Frontier – Guillaume Singelin – Ed. Rue de Sèvres

Depuis le 12 avril – Copyright G. Singelin (scénario & dessin) / Rue de Sèvres – 202 p., 21,80 €

Oct. 2022 Télescope James Webb © Tous droits réservés

La surexploitation des matières premières sur notre bonne vieille planète Terre fait chaque jour davantage de ravages, et si l’on se projette dans le futur, la prochaine étape pourrait bien être la colonisation d’une autre planète, dans un ailleurs qui reste à déterminer.

Dans cet album qui associe un graphisme d’inspiration manga – pour ce qui est des personnages – et des images qui semblent tout droit sorties des données spectroscopiques fournies par un méga télescope, le pas a été franchi. La Terre suffoquait, l’humanité était à bout de souffle, Guillaume Singelin a imaginé un lieu où la vie serait possible, sans pour autant le situer.

Hélas, bis repetita, une minorité d’individus va prendre le pouvoir, faire main-basse et surexploiter à son seul profit les ressources de la planète colonisée, « le petit peuple » faisant quant à lui office de main-d’œuvre corvéable à merci.

Trois personnages vont cependant échapper à la déshumanisation qui guette les nouveaux arrivants : Ji-soo, une scientifique, Camina, une mercenaire, et Alex, un mineur. Un lien va se tisser entre eux et ils vont tout mettre en place pour fuir la violence sociale – et pas seulement – qui prévaut, et risque de mettre à mal la survie de la colonie dans cet espace où la mort rôde en permanence.

L’optimisme de l’auteur quant au sort qui attend ces nouveaux bâtisseurs d’Empire reste cependant mesuré. Il semble davantage être dans une démarche rationaliste que positiviste.

Mais l’anglais William Arthur Ward (1921- 1994) n’a-t-il pas écrit que « Les optimistes enrichissent le présent, améliorent l’avenir, contestent l’improbable et atteignent l’impossible » ?

À bon entendeur…

AnnaK

Une enfance de paille – Lika Nüssli – Ed. Atrabile

Sortie le 6 mai – Illustrations © Lika Nüssli (scénario & dessin) / Ed. Atrabile226 p., 26 €

© Kavita Kri correspondante à la BBC – Diffusion sur TV5 Monde, en mai 2015

Contexte historique – L’auteure aborde ici un fait de société occulté jusqu’aux années 1970 par les autorités suisses : celui des enfants arrachés à leurs parents, parce que jugés incapables de les élever ou trop pauvres pour subvenir à leurs besoins, maltraitants ou de « mauvaise vie », puis ensuite placés dans des exploitations agricoles où ils ont trimé comme des bêtes de somme pendant une partie de leur adolescence. La raison avancée ? Leur assurer une meilleure vie. C’est en réalité tout le contraire qui s’est produit dans nombre de cas : beaucoup ont été traités « comme du bétail » et en ont gardé un souvenir amer.

Dans les années 90, les archives helvétiques ont été ouvertes au public et des indemnités versées aux victimes. Le 11 avril 2013, la Présidente de la Confédération helvétique demandait même publiquement pardon et présentait les excuses de la Nation.

La BD – Ce fut le cas du père de l’auteure de cet album, qui a reçu le Prix de la Meilleure bande dessinée suisse au festival de Delémont en 2022 (dans sa version allemande). Ici, le jeune Ernst fut placé par ses parents, trop pauvres pour subvenir à ses besoins, et non soustrait arbitrairement à leur autorité. Il n’empêche que l’enfant va servir de valet de ferme pendant plusieurs années : nourrir les bêtes, traire les vaches, nettoyer l’étable, faire les courses, etc, sans jamais trouver la moindre place au sein du foyer de ses « employeurs ».

Nüssli Lika décrit le quotidien âpre et dénué de confort que fut celui de son père, quelque part dans les montagnes suisses, il n’y a pas loin de 80 ans. Le petit Ernst accepte cette nouvelle vie avec fatalisme, trimant du matin ou soir, le ventre toujours un peu vide – une vie précaire où quelques carrés de chocolat dérobés à la sauvette représentent un plaisir rare et intense.

Derrière tout ça, c’est aussi la grande Histoire qui se dessine et apparait par flashes, comme lorsque le ciel s’illumine d’un étrange feu d’artifice créé par le bombardement des alliés sur le sud de l’Allemagne.

Le trait à la fois rond et brut de Nüssli Lika raconte avec force et acuité l’innocence qui entoure cette période de la vie d’Ernst, comme la dureté de ce qu’il traverse.