À partir du 22 avril 2022 – Copyright E. Boré (sc.), Vincent (dessin)/ La Joie de Lire – Dès 5 ans
SAUF QUE…
dans son fort intérieur, Jean-Blaise était un oiseau. Et il entendait bien le prouver à ses « congénères ».
Jean-Blaise décida alors de mener une vie d’oiseau, dormant assis, la tête penchée et dissimulée sous sa patte, comme le font les hérons ; faisant sa toilette en se roulant dans l’eau, puis en gonflant ensuite son pelage pour le faire sécher, comme le font les canards ; s’élançant du sommet d’un arbre, tel un colibri, et faisant un vol plané…
Quant à chanter comme un pinson, ce fut une autre histoire. Face à cet échec, et à celui de prouver qu’il était bien celui qu’il prétendait être, et face à l’obstination de ses amis volatiles à lui démonter le contraire, Jean-Blaise fit une déprime carabinée. « Pauvre Blaise ! » aurait dit de lui la Comtesse de Ségur (private joke à l’attention des grands-parents qui liront cette chronique, avant d’offrir l’album à leurs petits-enfants).
Cette fable aux accents anthropomorphiques renvoie à la question des différences et à leur difficile acceptation de la part de ceux qui ont un avis bien tranché sur toute question. Elle illustre l’éternel débat entre l’être et le paraître, entre la nécessité (ou non) de faire coïncider à tout prix son apparence extérieure avec son ressenti intérieur, et de vivre sereinement cette dichotomie.
Il est heureusement des rencontres qui aident à y parvenir. Ce merveilleux album participe à sensibiliser les adultes de demain à ces questions, qui semblent pourtant d’un autre âge…
Anne Calmat
À partir du 22 avril 2022 – Ed. La Joie de Lire – 80 p., 15,90 € – Lecture accompagnée, dès 6 ans.
Communiqué – Nous vous recommandons également Comment fait-on les bébés ? d’Anna Fiske, traduction Aude Pasquier.
Il arrive toujours un moment où les enfants s’interrogent, mais comment fait-on les bébés ?
Avec humour et intelligence et pas mal d’audace, l’album répond sans tabous à la question. Anna Fiske ne craint pas de montrer les corps tels qu’ils sont, dans toute leur diversité. Grâce à son style ludique, souvent proche de la bande dessinée, l’artiste norvégienne amuse les enfants et leur apprend l’essentiel : Quand on veut faire un bébé, tout commence par de l’amour.
Préface Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, enseignante-chercheuse au Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (LVIS) de l’Université de Lyon1.
Copyright Ed. Lapin – 80 p., 9 € – Sortie le 13 mai 2022
Depuis #metoo, les discussions à bâtons rompus sur l’égalité des sexes et les discriminations envers les femmes ont montré que l’égalité des sexes n’est pas encore là. Restera-t-il des différences physiques indépassables entre les hommes et les femmes ? Quand on y regarde de plus près, il s’avère qu’on a du mal à différencier « plus fort » et « mieux entraîné », « plus fort » et « socialement avantagé » et, voire à différencier « femme » et « homme »… Rien n’est clair, dans cette histoire de sport, de sexe et de genre…
Heureusement, les lapins sportifs de Phiip, guidés par la prose rigoureuse et scientifique d’Isabelle Collet, vont décrypter pour nous les mécanismes du sexisme dans le sport, et proposer des pistes pour le futur.
L’histoire des sportives est celle d’un combat ! Sans doute est-il nécessaire de rappeler qu’être sportive, en France comme ailleurs, a été et demeure toujours un sport de combat ! Effectivement, nombreux sont les travaux en histoire et/ou en sociologie du sport depuis une vingtaine d’années qui attestent combien le mouvement sportif et olympique a participé́ et participe encore à « menacer (les femmes)de façon ponctuelle ou régulière, dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité physique ou psychique », comme le souligne Thierry Terret en 2013 dans l’ouvrage Sport, genre et vulnérabilités au XXe siècle.
Ainsi, les sportives ont lutté contre trois catégories d’inégalités. En premier lieu, des inégalités d’accès aux institutions sportives et aux compétitions (notamment les plus prestigieuses) que celles-ci organisent.
À titre d’exemple, rappelons qu’il faut attendre 1970 pour que des femmes soient autorisées à prendre une licence sportive à la Fédération française de football ; 1984 pour qu’elles soient autorisées à courir le marathon olympique et 2014 pour qu’elles récoltent des médailles olympiques au saut à ski… Si ces inégalités d’accès tendent aujourd’hui à disparaître lorsqu’il s’agit des terrains sportifs (toujours pas de femmes au départ d’un Grand Prix de Formule 1…), elles sont toujours d’actualité lorsqu’il est question d’accès aux fonctions de dirigeantes ou d’entraîneures, a fortiori aux niveaux national et international. Rares sont les femmes à accéder à des postes à haut pouvoir décisionnel, si bien qu’on ne parle pas seulement de plafond de verre, mais aussi de plancher qui colle dans le milieu sportif comme ailleurs ! En second lieu, des inégalités de traitement sont à l’œuvre dans la mesure où les sportives sont souvent sous-dotées à tous les niveaux pour s’entraîner et performer. Moins de sections dites féminines, des budgets moindres, moins de créneaux horaires, moins d’encadrant·es qualifié·es, etc., contribuent, de façon sournoise, car souvent passée sous silence, à complexifier leur engagement dans le sport.
