Iris, deux fois – Éditions Sarbacane

En librairie le 3 février 2021 – Copyright A-L Reboul (scénario) et N. Reboul (dessin) – 192 p., 24 €

Iris, jeune auteure à succès, adorée de son compagnon et favorite pour le prix Renaudot qui doit prochainement être décerné, a tout pour être heureuse – si ce n’est toutefois le stress qu’entraîne chez elle cette perspective pourtant gratifiante. Se sentirait-elle illégitime ? Mais voici qu’une sérieuse ombre au tableau s’est depuis peu de temps imposée dans son sommeil. Ses jours sont devenus un cauchemar, et son stress n’a fait qu’augmenter.

La nuit, Iris se prénomme Osiris. La messagère des Dieux face à celui qui régnait sur les morts. Insolite ! D’autant plus insolite qu’une troisième figure légendaire, Camille, femme guerrière, est présente de nuit comme de jour dans la vie des deux héroïnes. Ce n’est peut-être pas un hasard…

Détail planche

Osiris vit dans une zone pavillonnaire sinistre et travaille dans un centre commercial Leclerc, au rayon livres. Elle traîne sa vie comme un boulet aux côtés de Bertrand, un alcoolique hargneux et pleurnichard, et de leur fils handicapé. Osiris a elle aussi ses zones d’ombre.

Iris appartient quant à elle au cercle privilégié des éditeurs, des auteurs et des intellos du Quartier latin.

Nous passons alternativement d’une réalité à l’autre, celle de l’écrivaine confirmée et celle d’Osiris qui aspire à le devenir. Le chemin va être long et ardu, au bout duquel l’héroïne (laquelle ?) réalisera que pour « accoucher » d’une œuvre forte et essentielle, il faut mettre ses tripes sur la table, sans tricher, sans rien dissimuler. « La douleur est l’auxiliaire de la création » a écrit Léon Bloy.

Nous n’en dirons pas plus, si ce n’est que ce roman graphique initiatique est aussi envoutant que passionnant .

Anne Calmat

Copyright

Anne-Laure Reboul est née dans la Drôme où elle est revenue vivre depuis quelques années. Elle est co-scénariste de La Tomate (Glénat, 2018) et de La marche(Vents d’Ouest, 2019). Iris, deux fois est son premier scénario en solo.

Copyright

Naomi Reboul est née dans la Drôme et y vit actuellement. Elle passe quelques années à Lyon où elle aborde plusieurs disciplines dans le domaine de l’art : cinéma, graphisme, dessin… Elle finit par s’arrêter sur la bande dessinée, médium qui concentre plusieurs de ses passions. Sa première publication est une nouvelle, Intersaison, publiée en 2019 dans un recueil annuel d’histoires courtes, Bermuda (Expé éditions). Iris, deux fois est son premier roman graphique 

Les déracinés – Catherine Bardon – Winoc – Ed Philéas

Depuis le 21 janvier 2021 – Copyright C. Bardon (scénario), Winoc (desssin) /Ed. Philéas – 112 p., 18, 90 €

Les premières planches de l’album évoquent l’atmosphère du roman de l’auteur autrichien, Stefan Sweig, Le monde d’hier (1942), avant que, sous l’effet de forces destructrices du nazisme, s’en soit fini de la sécurité des juifs en Allemagne et en Autriche.

En 1932, dans un quartier huppé de Vienne, on fête le mariage d’Almah et de Wilhem. Interdiction de parler politique, mais nul doute que la situation présente est au centre des préoccupations de chacun.

Les mois passant, l’antisémitisme enfle, les insultes sont devenues monnaie courante et les agressions physiques de plus en plus fréquentes. Almah et Wilhem vont devoir quitter leur pays, devenu dangereux, et laisser derrière eux des êtres qui leurs sont chers. La route de l’exil va être d’autant plus longue et périlleuse que peu d’États sont prêts à accueillir ces damnés de la terre que sont devenus les juifs en 1939.

