En route vers l’Ailleurs – Peppe Millanta – Ed. La Joie de lire, coll. Encrage

À partir du 21 mai 2021 – 288 p., 15, 90 €

Après un prélude, sur lequel nous reviendrons, la fable débute par un concours de « lancer de nain ». Vous avez bien lu : un lancer de nain, comme on pratique le lancer de javelot ou de poids en athlétisme. À ceci près que si le nain en question hurle de douleur, le lanceur est éliminé (cette discipline a perduré jusqu’en 1995, avant qu’elle ne soit interdite pour « atteinte à la dignité humaine »).

Où sommes-nous ? Dans un petit hameau de 80 habitants, cerné par la mer et une immense forêt. La grande majorité d’entre-eux tient pour acquis que le monde se résume à leur village. Vinpeel, employé à la « Taperne Pirog », tenue par le sieur Pirog, n’est pas de cet avis. Il rêve de rejoindre cet Ailleurs, au-delà des mers, que son ami Doan et lui ont aperçu un soir, alors qu’ils contemplaient les étoiles.

La tonalité du roman est l’enjouement. L’inauguration de ladite « taperne » et l’envoi par catapulte de Dorothy-la truie vers cet Ailleurs restent deux parmi les scènes les plus burlesques du récit. On pense fortement à Mack Sennet ou à Charlie Chaplin. Cette loufoquerie ne masque cependant l’impression de solitude dans laquelle vivent certains personnages. En particulier, Vinpeel, qui a trouvé une solution bien à lui pour s’en défaire.

En attendant le jour J, Doan et lui répertorient soigneusement les merveilleux nuages aux mille formes qui s’étirent au dessus de leurs têtes, et ils font d’improbables expériences, comme tenter par exemple de vider la mer de toute son eau…

D’autres personnages gravitent autour des deux rêveurs éveillés : Net Bundy, le père de Vinpeel qui, plutôt que de communiquer avec son fils, préfère confier chaque jour à la marée descendante une bouteille contenant un message, en espérant qu’il parvienne à celui ou celle à qui il est destiné. S’agit-il de la jeune fille aux cheveux roux entrevue au tout début du récit ? Il y a aussi le vieux Krisheb qui, dans sa jeunesse, a voulu s’envoler. Plus tard, il a jeté sa jambe de bois – conséquence de sa tentative d’évasion – dans les flots et continue depuis d’espérer qu’ils la lui restituent. On n’oubliera pas non plus Mune, la jeune fille mutique (et magnétique) arrivée d’on ne sait d’où dans un rayon de lumière, et qui a littéralement subjugué Vinpeel ; pas plus qu’on sera surpris de croiser une certaine Lady Sawen, qui exige qu’on la sollicite à trois reprises avant qu’elle daigne répondre.

Un roman fou, fou, fou d’originalité et de poésie, à mettre entre toutes les mains à partir de 15 ans.

Anne Calmat

Peppe Millanta a mené plusieurs vies. Il a d’abord été avocat puis musicien de rue. Il est également diplômé de l’Académie nationale Silvio d’Amico, en dramaturgie et en mise en scène. Il a été récompensé de prix d’écriture et de théâtre. Son groupe de Musique du monde se produit lors de nombreux festivals dans toute l’Italie. En 2017, il a fondé à Pescara une école dédiée aux arts de l’écriture, la Scuola Maconda l’Officina delle storie .

Les mystères du temps – Sylvie Neeman – Rémi Farnos – Etienne Klein (préface et insertions scientifiques) – Ed. La Joie de Lire

Copyright S. Neeman, R. Farnos / Joie de Lire, coll. Les mystères de la connaissance – À partir du 21 mai. 168 p., 14, 50 €

L’histoire, régulièrement émaillée dans le corps du récit de mises au point scientifiques, est simple : une mère et ses deux enfants partent en excursion en montagne, à la recherche de vestiges d’un passé antédiluvien. Elle est géologue. Chemin faisant, elle fait profiter Polina et Léo de ses connaissances en matière d’évolution de la terre.

