Les Mains de Ginette – Olivier Ka – Marion Duclos – Ed Delcourt

Copyright O. Ka (scénario), M. Duclos (dessin) / Delcourt – Depuis le 24 mars 2021 – 104 p., 16, 50 €

un petit bourg comme tant d’autres, dans lequel les gamins prennent un malin plaisir à estropier les nains de jardin d’une vieille femme, qu’au lieu d’appeler la sorcière, ils désignent sous le nom de « la crabe ».

Le prologue de l’histoire qui nous est ici contée évoque, dans ses premiers planches, une fable drolatique pour enfants. Il n’en est rien. Le scénario à tonalité balzacienne se révèle d’une densité psychologique inattendue et donne à méditer.

Lorsqu’une jeune femme en quête d’estime de soi, affligée dans son enfance de parents particulièrement toxiques, rencontre un jeune homme bien sous tous rapports, mais affligé, lui, d’un fétichisme compulsif des mains féminines, on est en droit de se demander si leurs névroses seront compatibles.

Marcelin Gavoche, droguiste rue du Moulin-à-sel, a aimé Gisèle, la préposée aux postes du village, dès qu’il a posé les yeux sur elle, ou plutôt sur ses mains. Ils se sont très vite mariés ; la vision de leur bonheur réjouissait tous les habitants de Bournabœuf. Mais cette merveilleuse union ne reposait-elle pas sur un malentendu ?

Marcelin pouvait s’enorgueillir de posséder la plus belle collection de gants de caoutchouc du comté. Toutes les femmes se pressaient dans son magasin pour en acheter. Il veillait à ce que chaque paire soit adaptée à la nature de la peau de ses clientes et à la morphologie de leurs doigts, leur faisait mille grâces (sans penser à mal, n’avait-il pas trouvé la femme de sa vie ?), les raccompagnait à la sortie de son magasin en esquissant trois pas de valse. À la longue, le comportement primesautier de son époux, par ailleurs toujours très amoureux, avait fini par déstabiliser Ginette. Les traumatismes de l’enfance remontaient à la surface…

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Elle se sentait comme autrefois : un laideron incapable d’être aimée. Le mécanisme de la jalousie, avec ses conséquences funestes, était enclenché. Et Gisèle était une personne jusqu’au boutiste.

Anne Calmat

L’accident de chasse – David L. Carlson – Landis Blair – ED. Sonatine

Copyright D. L. Carlson (scénario), Landis Blair (dessin) / Ed. Sonatine –
400 p., 29 €
Fauve d’Or Angoulême 2021

1959. Charlie Rizzo vient de perdre sa mère et doit emménager à Chicago avec son père, Matt, aveugle à la suite suite d’un accident de chasse, passionné de littérature et de poésie. C’est du moins la version officielle de la cause de sa cécité.

Mais un jour tout va basculer pour le père et le fils : Charlie a fait plusieurs pas de côté, Matt n’a pas d’autre choix, pour sauver le sauver de la prison, que de revenir sur un mensonge vieux de plusieurs dizaines d’années, au risque de casser le lien de complicité qui s’était instauré entre eux. Matt lui raconte alors ses années de prison… Un chemin initiatique éclairé par les poètes.

Touché par les faits à haute densité émotionnelle que lui a rapportés Charlie Rizzo, David L. Carlson va d’abord vouloir en faire un projet transmédia en l’adaptant au théâtre, en musique et au cinéma, mais après plusieurs déconvenues, et suite à sa rencontre avec Landis Blair, il décide d’en faire une bande dessinée.

L’élaboration graphique de L’Accident de chasse va prendre près de 4 ans au dessinateur (l’encrage d’une planche nécessite une journée entière), le résultat est à la hauteur.

Un chef-d’œuvre absolu ! Le style littéraire est fluide et de haute tenue, l’adaptation graphique en noir et blanc hachuré à la plume crée une incroyable symbiose entre les mots et les images.