Déboutés par les Etats-Unis, Almah, Wilhem et leur jeune fils n’auront d’autre solution que de faire route, avec leurs compagnons d’infortune, vers la République Dominicaine où, pour complaire aux Américains, le dictateur Trujillo a proposé d’accueillir 100 000 juifs venus d’Europe. Sa démarche est loin d’être altruiste, puisque en réalité ce sont des associations de juifs américains qui, sous l’œil intéressé de grandes entreprises, ont financé l’installation des exilés sur les terres qui leur ont été dévolues. Avec toutes les magouilles que cela sous-entend de la part des groupes financiers…

Et si nous prenions ce rejet comme une promesse plutôt que comme une malédiction, a dit Alma à Wilhem en quittant Ellis Island.

C’est ce que ces familles venues d’Europe vont faire, en domptant la nature et en créant une autre forme de vie, eux qui ont si souvent été à deux doigts de la perdre. Ce sera pour nous lectrices et lecteurs l’occasion de croiser une multitude de personnages, tous différents, mais poussés par la même soif de liberté.

Le troisième chapitre de l’album, intitulé « Inventer le paradis » est le plus surprenant, le plus riche d’enseignement aussi. Le vocable « résilience » et la notion de « quête des racines  » ne peuvent ici être mieux illustrés.

Une part de fiction (Wilhem et les siens, symboles de toutes ces familles prises dans la tourmente du nazisme) mêlée à une réalité historique méconnue (les prémices de la naissance de l’État d’Israël) donnent une intensité particulière à cet album, dont l’actualité ne peut par ailleurs manquer de nous interpeler, puisque d’autres déracinés ne cessent ne nous demander de l’aide.

Anne Calmat

Catherine Bardon

Catherine Bardon est une amoureuse de la République dominicaine où elle a vécu de nombreuses années. Elle est l’auteure de guides de voyage et d’un livre de photographies sur ce pays. Son premier roman, Les Déracinés (Les Escales, 2018) a rencontré un vif succès. Son « alter ego graphique » vient de paraître aux étions Philéas.

Winoc

Après un apprentissage BD à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles, Winoc publie trois albums d’histoires policières régionales, Les Pierres du Nord, puis un album retraçant la vie d’Auguste Mariette, égyptologue du 19e siècle et père de l’égyptologie. Une douzaine d’autres albums suivront, dont De Mémoire en 2019 (Bamboo ed.).

La Chute (T.1&2/5) – Jared Muralt – Ed. Futuropolis

(T. 1) Depuis 4 mars 2020 – © J. Muralt (Scénario et dessin) / Futuropolis – 72 p., 15 €

La première publication, en Suisse, du tome 1 de La Chute date de décembre 2018.  C’est dire si l’auteur s’est révélé particulièrement visionnaire en imaginant cette histoire aux accents apocalyptiques.

Un « devin » ? Non, tout simplement un scénariste-illustrateur qui, à force d’observer le monde tel qu’il va, en a conclu qu’il va dans le mur.

Qu’est-ce qui peut amener les hommes à une telle situation, et comment survivre dans un monde en chute libre ? Jared Muralt invite ses lecteurs à y réfléchir.

Ce qui est décrit nous est familier : un été caniculaire, une pénurie d’eau – avec toutes les conséquences que l’on imagine, une grippe estivale qui a viré à la pandémie mondiale malgré un plan de vaccinations massives. Toutes les conditions sont réunies pour une crise sanitaire et socio-économique sans précédent.

Le premier tome plante le décor de la tragédie en cinq actes qui va se jouer.

C’est ainsi que nous faisons la connaissance de Liam. Il rentre chez lui après avoir été licencié. Les nouvelles à la radio sont alarmantes. Il traverse des hectares de champs devenus stériles ; pas un arbre, pas un bovin à l’horizon pour donner un souffle de vie à ce paysage désolé.

