Alexandre Jacob – Journal d’un anarchiste cambrioleur

Texte Vincent Henri, dessin Gaël Henry – Ed. Sarbacane, 160 p., 22,50 € 6 janvier)

couv Alexandre JacobLa première case de l’album fait état de la Une d’un quotidien d’inspiration libertaire, Germinal.  » Jacob devant ses ennemis « , peut-on lire.

On est en mars 1905, pas de suspense possible, celui qui défraie la chronique judiciaire du fait de ses multiples cambriolages, perpétrés au nom d’un idéal anarchiste, est sur le point d’être jugé. À vingt-six ans, il risque les travaux forcés à perpétuité. Alexandre Jacob, que l’on repère immédiatement sur la bd à son nez en forme de sucre d’orge, n’est pas seul dans le box des accusés, ses complices,  » les Travailleurs de la nuit « , attendent eux aussi de savoir à quelle sauce ils vont être dévorés.

Ce procès retentissant est, pour nous lecteurs, l’occasion de découvrir les circonstances qui ont présidé à l’engagement politique de ce tout jeune homme, militant indéfectible de la cause anarchiste, stratège hors-pair de la cambriole, et à son arrestation.

Alexandre Jacob p16-17

Le premier coup d’essai de la bande se révèle être un coup de maître: le directeur du très emblématique Mont-de-Piété est délesté en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire des alliances et autres objets précieux qui ont appartenu à ceux que la misère avait poussés à se séparer de leurs précieux souvenirs.

Dès lors, les fric-frac s’enchaînent (150 avoués), les parties de cache-cache avec la maréchaussée aussi, avec parfois retour à la case prison pour le monte-en-l’air, et évasion rocambolesque en bouquet final. Jacob et ses complices ont l’art du déguisement et de la mystification, ils vont en user à de nombreuses reprises. Mais tout cela, ce ne sont que des escarmouches, déclare-t-il au bout de quelques temps. Fort de sa conviction de faire oeuvre de salubrité publique en dépouillant les riches pour donner aux pauvres, le jeune marseillais désire maintenant mener une bataille d’envergure contre le capitalisme et ses privilèges.
Alexandre Jacob répond sans jamais louvoyer aux questions que lui pose le président du tribunal d’Amiens. Non seulement il assume les faits qui lui sont reprochés, mais il les revendique haut et fort, avec un humour et un sens de la répartie qui forcent l’admiration.
Il est évident que je préfèrerais être libre et que mes compagnons ne risquent pas leur vie dans ce procès inique. Mais force est de reconnaître que ce tribunal m’offre une tribune inestimable, une occasion inespérée d’ouvrir les yeux du peuple, écrit-il dans son journal. Cependant, s’il se réjouit de pouvoir délivrer son message devant le plus grand nombre, il ronge son frein car compte bien jouer  » les filles de l’air  » dès que l’occasion s’en présentera. Ne l’a-t-il pas déjà fait ?Alexandre Jacob p46-47

Comment ne pas être fasciné par cet homme éminemment romanesque (il a inspiré le personnage d’Arsène Lupin à Maurice Leblanc), resté libre et fidèle à la cause anarchiste jusqu’à la fin de sa vie, qu’il a quittée quand bon lui a semblé. On regrette évidemment que l’album ne se concentre que sur les années – fondamentales – qui vont grosso modo de 1890 à 1905, tant ce que l’on y découvre est passionnant, mais les curieux pourront aisément en savoir plus, en consultant le site www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob ou en parcourant la thèse de doctorat en histoire contemporaine de Jean-Marc Delpech (Université Nancy 2, 2006).

Anne Calmat