Chaplin en Amérique (T.1) – Chaplin prince d’Hollywood (T. 2/3) – Laurent Seksik – David François – Ed. Rue de Sèvres

2019 – 78 p., 17 €
2021 – 80 p., 17 € – T.3 en 2022

Copyright L. Seksik (scénario), D. François (dessin)/ Rue de Sèvres

Ceux albums aux illustrations chaloupées retracent la période américaine de Chaplin et décrivent comment un homme qui, au départ, avait reçu d’aussi mauvaises cartes dans son jeu va devenir un créateur visionnaire et un acteur d’exception doublé d’une légende vivante.

Le premier tome débute en octobre 1912, lorsque Charles Spencer Chaplin, artiste de music hall, lui même fils d’artistes tombés dans l’oubli, quitte l’Angleterre pour une tournée de trois mois aux USA en compagnie de son demi-frère, artiste également et soutien indéfectible de son cadet. Chaplin ne doute de rien, il arrive en conquérant. Pour lui, il est inenvisageable qu’il en soit autrement, n’a-t-il pas une revanche à prendre sur la vie et sur la misère qui a accompagné son enfance et détruit ses parents ?

« Salut, l’Amérique ! Je suis venu te conquérir! Il n’est pas un homme, une femme, un enfant qui n’aura pas mon nom aux lèvres ! »

Mais les critiques sont catastrophiques. 

Peu de temps après, les cartes vont s’aligner dans le bon ordre : le metteur en scène-producteur, Mack Sennett, qui avait trouvé « le spectacle nul, mais Chaplin prometteur » demande à le rencontrer, puis semble l’avoir zappé. Chaplin demeure cependant dans son sillage, au cas où. C’est à la faveur d’un coup de chance phénoménal qu’il va créer son personnage : Sennett a besoin d’un comédien pour remplacer celui qu’il dirige dans L’Etrange aventure de Mabel ; il lui demande d’aller se chercher un costume dans la réserve aux accessoires… et c’est Charlot qui réapparaît.

C’est ainsi que Charles Spencer Chaplin va tourner dans la foulée une trentaine de films (en courts-métrages) et devenir en peu de temps l’acteur, puis ensuite le réalisateur le plus célèbre du monde.

Le Kid, 1921

Celles et ceux qui ne connaissaient que les grands lignes de la vie de Charlie Chaplin vont découvrir chez lui un mélange de pragmatisme (il a toujours privilégié ses intérêts, quitte à se montrer ingrat et cynique envers de ceux qui ont fait sonner pour lui « les trompettes de la renommée« ) et d’idéalisme (il n’a cessé de défendre le doit de l’Homme à la dignité et de pourfendre l’intolérance et le fascisme). Le troisième aspect de Chaplin – son goût immodéré pour les très jeunes filles – lui vaudra quelques déboires avec la justice et les ligues de vertu – ce ne seront pas les seules attaques auxquelles il devra faire face…

Les Lumières de la ville, (film sonore) 1931

Puis au retour d’un voyage où il a côtoyé les dirigeants les plus influents de la planète, celui qui a atteint les plus hauts sommets du tragique dans certains de ses films muets, décide qu’il est temps pour le vagabond au grand cœur de laisser la place à des productions plus engagées.

Ce que j’ai vu du monde me commande de passer à autre chose (…) de faire un autre cinéma (…) de tendre un autre miroir au monde. À quoi servirait le cinéma sinon

Le Dictateur, 1939
Les Temps modernes, 1936

En 1936, il envoie Charlot à l’usine. Ce sera le dernier film muet de celui qui ne voyait aucun avenir au cinéma parlant. Il y stigmatise le travail à la chaîne et dénonce le chômage qui sévit en Amérique depuis la crise de 1929. Puis viendra Le Dictateur (1939), son premier long-métrage parlant où, renonçant à toute métaphore, il caricature Hitler, qu’il qualifiait de clown inoffensif avant son voyage en Allemagne. Preuve que l’on ne peut pas être visionnaire en tout…

Anne Calmat

Sous terre – Mathieu Burniat – Ed. Dargaud

Copyright M. Burniat (scénario et dessin) / Dargaud. En librairie le 19 mars 2021 – 176 p., 19,99 €

« Hadès, dieu des enfers cherche une remplaçante, se présenter à la Porte 23 du Monde des morts… »

On pourrait résumer l’intrigue en trois ou quatre planches, mais ce serait négliger le véritable propos de l’auteur.