Liam, la quarantaine, est père de deux ados, Max et Sophia, et époux d’une infirmière qui ne va par tarder à quitter la scène, emportée par cette « grippe estivale » qui a déjà fait tant de ravages. Les premiers signes de violences, qui se terminent dans un bain de sang, sont apparus dans cette partie de la Suisse allemande, malgré un service d’ordre assuré par les forces armées. La ville est désertée, les magasins d’alimentation ont été dévalisés ou pillés, Liam n’a plus d’autre choix que de partir avec ses enfants, dans l’espoir de rejoindre, malgré le couvre-feu strict qui a été décrété, ses beaux-parents qui possèdent un chalet à la montagne…

Détail planche

(T 2) Depuis le 6 janvier 2021 – © J. Muralt / Futuropolis – 88 p., 16 €

« La nature ne pardonne pas, n’oublie rien… Des coups, elle peut en supporter mille et rendre soudain non pas œil pour œil mais apocalypse pour chiquenaude » a écrit Jérôme Deshusses dans son roman Délivrez Prométhée. (Flammarion, 1978)

Ce qui est décrit dans le tome 2 va nous plonger dans une atmosphère plus oppressante encore. On pense irrésistiblement au roman de Cormac McCarthy, La Route

On a vu que Liam avait décidé de fuir un environnement devenu inhospitalier, dans l’espoir que ses enfants et lui trouvent un semblant de tranquillité dans les Alpes suisses. Au moment de partir, alertée par des cris insolites, Sophia retourne dans leur immeuble, dont elle ressort avec un bébé dans les bras. Une petite fille.

Puis l’auteur développe son analyse des situations possibles à venir. Les gouvernements n’ont pas suffisamment tenu compte du réchauffement climatique, qui pourtant se renforçait année après année, ni su endiguer la crise socio-économique qui sévissait dans leurs États ; une crise poussée à son paroxysme par l’apparition non-anticipée de cette grippe particulièrement virulente. Résultat : l’inéluctable s’est produit, le chaos généralisé a pris le pouvoir.

La vie à l’extérieur s’est organisée sur un mode clanique : tout étranger au groupe est un ennemi potentiel, et qui plus est, un ennemi mortel porteur du virus. Mais quand on a charge d’âmes, il faut faire face avec la seule arme dont on dispose : la détermination…

Liam, ses deux enfants et le bébé sont donc parvenus à quitter Berne, mais ce qui les attend ressemble aux prémices de l’enfer.

Et nous ne sommes qu’au début de cette fiction, remarquablement servie par le coup de crayon éloquent de Jared Muralt, (voir également les planches de croquis à la fin de chaque album). Nous saurons au dernier acte si – selon Jared Muralt – le mur que les hommes ont érigé est infranchissable…

Planche de croquis, détail

Anne Calmat

Jared Muralt est né en 1982 à Berne, en Suisse. Il suit des cours dans une école d’art, mais développe surtout des qualités de dessin anatomique de manière autodidacte au travers des livres. Il est aussi le co-fondateur des studios Backyard, une agence de design graphique qui a reçu le prix de la ville de Berne.

Texte © Paquet

Factomule – Øyvind Torseter – Ed. La Joie de Lire

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Depuis le 21 janvier 2021 – Visuels copyright Ø. Torseter / La Joie de Lire – 136 p., 18 €

Où l’on retrouve notre ami Tête de Mule et son acolyte, l’homme à la trompe. Le premier est factotum, le second est Président. De quel pays ? Nous ne le saurons pas, mais il est certain qu’il ne s’agit pas d’un confetti sur la carte du monde, puisque ledit président détient LA valise, celle qui peut faire beaucoup de dégâts si un irresponsable s’en empare et appuie sur le bouton rouge.

Tête de Mule est donc factotum. Un titre qui peut sembler pompeux pour dire qu’il est l’homme à tout faire du président : réparateur de chaise de bureau, plombier… Mais attention ! il doit bientôt être promu au rang du porteur de valise, le président préférant se concentrer sur les affaires courantes (ici, les parties de golf sont remplacées par la tonte de la pelouse devant de palais présidentiel).

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« Monsieur le Président, il y aurait des fuites dans le Palais. » « Factotum, jetez-y un œil quand vous aurez fini de décoller ma semelle… »

Pour l’heure, Tête de Mule se contente d’un emploi subalterne… mais essentiel.

