En attendant Bojangles -Ingrid Chabert – Carole Maurel – Ed. Steinkis

Copyright I. Chabert, C. Maurel – Steinkis, 2017

Il y a d’abord eu l’immense succès du roman d’Olivier Bourdeaut, puis son adaptation pour le théâtre suivie la parution de la BD en 2017… Coup d’œil dans le rétro.

Le scénario ? Un jeune garçon, son père et sa mère, figure centrale du récit, vivent en osmose dans le monde chimérique qu’elle a construit pour eux. Il y a aussi mademoiselle Superfétatoire, un échassier qu’ils ont ramené d’un voyage en Afrique, ainsi que le grand ami de la famille, qu’ils appellent affectueusement « l’Ordure ». Et enfin, tous ceux qui gravitent en permanence autour du couple, un verre de champagne à la main. Elle est excessive, fantasque, imprévisible, à la recherche d’une extase perpétuelle dont toute contingence matérielle doit être bannie. et n’a de cesse d’entraîner les deux hommes de sa vie dans un tourbillon perpétuel d’insouciance. C’est ainsi que parmi la tonne de courrier accumulé, sans qu’il ait jamais été question d’en décacheter un seul, se trouve celui qui risque de peser lourd dans leur existence. L’enfant n’est pas dupe, mais par amour filial, il joue le jeu et fait tout ce qu’il peut pour que l’incandescence de leur vie ne connaisse aucune éclipse. Il est le narrateur pétri d’humour et de bon sens de cette histoire douce-amère ; mais on peut en lire çà et là une version contrastée au travers du journal que le père tient régulièrement.

On pense bien entendu à l’univers de l’écrivain américain Francis Scott Fitzgerald, mais aussi à la légèreté d’un Boris Vian, qui a su conjuguer pureté des sentiments, féérie du langage et insolence de l’humour.

Mais dans En attendant Bojangles, qui emprunte son titre à celui interprété par Nina Simone, les éclats de rire vont au fur et à mesure du récit se faire assourdissants et les excès ressembler à une fuite en avant. Jusqu’au jour où elle va trop loin. Dès lors, ce qui avait le charme – trompeur – de la folie douce va prendre un tout autre relief…

Le père, fou d’amour pour sa femme, et fils feront tout pour éviter l’inéluctable pour que la fête continue coûte que coûte.

Une adaptation totalement réussie, servie par un graphisme tendre et délicat.

A.C.

104 p., 18 €

Olivier Bourdeaut

Des mêmes auteures…

Elles s’aiment et après des années d’attente, d’espoir et de désespoir, un bébé est annoncé. Mais la grossesse est compliquée et le pire arrive. Elles vont devoir se reconstruire et lutter contre la douleur. L’amour, l’évasion sur les terres de leur enfant disparu et les carnets qui se remplissent vont les aider à sortir la tête hors de l’eau, loin des Ecumes. Steinkis éditions, février 2017

88 p., 18 €

Renaud « Putain d’expo » – Philarmonie de Paris

du 16 octobre 2020 au 2 mai 2021 – 221 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris M° Porte de Pantin 01 44 84 44 84 – Se reporter au site de la Cité de la Musique pour les infos complémentaires : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/22596-renaud-putain-dexpo

Visuels copyright Philharmonie, Musée de la Musique

« C’est pas un Olympia pour moi tout seul, mais une « putain d’expo ! » juste pour mézigue que vous allez zieuter… Et au Musée de la musique, s’il te plaît ! Moi qui connais trois accords de guitare je trouve ça zarbi, mais bon, j’dis rien. Ce s’rait une sorte de rétrospective de ma vie de chanteur, y paraîtrait. Un pote m’a dit que ça « sentait le sapin » mais j’m’en tape un peu, j’aime cette odeur qui me rappelle les doux Noëls de mon enfance. Une expo de son (mon) vivant – ou ce qu’il en reste – c’est franchement pas ordinaire, faut bien dire. C’est beaucoup d’honneur pour un chanteur énervant qu’a pas encore tout à fait calanché et qui compte bien ne jamais arriver à ce manque de savoir-vivre, comme disait ce bon Alphonse… « Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard », déclarait le poète, et c’est un peu cet exercice agité, livré à ses enthousiasmes et à ses désenchantements, que mes gentils apologistes ont voulu mettre en avant dans cette exposition qui porte le nom du plus vieux métier du monde pour honorer le plus beau de tous : le mien ! »
Renaud, juin 2020