L’album illustre en effet un paradoxe : ceux qui ont quitté une terre moribonde dans le seul but de satisfaire leur appétit de toute-puissance vont découvrir LA VIE : celle qui grouille dans le monde d’en-bas.

Parmi les prétendants au trône, il y a Suzanne, 16 ans. En réalité, elle se fiche complètement du job, elle est là pour une tout autre raison. Il y a aussi Tom, celui qui va devenir son compagnon de route.

Détail planche

Le maître des lieux paraît, accompagné de son ami Cerbère, le chien tricéphale. Il dissimule un esprit revanchard sous l’apparence d’un aimable vieillard et rappelle aux trois-cents candidats à sa succession combien le monde invisible recèle de trésors, au point d’avoir fait de lui le plus riche des Dieux.

Mais pour lui succéder, ils vont devoir effectuer le parcours qu’il leur a lui-même concocté, au bout duquel se trouve la Corne d’Abondance, emblème de toutes les richesses. Le premier qui réussira à en goûter les fruits deviendra le nouveau maître des Enfers. Auparavant, Hadès tient à leur faire visiter son royaume.

Stupeur et déconvenue : « Je me casse, il est pourri cet endroit« . Mais Cerbère est là, il n’est plus temps de se défiler.

Les voici maintenant dans le monde souterrain. Les candidats, réduits à l’échelle de ce qui les entoure, vont croiser toutes sortes d’individus, apprendre, comprendre (l’auteur n’est pas avare en « cours » de sciences naturelles), découvrir les qualités nutritives de la matière organique…

Et réaliser rétrospectivement l’infinie nécessité qu’il y aurait eu à mieux veiller sur le devenir de leur planète. Trop tard pour eux, mais pas pour tout le monde. Reste à en tirer les enseignements…

No comment

Anne Calmat

Prix Sorcières 2021 : Migrants – Issa Watanabe – Ed. La Joie de Lire

Prix des Libraires Jeunesse 2021– Copyright I. Watanabe/Joie de lire 2020 – 40 p., 15,90 €

Ce pourrait être l’illustration d’une fable de La Fontaine, ou bien celles de textes sacrés qui racontent l’histoire sans cesse renouvelée des grandes migrations humaines.

Celles et ceux qui ici ont pris la route de l’exil cheminent au milieu d’arbres aux membres décharnés, le regard fixe, dans un silence palpable, tous différents, tous tendus vers un seul et unique but. Ils ont fui les violences, la misère, leurs terres arides brûlées jusqu’aux entrailles. Les plus vigoureux veillent sur les plus vulnérables, la mort, escortée par un magnifique oiseau que l’on dirait sorti d’un conte des Mille et une nuits, ferme la marche.

On est immédiatement happé par la force des images.

Les couleurs bigarrées de leurs tenues contrastent avec l’uniformité des paysages lugubres qu’ils traversent. Plus tard, ils feront une halte, sortiront leurs ustensiles de cuisine, ensuite ils s’étendront à même le sol pour quelques heures de repos, avant de repartir. Combien seront-ils à atteindre la « Terre promise » ? Et tiendra-t-elle ses promesses ?

Une histoire dotée d’une forte charge émotionnelle qui se passe de mots. À semer à tous les vents.

Anne Calmat

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Jean-Michel Basquiat – Ed Tashen, 2021

Icône des années 1980 à New York, Jean-Michel Basquiat, (1960–1988), s’est d’abord fait connaître à l’âge de 15 ans sous le pseudo «SAMO» (pour « Same all Shit », toujours la même merde), avant d’établir son atelier et de se retrouver catapulté vers le succès à 20 ans. Même si sa carrière a duré 10 ans à peine, il reste une figure culte de la critique sociale artistique et un pionnier qui a rapproché l’art du graffiti de celui des galeries.
L’album – Taschen- 20 € © 2021

« Quand je travaille, je ne pense pas à l’art, j’essaie de penser à la vie. »

Ce livre présente la brève mais prolifique carrière de Basquiat, son style unique son profond engagement dans les questions d’intégration et de ségrégation, de pauvreté et de richesse

La monographie XXL à succès, maintenant disponible dans une édition condensée. Les reproductions exceptionnelles des peintures, dessins et croquis les plus importants de Basquiat, ainsi que les textes de l’éditeur Hans Werner Holzwarth et de la conservatrice et historienne de l’art Eleanor Nairne, nous permettent d’approcher plus intimement une légende synonyme du New York des années 1980.