Mais ne voilà-t-il pas qu’un soir, il se fait agresser et dépouiller par un individu qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Tête de Mule ne tarde pas à constater que son mystérieux double s’est installé chez lui et – Ô rage ! Ô désespoir ! – qu’il occupe SON poste d’homme à tout faire auprès du président.

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Tête de Mule est dans de beaux draps, mais il a plus d’un tour dans sa boîte à outils…

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En attendant, comment prouver son identité, et surtout, comment éviter la cata ?

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Un « thriller » fantasque, bourré de charme et d’esprit, assorti d’une satire du pouvoir et des relations internationales. Une nouvelle fois*, la magie opère dès le premier regard. Tout lectorat.

Anne Calmat

V. BdBD Archives : Tête de Mule (2016),Mulysse prend le large (2018), La cape de Pierre (2020).

Et l’homme créa les Dieux – Joseph Béhé – Ed. Futuropolis

Depuis le 13 janvier 2021 – Copyright J. Béhé (scénario et dessin) / Ed. Futuropolis – 368 p., 35 €

D’après l’essai de Pascal Boyer (Robert Laffont, 2001)

Pourquoi existe-t-il des religions dans le monde ? Ont-elles une origine commune ? Pourquoi les gens sont-ils croyants ? Nous sommes ici aux interrogations les plus fondamentales, les plus intemporelles et peut-être pour l’avenir des hommes sur la terre.

Au tout début, bien avant que Mathusalem ou Noé n’apparaissent dans les textes religieux, les hommes avaient coutume de redouter les signes qui leurs venaient du ciel, comme par exemple le grondement du tonnerre ou les éclairs. Ils se méfiaient également des esprits, qui pouvaient être maléfiques et dont il fallait se protéger. Ils ont alors fait appel à des sorciers, absorbé des potions magiques, suspendu des amulettes à leur cou. Dans tous les cas, il s’agissait de croire que des forces supérieures gouvernaient le monde, qu’elles soient vindicatives ou accommodantes. Plus tard, les envoutés, les exorcistes et les gourous ont fait leur apparition. Pour tout simplifier, la plupart des sociétés en sont finalement venues à se référer à un Être suprême, qu’elles ont nommé Jésus Christ, Mahomet, Yahvé ou Bouddha. C’est avec l’apparition du monothéisme que les querelles ont débuté, chacun croyant dur comme fer être le détenteur de LA vérité. On verra à ce propos comment des groupes fondamentalistes de tous poils se sont alors efforcés de contrôler leurs fidèles et d’en rallier de nouveaux, quitte à utiliser la violence. Pour la petite histoire, la croyance aux extraterrestres est évoquée et, s’il advenait qu’un jour nous entrions en contact avec eux, on saurait peut-être si un dieu préside à leur destinée…

En résumé, depuis toujours et partout, même dans les tribus animistes les plus reculées, là où il y a des hommes, il y a des dieux. Pourquoi existe-t-il des religions dans l’ensemble des sociétés et pourquoi ont-elles pris des formes variées ? À quelle nécessité impérieuse la croyance en une force supérieure répond-elle ? Pourquoi les religions persistent-elles face au raisonnement des scientifiques ?

Était-il impossible qu’il en soit autrement ?

Cent questions et autant de réponses traversent cette bande dessinée, que le parti pris scénographique de Joseph Béhé rend limpide.

Joseph Béhé donne en avant-propos quelques illustrations de la diversité des croyances, selon les lieux et les époques (au Mali, en Australie, en Europe centrale…), puis nous, lectrices et lecteurs, entrons de façon inattendue dans le vif du sujet…

Le scénario

Nous sommes en effet convié(e)s à une « garden partie » qui réunit six amis et leurs propres invité(e)s. Parmi eux, un anthropologue – Pascal Boyer himself – qui déclare à ceux qui l’entourent tenter de comprendre l’origine des religions. Comme toujours en pareille circonstance, les questions fusent et chacun y va de son commentaire. Certaines réactions sont nuancées, d’autres péremptoires, goguenardes ou insolites. « Voyez-vous, moi je pense que la religion a été créée pour expliquer les phénomènes paranormaux » (…) La religion ne s’explique pas, elle se vit. (…) Dieu existe ? Vous l’avez rencontré ? (…)

