobles, les trotskistes, les militaires, les ouvriers… et ceux qui sont d’origine polonaise comme Vikenty Kazimirovitch Sourvilo, dont le nom de famille est sans équivoque.
  • 1941. L’Allemagne envahit l’URSS sur plusieurs fronts. Hitler l’a ordonné, Leningrad, berceau de la Révolution de 17, doit être rayée de la carte. Assiégée, cette ville de trois millions d’habitants brutalement confinés, se retrouve coupée du monde, avec des stocks de nourriture largement insuffisants : blé et farine pour 35 jours, viande et bétail sur pied pour 33 jours, sucre et conserves pour 300 jours alors que le siège va durer… 900 jours. Bombes et obus vont réduire la Venise du Nord en un champ de ruines où sévissent le froid – jusqu’à moins 38 °C – et la famine. 

Quand enfin le siège sera levé, en 1944, on dénombrera 1 800 000 morts dont 1 million de civils. 

Un train d’enfer – Erwan Manac’h – Gwenaël Manac’h – Ed. La ville brûle

Copyright E. & G. Manac’h / La ville brûle – En librairie le 11/09/2020
136 pages • 18 €

À première vue, le sujet de la BD ne semble pas très glamour : « préparer la SNCF à l’ouverture à la concurrence, ce qui signifie nouveau modèle de management, nouvelle organisation, nouveaux tarifs« …

Pas très glamour, mais plutôt prometteur quand on connaît le duo de choc que forment, chacun dans sa spécialité, les « Manac’h Brothers ».

L’un, le journaliste Erwan Manac’h, est parti à la rencontre des salariés de la SNCF, et jusque dans les couloirs du Pouvoir, pour nous permettre de comprendre les transformations à l’œuvre dans le transport ferroviaire.

Cette enquête citoyenne et politique, parue dans Politis en 2019 interrogeait et interroge plus encore aujourd’hui notre avenir : alors que l’urgence climatique devrait être une préoccupation constante des pouvoirs publics, comment expliquer que l’on sacrifie le seul mode de transport écologique ?
Qu’en est-il réellement du statut de cheminot ?
Quels sont les enjeux qui sous-tendent l’ouverture à la concurrence ? Au terme de cette enquête, se dessine la genèse d’une crise aiguë qui souligne les ressorts cachés
et les logiques invisibles qui régissent notre économie.

Quant au second, Gwenaël Manac’h, il s’est emparé de son porte-mine, de son tire-ligne, de ses encres de Chine couleur, de son curvimètre, de son compas à balustre… et s’est lancé, à la vitesse qui lui convenait mais sûrement pas à 100 à l’heure, dans les illustrations de la version BD du reportage extrêmement fouillé et sans concessions d’Erwan Manac’h.

La rectitude de l’un associée au coup de crayon percutant de l’autre, cela donne envie d’en savoir plus. Et puis, ne sommes-nous pas toutes et tous concerné-e-s ?

LES AUTEURS

Erwan Manac’h
Né en 1987, il est journaliste à Politis depuis 2011, responsable de la rubrique économique et social et auteur de plusieurs enquêtes sur les nouvelles méthodes de management. Depuis de nombreuses années, il enquête sur les conséquences, notamment sociales, de l’ouverture à la concurrence de la SNCF.

Gwenaël Manac’h
Né en 1990, il est auteur de bande dessinée et illustrateur, diplômé de l’ESA Saint-Luc. Sa première BD intitulée La cendre et le trognon est parue chez Six pieds sous terre en
janvier 2019.