Autoportrait

L’œuvre de Basquiat s’est inspirée de divers médias et sources pour élaborer un vocabulaire artistique original et insistant, attaquant les structures de pouvoir et de racisme. Il mêlait dans sa pratique l’abstraction et la figuration, la poésie et la peinture et s’inspirait aussi bien de l’art grec, romain et africain que de la poésie française, du jazz ou du travail d’artistes contemporains comme Andy Warhol et Cy Twombly. Le tout donne un mélange vif et viscéral de mots, d’emblèmes africains, de silhouettes de dessin animé et de barbouillis de couleurs vives, entre autres.

La météorite de Hodges – Fabien Roché – Ed. Delcourt

Depuis le 3 mars 2021 – Copyright F. Roché / Delcourt – 64 p., 18,95 €

Douze ans après l’apparition des premiers objets volants non-identifiés dans les cieux états-uniens, apparitions qui frappèrent les esprits par leur fréquence et la fiabilité de plusieurs témoignages, c’est ici un simple fragment de météorite qui est au centre de l’épisode authentique que relate Fabien Roché. Ce qu’il a d’exceptionnel ? C’est d’être, si l’on ose dire, « entré en collision » avec une terrienne, en laissant des preuves irréfutables de son intrusion par le toit de sa maison.

« Moody Jacobs shows a giant bruise on the side and hip of his patient, Ann Hodges, in 1954, after she was struck by a meteorite. »
Copyright Jay Leviton, Time & Life Pictures/Getty Imag.

Le 30 novembre 1954 à 12h45, ledit fragment traverse en effet le toit d’une maison de Sylacauga (Alabama), ricoche sur le poste de radio du salon et vient terminer son périple contre la hanche d’une brave ménagère qui s’était allongée quelques instants sur son canapé. Elle se nomme Ann Elizabeth Hodges et l’on n’a pas fini d’entendre parler d’elle.

De quoi pouvait bien rêver celle qui fut l’ultime étape de la course du corps céleste à travers l’espace? Probablement pas de devenir le point de mire de tout un pays, avec les conséquences que l’on imagine. L’emballement médiatique est considérable, la maison est assiégée, l’industrie cinématographique s’en mêle : Mrs Hodges est au bord de la dépression nerveuse. Pour compenser tant de désagréments, le couple songe à tirer partie de la situation en vendant le caillou au plus offrant. Mais à qui appartient-il ? Aux instances fédérales ? À la propriétaire des lieux, les Hodges n’en étant que les locataires ?

L’affaire prend alors un tour rocambolesque : disparition à plusieurs reprises puis réapparition du fauteur de trouble, procès tous azimuts, convoitises, espoirs déçus.

La Météorite de Hodges n’est pas une variation autour du thème « être au mauvais endroit au mauvais moment », l’auteur ayant pris soin d’explorer les incidences que cet événement hors norme, survenu dans l’Amérique profonde des années 1950, ont eues sur le plan scientifique, sociologique et psychologique.

Détail

Le dessin, d’une grande simplicité, alterne compositions régulières et irrégulières, parfois hétéroclites. Tout se passe comme s’il nous était donné d’être les témoins privilégiés de la naissance d’une œuvre. Comme si nous nous trouvions face à un storyboard sur lequel Fabien Roché aurait accolé pêle-mêle, tranches de vie du couple – parfois sur le mode no comment, coupures de presse et pubs de l’époque, planches didactiques (et humoristiques !), en attendant de remettre le tout dans le bon ordre et d’en faire une bande dessinée… qui ne manque pas de piquant à l’aube d’un projet de colonisation à moyen terme de la planète Mars.