Ici, la question religieuse est abordée sous différents angles : ethnographique, sociologique, psychologique, scientifique – dans son acception la plus large. Son évolution, parfois nocive – intolérance et fanatisme – fait naturellement partie des multiples thèmes abordés. Qu’est-ce qui, par exemple, entraîne chez les humains ce manque de discernement qui les conduit à tuer leur prochain au nom de leur religion et à chérir l’idée d’un don ultime de leur personne au Maître du ciel et de la terre ? Grande et douloureuse question !

En plus d’être érudit et extrêmement fouillé, l’ouvrage (une somme inouïe de recherches et d’observations) est passionnant.

Anne Calmat

Joseph Béhé

Joseph Béhé est à la fois dessinateur et scénariste. Il a déjà publié une vingtaine d’albums, notamment avec Franck Giroud. Diplômé de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il enseigne depuis 1997 le 9è Art à la Haute École des Arts du Rhin de Strasbourg. Il a également été à l’origine de la première école narrative en ligne. Voir ATELIER BD.COM

Pascal Boyer

Anthropologue français, Pascal Boyer est chercheur au CNRS, actuellement professeur à l’université Washington de Saint-Louis. Avec son essai, Et l’homme créa les Dieux, il acquiert une renommée internationale.

A fake story – Jean-Denis Pendanx – Laurent Galandon – Ed. Futuropolis

Depuis le 13 janvier 2021 – Copyright L. Galandon (scénario), J-D Pendanx (illustrations) / Futuropolis – 96 p., 17 €

D’après le roman de Douglas Burroughs

Orson Welles, oct. 1938

S’inspirant du roman d’anticipation de l’écrivain Herbert George Wells, précurseur avec Jules Verne du roman de science fiction, Orson Welles adapte et met en ondes le 30 octobre 1938 une attaque de la Terre par les Martiens. La dramaturgie est parfaite, les « flashes spéciaux  » – de plus en plus alarmants – sont entrecoupés de pauses musicales, ce qui donne une crédibilité à l’info. Et même si la pièce radiophonique s’achève sur une mise au point de la part de son réalisateur, peu semblent avoir entendu qu’il ne s’agissait là que d’un divertissement, offert à l’occasion des fêtes (probablement d’Halloween).

CBS est-il responsable de la panique qui suit le pseudo reportage « en direct » sur l’invasion de la planète Terre par une horde de Martiens ? Pire, la chaîne doit-elle être tenue pour responsable du drame qui s’est simultanément noué dans une petite bourgade du New Jersey ?

Avant que le FBI ne s’empare de l’affaire et ne règle son compte à CBS, un ancien journaliste de la station, devenu écrivain, va enquêter sur la mort d’un couple et les blessures par arme à feu infligées à leur fils face à l’arrivée imminente des pseudos extra-terrestres : le père aurait tué son épouse puis tiré sur son fils, avant de se suicider.

Le témoignage du fils, dont la vie ne tient plus qu’à un fil, laisse cependant Douglas Burroughs dubitatif : il y quelque chose qui ne colle pas dans l’histoire de l’arme à feu utilisée.

Nous le suivons dans ses investigations au sein d’une population simpliste et raciste à souhait, dont les regards se tournent spontanément vers un afro-américain – pourtant médaillé de guerre – qui possède forcément une arme rapportée du front. Nous voyons aussi, par le biais des nombreux flash-backs qui émaillent chaque récit, le traitement que certains habitants réservent aux jeunes filles noires.

Le scénario est captivant, la tension constante et le suspense subtilement ménagé. Les illustrations, qui ressemblent aux clichés ambrés de l’époque, donnent une patine singulière et troublante aux faits dont Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx se sont faits l’écho.

Les faits relatés ont-ils été montés en épingle à des fins publicitaires ? Reste un super moment de lecture et le regard qu’un écrivain-journaliste portait sur la société américaine de son époque, face au nôtre, en 2021, sur l’évolution des mœurs depuis trois quarts de siècles.