« Maman nous raconte un temps infini qui défile sous nos yeux, 500 millions d’années s’écoulent en quelques minutes, des animaux prodigieux volent au dessus de nos têtes, nagent sous nos pieds, puis les océans peu à peu se referment, les dinosaures disparaissent de la surface de la terre (…) Maman dit que la prochaine extinction de masse, qui a d’ailleurs déjà commencé, ne sera pas due à une météorite géante, pas à un tsunami, c’est uniquement l’être humain qui en sera la cause. »

Il est beaucoup question de temporalité et de datation dans le récit que fait Léo des conséquences de cette journée où tout a basculé. De perception du temps aussi, qui passe trop vite ou trop lentement. De mémoire, omniprésente ou envolée…

Pour l’heure, ils vont par les sentiers abruptes, insouciants, tout à leurs découvertes. Puis, en l’espace d’un instant, c’est l’accident : la mère emportée par un éboulis de pierres, l’hélicoptère, l’hôpital, le coma.

Polina n’a pas voulu voir, elle a instantanément oublié ce qu’il venait de se produire, elle est devenue amnésique. Léo a vu et se souvient ; la tâche lui incombe désormais de remettre un peu d’ordre dans tout ça. Léo est un enfant plein de ressources…

Tout cela est décrit sur un ton léger, plein d’humour et de fraîcheur, qui fait que l’on se glisse avec bonheur dans ce récit qui marrie avec beaucoup de pertinence sciences, philosophie et fiction, sans que l’on doute un seul instant que la Belle au bois dormant ne finisse par se réveiller.

Anne Calmat

Sylvie Neeman est née à Lausanne, en 1963. Après une licence en Lettres et la naissance de ses deux filles, elle s’est peu à peu spécialisée en littérature pour la jeunesse. Elle collabore à la revue Parole de l’Institut suisse Jeunesse et Médias, qu’elle a dirigée pendant 14 ans, et écrit des chroniques pour le journal Le Temps. À ce jour, elle a publié un roman pour les adultes, plusieurs nouvelles dans des ouvrages collectifs et quatre albums pour les enfants. Elle vit à Montreux.

Rémi Farnos est un auteur né le 18 décembre 1987 à Béziers. En 2008, il intègre l’école des Beaux-Arts d’Angoulême (EESI).
En 2013, il obtient son DNSEP (diplôme National Supérieur d’Expression Plastique), puis il part s’installer à Nantes. La même année, il intègre en tant qu’éditeur la maison d’édition Polystyrène. (Voir aussi Archives BdBD)

Des souris et des hommes – Rébecca Dautremer – Ed. Tishina (texte intégral, trad. Maurice-Edgar Coindreau)

Copyright R. Dautremer / Tishina – Depuis novembre 2020 – 420 p., 37€

https://www.arte.tv/fr/videos/100369-000-A/roman-graphique-des-souris-et-des-hommes/

« J’ai vu des centaines d’hommes passer sur les routes et dans les ranchs, avec leur balluchon sur le dos et les mêmes mensonges dans la tête. J’en ai vu des centaines. Ils viennent, et, le travail fini, ils s’en vont ; et chacun d’eux a son petit lopin de terre dans la tête. Mais y’en a pas un qu’est foutu de le trouver. C’est comme le paradis. »

Il n’est pas rare qu’un roman mis en images – ici, mis en scène – par un(e) artiste, soit magnifié par la beauté et la puissance de ses illustrations. On le découvre alors sous un nouveau jour, il peut même y gagner une seconde vie en touchant un lectorat pour qui, hormis quelques grandes signatures, les road-trips américains des années 1930-40 sont passés de mode. Le nom de John Steinbeck reste quant à lui plutôt attaché au titre qui a succédé à cet ouvrage, Les Raisins de la colère (1939, Prix Pulitzer), dans lequel il décrit l’odyssée tragique de petits fermiers dépossédés, partis vers la Californie louer leurs bras comme travailleurs agricoles.