Anne Calmat

Fabien Roché est né en 1987 à Paris et réside actuellement à Lyon. Après des études de graphisme aux écoles Estienne et Gobelins à Paris et un début de carrière dans ce domaine, il s’intéresse à la bande dessinée en découvrant les auteurs indépendants américains et japonais, et commence à dessiner lui-même quelques pages en 2015. En 2016 il publie une histoire courte dans le magazine anglais Off Life. En 2017 il est deuxième au « Concours Jeunes Talents » d’Angoulême, ce qui lui ouvre les portes des éditions Delcourt. Il publie en 2021 son premier roman graphique, La météorite de Hodges. On peut également l’apercevoir de temps en temps dans La Revue Dessinée

Anne Calmat

Fabien Roché est né en 1987 à Paris et réside actuellement à Lyon. Après des études de graphisme aux écoles Estienne et Gobelins à Paris et un début de carrière dans ce domaine, il s’intéresse à la bande dessinée en découvrant les auteurs indépendants américains et japonais, et commence à dessiner lui-même quelques pages en 2015. En 2016 il publie une histoire courte dans le magazine anglais Off Life. En 2017 il est deuxième au « Concours Jeunes Talents » d’Angoulême, ce qui lui ouvre les portes des éditions Delcourt. Il publie en 2021 son premier roman graphique, La météorite de Hodges. On peut également l’apercevoir de temps en temps dans La Revue Dessinée

Prison n°5 – Zehra Doğan – Ed. Delcourt

En librairie de 17 mars 2021 – Copyright Z. Dogan / Delcourt – 120 p., 19,99 €

« Je ne comprends pas pourquoi on nous jette dans des prisons, nous en ressortons encore plus fort-e-s. »

Communiqué : L’album est le dernier maillon d’un travail créatif et déterminé, transformant un long emprisonnement en une résistance : celle de Zehra Doğan, journaliste et artiste kurde, condamnée pour un dessin (ci-dessous) et une information qu’elle avait relayée, jetée dans la prison n° 5 de Diyarbakir, dans l’est de la Turquie.

Nuzaybin détruite (ville à majorité kurde)

En 2019, il y a eu le livre traduit par Naz Öke…

Le livre rassemble les lettres que l’artiste a adressées durant ses 600 jours d’incarcération à son amie Naz Öke, journaliste turque vivant en France et animatrice, avec Daniel Fleury, du webzine Kedistan pour la liberté d’expression.
Cette correspondance passionnée révèle une femme d’une générosité et d’une énergie exceptionnelles, une artiste surdouée, une poétesse, mais aussi une fervente militante pour la liberté des femmes et les droits des Kurdes, soucieuse des autres et du monde.

Z. Dogan

« Je pourrais te raconter tout ce qui se passe ici mais les mots me manquent pour te parler du chant de ces femmes. Pourtant, leurs voix qui s’élèvent depuis ces quatre murs et s’accrochent aux barbelés sont celles qui expriment le mieux l’emprisonnement. Ces voix, que la pluie accompagne, nous frappent au visage et chantent la révolte de l’emprisonnement, dans toute sa nudité. » (10 décembre 2018)

La jeune artiste militante nous immerge dans ce quartier de femmes et l’immense solidarité qui les lie. Découvrir le passé de ce lieu sinistrement surnommé « la geôle d’Hamed », c’est apprendre à connaître la lutte du peuple kurde depuis des décennies. C’est aussi avoir le privilège de contempler une suite d’images soustraites à la censure, dessinées au dos des lettres écrites sur du papier kraft que lui envoyait Naz Öke.