Anne Calmat

Laurent Galandon n’a démarré qu’en 2005 sa carrière de scénariste de bande dessinée. Il s’est fait connaître avec son premier diptyque, L’Envolée sauvage, réalisé avec un autre jeune talent Arno Monin, plusieurs fois primé et salué tant par la critique que le public.

Après une belle année 2009, où il signe notamment Quand souffle le Vent dans la collection Long Courrier chez Dargaud, s’attaque au terrorisme islamique avec Shahidas et aborde la Guerre d’Algérie avec Tahia el Djazaïr, l’année 2010 s’annonce encore plus animée.

En avril 2010, sortie de son nouvel album, Le Cahier à fleurs, dessiné avec beaucoup de sensibilité par Viviane Nicaise, auteur vivant en Grèce qu’il n’a pas encore rencontrée et qui devrait terminer le T.2.

Installé aujourd’hui en Ardèche, le jeune scénariste multiplie chez Bamboo et Dargaud des projets d’albums ancrés dans l’Histoire pour mieux l’interroger et faire réfléchir.

Avec une écriture sensible et engagée, un sens du découpage et de la narration, il a su tirer avantage de sa grande culture cinématographique pour offrir aux lecteurs des histoires passionnantes qui bousculent les préjugés.

© bedtheque.com

Jean-Denis Pendanx est né en 1966. Il vit à Bordeaux. Après des études d’arts graphiques, il débute sa carrière en tant qu’illustrateur de magazines de jeux de rôles et de livres pour la jeunesse (Père Castor, Flammarion, Magnard, Mango…). En 1991, il publie son premier album, Diavolo sur un scénario de Doug Headline, aux Éditions Zenda. En 1993, paraît le premier volume (sur quatre) de Labyrinthes, co-scénarisé par Dieter et Serge Le Tendre, aux Éditions Glénat. En parallèle, il travaille pour le dessin animé (Corto Maltese). Il adapte avec son auteur, Alain Brezault, le roman Les Corruptibles, toujours aux Éditions Glénat. 2006 : Changement de style, changement d’éditeur, il signe avec Christophe Dabitch Abdallahi un récit en deux volumes remarqué par la critique et les libraires. 2008 : Premier volume du triptyque Jeronimus, toujours avec Christophe Dabitch. 

Texte © Futuropolis

Bergen – Anja Dahle Øverbye – Ed. Ça et Là

À partir du 21 janvier 2021 – Copyright A. Dahle Øverbye / Ça et Là – 144 p., 17 €

Maria est une jeune et jolie norvégienne qui vient d’intégrer une fac à Bergen pour y étudier les beaux-arts. Avec une amie de lycée retrouvée à la rentrée, elle partage un appartement et un petit boulot dans une boutique de linge de maison. Tout pour commencer une belle année universitaire !

Sauf que Maria est dépressive, de ces déprimes qui saisissent les adolescents sans que les causes en soient clairement identifiées, et qui laissent l’entourage perplexe et démuni.

Les premières planches nous la présentent chez sa psy. En réponse à son désespoir, elle lui suggère de mener une vie saine et de faire un peu de sport : « Un esprit sain dans un corps sain ».

Évidemment, le message passe mal pour Maria, qui tente de distraire son angoisse en acceptant des sorties en boîtes. L’étendue de sa détresse et pas mal d’alcool la poussent dans les bras de Petter, un garçon au cœur tendre qui croit avoir trouvé en elle la « femme de sa vie ».

Maria peine à se rendre à ses cours, à se présenter dans la boutique où elle travaille. L’énergie lui fait défaut pour rejoindre un petit groupe d’études. La vaisselle sale s’entasse dans son évier, le quotidien devient problématique. 

Au fil du texte nous sommes entraînés dans la chute de Maria, qui se tend des pièges à elle-même, se retrouve dans des situations dégradantes, attente à sa santé, abîme sa réputation.

Dans cette descente aux enfers, son amie se trouve à ses côtés, constante et attentive, qui l’accompagne comme elle le peut, la conseille, la soutient.