Dans Des souris et des hommes, John Steinbeck met en scène deux hommes, deux amis qui vont de ferme en ferme pour louer leur force de travail dans l’espoir de pouvoir, un jour, acquérir une petite ferme « bien à eux ». Il y a George, la tête pensante du duo, et Lennie, son ami d’enfance. Lennie est un colosse à la force surhumaine, mais pourvu de l’âge mental d’un enfant. Sa seule passion est de caresser des matières soyeuses et douces, comme par exemple les souris, que ses grosses paluches finissent inéluctablement par étouffer par excès de tendresse. Une jeune femme, passablement aguicheuse, va en faire les frais et sceller le destin du pauvre innocent.

C’est alors que nous revenons à notre propos initial : ce court roman, un rien tire-larmes, en même temps qu’expression de la misère et de la solitude humaine, qui des décennies plus tard perdurent chez toutes celles et ceux dont les vies ont été fracassées, trouve sous les pinceaux de Rébecca Dautremer une dimension souveraine rarement égalée. Un grand moment d’émotion, à offrir sans modération. Tout lectorat.

A. C.

Rébecca Dautremer est née en 1971 dans les Hautes-Alpes. Diplômée en graphisme de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs et passionnée de photographie, elle se tourne vers l’illustration jeunesse en 1996. Suivront plusieurs succès dont L’Amoureux et l’adulé Princesses oubliées ou inconnues. Elle a été récompensée par de nombreux prix, parmi lesquels la Pépite du Livre illustré et le Grand Prix de l’Illustration, en 2019. Ses deux derniers ouvrages, Les riches heures de Jacominus Gainsborough et Midi Pile, ont eux aussi rencontré un immense succès public et critique. Son adaptation graphique du classique de John Steinbeck Des souris et des hommes révèle toutes les finesses de son style, ponctué de clins d’œil aux illustrations des années 1930.

A. C.

Voir aussi (Archives BdBD) :

La Charge mentale des femmes et celle des hommes – Aurélia Schneider – Muzo – Ed. Larousse

Copyright A. Schneider, Muzo / Larousse – Depuis le 28 avril 2021 – 208 p., 17.95 €

Vie domestique, familiale, professionnelle ou sociale, vous êtes au front en permanence ? Tout se télescope, vos activités occupent votre cerveau et dévorent les espaces de pause dont votre corps et votre tête ont tant besoin ? Ne cherchez plus, vous êtes en pleine  surcharge mentale.

Avec cet ouvrage, vous apprendrez à :

• reconnaître vos vulnérabilités ;

• identifier des fonctionnements profonds qui opèrent à votre insu ;

• appliquer la règle des 8R : R comme prendre du Recul, Rectifier le tir ou Retomber sur ses pieds ;

• améliorer la qualité de vie de votre couple au quotidien.

Aurélia Schneider
Muzo

Après le succès de son premier livre, La charge mentale des femmes… et celle des hommes, le Dr Aurélia Schneider, ancienne interne des hôpitaux de Paris, spécialiste des thérapies comportementales et cognitives s’est associée au dessinateur Muzo pour proposer un guide enrichi de nouveaux cas cliniques, illustrant ses méthodes thérapeutiques aussi concrètes que simples, grâce à des dessins pleins d’humour et de justesse.

Autant d’outils pour vous aider à alléger votre charge mentale et prévenir le burn-out !

« D’accord, vous avez déjà trop de choses à faire. Alors, lire un livre, en plus, non merci, pas le temps ! Mais si, justement, la lecture de ce livre-ci va avoir un effet magique : juste un chapitre, chaque soir, et vous serez sauvé(e) !

Vous allez comprendre comment la charge mentale vous emprisonne ; rire de vous et de l’époque ; réfléchir aux choses à faire (ou à ne plus faire) ; puis agir, moins mais mieux. Et voilà le boulot : merci Aurélia et Muzo ! » *

  • Christophe André, médecin psychiatre