Journaliste et artiste plasticienne kurde, Zehra Doğan est née en 1989 à Diyarbakır. Elle est l’une des fondatrices, en mars 2012, de JINHA, la première agence d’information de femmes en Turquie, fermée par décret à la suite de la tentative de coup d’État de juillet 2016. Elle a reçu, en 2015, le prix Metin Göktepe en récompense de son travail sur les femmes yézidies ayant échappé à Daesh, qu’elle a été l’une des premières journalistes à interviewer. Arrêtée en juillet 2016 et accusée de « propagande pour une organisation terroriste », elle sera relâchée cinq mois plus tard et placée sous contrôle judiciaire avant d’être réincarcérée en juin 2017 et libérée le 24 février 2019. Elle vit désormais à Londres. Pendant ses années d’incarcération, elle a été soutenue par le PEN Club International et de grands artistes comme le peintre dissident chinois Ai Weiwei ou l’artiste Banksy qui a créé à Manhattan une fresque en son hommage. Elle est l’autrice de Les yeux grands ouverts (éditions Fage, 2017). Artissima (Foire italienne d’art contemporain) lui a décerné le Prix Carol Rama en 2020. Elle a reçu d’autres nombreux prix dont Printemps de liberté de presse, Allemagne, 2018, Courage in Journalism Award, USA, 2018. et artiste plasticienne kurde, Zehra Doğan est née en 1989 à Diyarbakır. Elle est l’une des fondatrices, en mars 2012, de JINHA, la première agence d’information de femmes en Turquie, fermée par décretà la suite de la tentative de coup d’État de juillet 2016. Elle a reçu, en 2015, le prix Metin Göktepe en récompense de son travail sur les femmes yézidies ayant échappé à Daesh, qu’elle a été l’une des premières journalistes à interviewer. Arrêtée en juillet 2016 et accusée de « propagande pour une organisation terroriste », elle sera relâchée
cinq mois plus tard et placée sous contrôle judiciaire avant d’être réincarcérée en juin 2017 et libérée le 24 février 2019. Elle vit désormais à Londres.

Les espionnes racontent – Chloé Aeberhardt – Aurélie Pollet – Ed. Steinkis / Arte

https://www.arte.tv/fr/videos/085067-005-A/les-espionnes-racontent-genevieve-la-liste-russe-de-la-dst/

Chloé Aeberhardt

À l’origine, le livre d’investigation menée par la journaliste du Monde, Chloé Aeberhardt (R. Laffont, 2017), puis la mini-série série éponyme en six épisodes sur Arte. Ensuite, le 9è Art s’en est mêlé…

Une enquête de cinq ans durant laquelle l’auteure, conseillée par Edmond Béranger, un ancien de la DGSE, a multiplié mails et coups de fil aux services secrets français, américains, russes, israéliens et essuyé autant de refus, avant de décrocher un premier rendez-vous avec Geneviève qui, dans les années 70, travaillait à la DST. S’en suivront les rencontres avec Martha, Jonna, Gabriele, Ludmila, Yola…

« Je me suis aperçue qu’il y avait peu de livres sur les espionnes contemporaines. Il s’agissait surtout d’ouvrages historiques qui s’intéressaient toujours aux mêmes grandes figures (Mata Hari, Joséphine Baker) et avaient tendance à maintenir le mythe de l’intrigante sexy. Je me suis dit que ce serait un défi d’essayer d’aller à leur recherche et j’en ai fait une enquête. » Chloé Aeberhardt

L’enjeu de cette enquête était de casser l’image misogyne du monde de l’espionnage, notamment autour de la figure hyper « testostéronée » de James Bond où les femmes sont réduites sans complexe au rôle d’objets sexuels avec, malgré les changements dans les films récents, quelques relents révisionnistes. Ainsi, armée d’une infinie patience, Chloé Aeberhardt a réussi à entrer en contact avec diverses « retraitées » du monde de l’espionnage en tentant notamment de joindre les agences de surveillance les plus réputées, à savoir la DST en France, la DIA et la CIA aux États-Unis, le KGB en URSS, la Stasi en ex-Allemagne de l’Est, le Mossad en Israël. La représentation des agences est loin d’être exhaustive mais la diversité des profils d’espionnage permet d’avoir un panorama plus large et proche de la réalité des agents du renseignement de la seconde moitié du XXe siècle, pris dans les enjeux notamment de la Guerre froide. Il est ainsi question aussi de l’idéologie nationale et/ou patriotique au service de laquelle les espionnes ont sacrifié plus ou moins leur vie.

Le graphisme des dessins d’Aurélie Pollet – avec un code couleur différent pour chaque personnage – se situe entre réalisme et effet vintage. L’aspect documentaire est ainsi pleinement respecté, de même que l’aspect ludique de ces récits de vie traversant la géopolitique de chacun des pays évoqués.

Depuis le 28 janvier 2021 Copyright Ed. Steinkis / Arte

176 p., 20 €