
de Jean-Luc Loyer (scénario et dessin) – Editions Futuropolis
La dédicace est sombre : une jeune nièce, un suicide, un enterrement, une vie bouleversée… La curiosité s’aiguise à rechercher quel « bien » a pu se dissimuler dans ce grand « mal ».
La trame de cette histoire, l’anti-héros la livre lui-même : « J’aime une nana qui se fout de ma gueule et dont je ne peux pas me passer, je dessine des histoires dont les gamins n’ont rien à secouer et j’ai l’idée saugrenue que je pourrais aider une pauvre siphonnée qui se laisse mourir de faim à cause de son père. »Le narrateur, c’est un bon gros, sans éclat, dessinateur de bds qui ne marchent pas, en mal d’amour, de succès et d’amitiés sincères. Mal dans son corps, sa peau et sa vie, c’est tout juste s’il parvient à payer son loyer et à assurer des croquettes à son chat.
Alors qu’il enchaîne galères sur galères, voyant chacune de ses velléités de réussite réduite à néant, une convocation de Pôle emploi lui dégage un créneau inespéré : un poste de chef illustrateur dans un département de communication, bien rémunéré, avec pour mission annexe la formation de la fille du directeur. Une aubaine ? Pas sûr.
Cette rencontre improbable avec Eléonore, schizophrène et anorexique, ayant dépassé toutes les limites de la bienséance, de la tenue, du langage, qui boit, fume et vole occasionnellement, suscite une prise de conscience : qu’est-ce que la folie, qu’est-ce que la normalité ? Et une plongée dans les souvenirs de l’enfance. Qu’opposer à ces excès sinon les accepter en partageant avec bonhomie ses repas, ses promenades, parfois son canapé et même son chat. La rencontre de ces deux malheurs crée une base suffisamment solide pour soutenir une reconstruction.
Il faudra oser toucher le fond pour qu’une l’étincelle vitale redonne à la créativité son pouvoir structurant et ravaude des liens jusqu’alors en charpie.
Le style narratif pourrait être celui d’une longue confidence. Le dessin précis va dans le détail. L’ensemble est gris, blanc, noir, aux couleurs des personnages, de leur histoire, du climat.
Jean-Luc Loyer avait puisé dans ses souvenirs du Nord de la France pour écrire les Mangeurs de cailloux et La boîte à 1 franc. Dans Cintrée, il se représente à nouveau et nous livre une parcelle bouleversante de son histoire.
Nicole Cortesi-Grou
136 p., 20 €