Enfin, des inégalités de reconnaissance perpétuent la croyance d’une moindre valeur des femmes et/ou du féminin dans le sport. Leurs performances sont alors parfois déconsidérées (si une femme l’a fait, c’est que c’était pas si dur que cela… ou wouah ! c’est fort pour une femme !), parfois invisibilisées (qui sait que Sarah Thomas détient le record de traversée de la Manche avec deux allers-retours entre Douvres et le cap Gris-Nez en 54 h de nage ?). Pas toujours facile d’être sportive, surtout lorsque celle-ci transgresse les standards de la « bonne féminité » ou s’aventure dans des bastions de masculinité comme le rugby, la boxe, le cyclisme ou les échecs (car oui, c’est un sport) !
En 2022, est-il encore possible d’ignorer ces inégalités, ces discriminations et même ces violences à l’encontre des femmes (voir l’enquête publiée dans Disclose le 11 décembre 2019 qui révèlent les cas de violences sexuelles dans le sport) ? Des prises de conscience s’opèrent et, progressivement, les lignes bougent. Depuis 2013, des plans de féminisation se développent au sein de certaines fédérations sportives françaises pour promouvoir des actions en faveur des femmes et jeunes filles (cette dynamique a permis à la Fédération française de football de tripler le nombre de ses licenciées en moins de 10 ans, passant de 50 000 en 2011 à 200 000 en 2019). Depuis 2014, une politique des quotas est mise en place en vue d’augmenter progressivement le nombre de femmes dans les comités exécutifs des fédérations sportives. En février 2022 est adoptée (non sans difficulté) la loi Sport fixant pour 2024 l’objectif de parité dans les instances nationales du sport et pour 2028 à l’échelon régional. Enfin, dans le cadre du plan impact et héritage des Jeux olympiques de Paris 2024, l’état français crée le label « Terrain d’égalité » qui sera attribué aux organisateurs d’événements sportifs qui respecteront une vingtaine de critères et d’actions destinés à promouvoir la parité. Bien sûr, ces avancées ne sont que partielles et de nombreux problèmes ou limites demeurent. Les plans de féminisation ne sont, pour l’heure, ni obligatoires, ni sources de sanctions si une fédération décide de ne rien ou peu faire ; les personnes en charge des dossiers sont souvent peu formées aux problématiques et méthodes en études de genre ; les femmes sont plus souvent secrétaires que présidentes lorsqu’elles intègrent le comité exécutif d’une fédération sportive… La liste serait longue. Parmi les axes d’action possibles, celui de la formation m’interpelle particulièrement. Effectivement, en tant qu’enseignante-chercheuse, dit Isabelle Collet, je suis convaincue que l’égalité femmes/ hommes ne s’improvise pas. être volontaire et/ou de bonne volonté est une chose, être formé·es (et encore mieux qualifié·es) aux théories et aux méthodes permettant d’analyser et de remédier aux inégalités en est une autre. Aujourd’hui, il est impératif de multiplier les formations au genre à destination de tous les agent·es, (salarié·es ou élues) du mouvement sportif et de faire de l’égalité femmes/hommes un métier. Il est aussi impératif d’informer et d’impliquer les plus jeunes : leur dire que tous et toutes ne prennent pas le départ sur la même ligne et leur permettre d’identifier les obstacles tout comme les moyens de les déconstruire.
Avec humour, Sexisme Man œuvre à cette ambition éducative, ludique et esthétique. Entre les mots concis et percutants d’Isabelle, et le trait fin et incisif de Phiip, Sexisme Man contribue à éveiller de nouvelles consciences et à nourrir les engagé·es de demain.
Isabelle Collet est professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève et directrice du groupe de recherche « Genre, Rapports intersectionnels, Relation éducative » (G-RIRE).
Philip dessine des lapins qui luttent contre le sexisme et publie des livres. Il est le fondateur des éditions Lapin. (V. interview https://youtu.be/L-BuvFOXWdA
Sortie le 8 avril 2022 – Copyright S del Giudice (scénario et dessin) / Dargaud – 140 p., 18 €
L’histoire débute en 1937, Yaël (la narratrice) a huit ans, sa sœur Émile, trois de moins. Aucune ombre ne vient ternir le bonheur de cette famille en apparence unie, si ce n’est peut-être l’attitude que les grands-parents maternels affichent à l’encontre de leur gendre, qu’ils qualifient avec réprobation de « goy » (de non-Juif).
La vie des deux fillettes va basculer une première fois lorsque leur mère décède et que leur père se remarie avec la blonde Ophélie. Nous sommes en 1939. Pour elles, cette usurpatrice, à qui elles trouvent tous les défauts, ne saurait remplacer la disparue.
14 octobre 1940, promulgation du statut des Juifs
Mais rapidement, le principe de réalité de la guerre qui vient d’être déclarée entre la France et l’Allemagne, avec ses premiers décrets antisémites, relègue au second plan leur ressentiment contre la jeune femme ; si bien que sa présence apaisante aide à juguler l’inquiétude que l’absence du père, parti au Front, provoque chez ses deux filles.
Mais voilà que déjà un bruit de bottes résonne dans l’escalier qui mène à l’appartement qu’occupent Ophélie, Yaël, Émilie et la dévouée Mme Petit…
Simplicité du trait, fluidité, du récit, justesse des dialogues, aucune fausse note. La dernière planche est admirable.
Anne Calmat
Sara del Giudice est née à Milan en 1998. Depuis toute petite elle rêve de devenir autrice de livres pour enfants. Après avoir obtenu un diplôme à l’IED de Milan en Illustration, elle a choisi de suivre un master de BD à l’École supérieure de l’Image d’Angoulême. Forte de son parcours, elle se lance dans la réalisation de sa première BD, Derrière le rideau, qui à bien des égards évoque Le Journal d’Anne Frank.