Détail

Maria est touchante dans son abandon, sa difficulté à saisir ce qui lui arrive, ses tentatives de faire ce qu’il faut, en tombant à côté. L’amie, malgré ses maladresses, reste un repère fiable et de bonne volonté.

Ce pourrait être une triste histoire, si la dépression ne finissait par illustrer aussi une belle histoire d’amitié. De celles entières et généreuses qui, à cet âge, semblent indéfectibles.

À travers le récit de la dépression de Maria, c’est tout un pan de la vie adolescente qui se dévoile, avec ses excès, ses sentiments exacerbés, ses doutes aussi. Le mal-être de l’héroïne, que le lecteur finit par ressentir, nous parle de ces crises de jeunesse où la quête de soi expose à des épreuves pleines de risques.

L’ensemble des planches est sombre, en noir et blanc, parfois avec de larges lavis noirs. Il y a peu de texte, les échanges sont brefs, factuels émaillés d’expressions « jeunes ». 

De cette grisaille, ressort le petit visage aux joues pleines, presque enfantin, de Maria, et celui long, pâle et sage de son amie Johanna. Les dessins, très expressifs et variant les plans, rendent bien le réalisme des situations.

Le texte se clôt sur deux photographies de jeunes filles dont on se dit qu’elles doivent avoir à faire avec celles du livre.

Nicole Cortesi-Grou

A. Dahle Øverbye
Ed. Ça et Là

Anja Dahle Øverbye, née en 1981, vit à̀ Kongsberg. Après des études artistiques à l’Académie de Bergen (Norvège), elle a obtenu un diplôme en communication visuelle à l’UCA (University for the Creative Arts) en Angleterre. Elle a publié en Norvège un premier roman graphique : Sous le signe du grand chien en 2015, puis en Angleterre en 2017, et enfin en France en 2019. Bergen a été publié en 2018 en Norvège.

Les Ogres-Dieux 4/4 : Première-née – Hubert – Bertrand Gatignol – Ed. Soleil

Depuis le 25 novembre 2020 – Copyright Hubert, B. Gatignol / Soleil, Collection Métamorphoses – 156 p., 26 €
B. Gatignol & Hubert

Du plus jeune et plus petit des géants, c’est toute l’histoire d’une famille et de ses membres qui nous a régulièrement été contée depuis 2014. Les auteurs nous proposent cette fois de remonter le temps.

On se souvient que la lignée des Ogres-Dieux était dès les deux premiers volumes en voie d’extinction, en particulier pour excès d’unions co-sanguines (voirOgres-Dieux » Tomes 1 à 3 dans Archives BdBD/Arts +). Après s’en être éloignés dans Demi-Sang et Le Grand Homme, Hubert et Bertrand Gatignol reviennent ici aux sources en nous dévoilant l’origine des géants. Un récit sans tabous, aussi somptueux que glaçant sur le déterminisme familial.

Dans cet ultime épisode, Bragante, celle par qui tout a été et sera, est maintenant âgée ; elle décide de révéler à sa petite-fille la vérité sur son histoire et celle des Géants. Au fond, qui sont-ils ?

Enfermée dans le gynécée royal dont elle n’est jamais sortie, Bragante attend la mort qui, malgré une trop longue existence, semble se refuser à elle. Celle que l’on nomme Première-Née dit comment sa naissance coûta la vie de sa propre mère, incapable de survivre à l’accouchement d’un bébé aussi gigantesque ; comment son terrible père, une fois remis de la mort de son épouse, asservit tant de femmes pour engendrer la première génération de géants ; comment Bragante devint leur mère de substitution à tous et tenta de les instruire, tout en gérant le royaume en l’absence du Fondateur, guerroyant sans cesse ; comment elle devint reine et tenta, en vain, de s’opposer à la violence et la barbarie des hommes…

Aussi somptueux graphiquement, avec ses noir profonds ou irisés et ses blanc étincelants, que captivant.

Hommage à Hubert Boulard, dit Hubert, scénariste des Ogres-Dieux, décédé en février 2020 à l’âge de 49 ans.