Mis à part celles et ceux de la « jeune classe » qui n’ont jamais balancé à leur pote « T’vas voir la gueule à la récré. » ou « Casse-toi tu pues et marche à l’ombre », il y a de fortes chances que ces sommations, qui ont fait entrer dans le langage courant de nouvelles expressions, renvoient les moins jeunes à leur jeunesse, au temps où Renaud dans toute la force des 25 ans bousculait la variété française.

Plus tard, il y eut cette image d’un homme que la gloire avait probablement cueilli trop trop tôt et trop fort, celle d’un Renaud bouffi par l’alcool qui faisait mal à voir et que les plateaux de télévision se plaisaient à exhiber.

Cette expo lui restitue sa splendeur.

A.C.

Extrait du communiqué de presse. 

Dans la tradition des chanteurs de rue qui poussent la goualante des faubourgs, Renaud commence au début des années 1970 par chanter sur les marchés, dans les rues et les cours d’immeuble. Accompagné à l’accordéon par son ami Michel Pons, il reprend Bruant, Fréhel et le répertoire de la chanson réaliste, mais chante aussi des morceaux de sa propre composition. Dans la rue, il faut retenir le public parce qu’il n’est pas acquis, mais il est ainsi possible de s’exprimer sans contrainte : Renaud invente sa voix. Quittant la rue pour les cafés concerts, le chanteur fait alors les premières parties de Coluche, son camarade comédien du Café de la gare. Imposant son répertoire et sa gouaille, il finit par enregistrer son premier disque Amoureux de Paname en 1975. Sur celui-ci figure « Hexagone », chanson culte, fédératrice de toutes les révoltes et de toutes les colères. 

Grâce à l’emploi de l’argot et du verlan, les chansons de Renaud manifestent une relation permanente à la société, en même temps qu’elles font preuve d’une extraordinaire créativité linguistique. «J’aime la langue française. C’est pour ça que je me permets parfois de la maltraiter comme une vieille dame un peu trop rigide. » Contre le langage institutionnalisé, Renaud impose le langage oral entre parodie, transformations lexicales, jeux de mots et registre de langue. Cette subversion linguistique et sa dimension ludique font la griffe du Renaud parolier.

À vingt-cinq ans, Renaud affiche une silhouette de personnage de bande dessinée : jambes arquées, foulard rouge et cuir noir. Il semble tout droit sorti des fictions musicales qu’il met en scène depuis le succès de « Laisse béton » en 1977. Son paysage imaginaire repose cependant sur une observation attentive de l’évolution de la société au tournant des années 70 : la ville, son béton, l’opposition entre bourgeois et habitants des grands ensembles. Avec tendresse et dérision, ses « chansons-histoires » héroïsent la zone et la banlieue avec ses codes : virées en mobs, bastons et bistrots ; elles jonglent avec les mots et transforment l’argot et le verlan en respiration poétique. Les personnages sont si vivants que Renaud les tutoie et le public s’y reconnaît. 

L’exposition explore les différents répertoires de l’artiste : Renaud le révolté, Renaud le poète-portraitiste, Renaud l’engagé et Renaud l’amoureux de l’enfance. 

Pour incarner ces différents univers, l’exposition se déploie à travers une série de décors réalisés par Gérard Lo Monaco, l’auteur de nombreux décors de scène de l’artiste. 

Elle présente des documents rares : archives familiales, manuscrits, objets de la collection personnelle de l’artiste, dessins, planches de bande dessinée et maquettes de décors.

Si l’exposition dévoile la profondeur d’un artiste engagé, elle témoigne aussi de son impertinence et de son humour. Poétique et colorée, elle est accessible à toutes les générations.

Elle se poursuivra dans l’enceinte du Musée de la musique avec une projection de Renaud en concert.

Élise – Fabian Menor – Ed. La Joie de lire

Copyright F. Menor / La Joie de lire – En librairie le 22 oct. 104 p., 17€90

Que peut donc penser cette enfant au visage impénétrable que l’on découvre sur la couverture de l’album ? Qui guette-t-elle, les bras sagement croisés ? On s’attarde un instant sur cette image, redoutant qu’à la noirceur du dessin s’ajoute celle du quotidien de la petite fille. Élise.

L’héroïne de cette histoire, qui n’est autre que la grand-mère de l’auteur, aurait cependant tout pour être heureuse, sans cette sorcière d’institutrice qui lui donne des cauchemars : une famille aimante, un chien attentif et fidèle. 

On la voit le matin qui se rend à l’école avec son petit frère et sa sœur. Une classe unique pour les différents niveaux, comme il y en avait dans les villages au début des années 1950. Elle est tenue par l’incontournable madame Jousseau qui mène son petit monde à la baguette. Ses élèves l’ont surnommée « la pionne ». Aucun gant de velours ne vient atténuer la vigueur de ses gifles (souvent accompagnées d’humiliations), qu’elle sème à tout vent. Sa perversité est sans limites, quant à ses compétences professionnelles, elles laissent à désirer…

Élise est sa cible privilégiée. Elle subit sans broncher. Pas question d’aller se plaindre. « Ce qui se passe à l’école, reste à l’école » a prévenu la Jousseau.

On est à une époque où la protection de l’enfant n’a pas encore été imposée dans les écoles.

Jusqu’au jour où une gifle administrée avec vigueur laisse une trace sur le visage d’Elise. Son père s’en émeut, vient demander des comptes. Outrée, la virago nie, prend à témoin ses élèves qui, terrorisés, se défilent. Le père repart en s’excusant. « Je ne sais pas ce qui est pire : le regard de mon père ou la lâcheté de mes camarades » s’est ensuite dit Elise.

Que vaut sa parole face à celle d’un adulte ? À qui faire confiance désormais ?

Qui Élise attend-t-elle, les bras sagement croisés ? Peut-être celle ou celui par qui tout pourrait rentrer dans l’ordre.

Un roman graphique éloquent, illustré avec sobriété au travers du dessin à l’encre de Chine et au lavis de Fabian Menor. Un album troublant également si l’on songe à la violence qui règne aujourd’hui dans certaines cours de récréation (bagarres, harcèlement…),

Anne Calmat

L’Inversion de la courbe des sentiments – Jean-Philippe Peyraud – Ed. Futuropolis

Coup d’œil dans le rétro (mai 2016)

Copyright JP Peyraud / Futuropolis

On se croirait presque dans un vaudeville, avec portes qui claquent, quiproquos, évanouissements, filatures et fausses pistes.

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Le synopsis ? Un jeune homme, Robinson, tente de quitter, chaussures à la main, l’appartement de la jeune femme qu’il a « pêcho » la veille sur un site de rencontres – à moins que ce ne soit l’inverse.  Mais cette dernière se réveille… Pas de bol.

On le retrouve quelques planches plus loin en bas de chez lui, un sac de croissants à la main, au moment où sa copine lui apprend qu’elle le quitte. Puis c’est au tour de son propre père de débouler dans le vidéo-club qu’il tient avec son pote Mano : sa femme vient de le foutre à la porte.

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Ajoutez à cela deux jeunes adultes à la recherche de leur géniteur (Robinson ?) et un braqueur amoureux particulièrement attentionné, et vous aurez une petite idée de ce qu’il se passe dans cette histoire romantico-cruelle, dans laquelle une douzaine de personnages vont se croiser, s’enlacer, se quitter, s’affronter.

L’action est menée tambour-battant, le scénario est précis comme une montre suisse, tout s’emboîte à merveille. Pour rester dans le parallèle du début avec un vaudeville, on n’est jamais très loin du tragi-comique de vérité des géniaux Labiche et Feydeau.

Une BD revigorante en ces temps troublés.

A. C.