Delacroix – Alexandre Dumas – Catherine Meurisse – Ed. Dargaud

Depuis le 21 novembre 2019 – © C. Meurisse / Dargaud

Quelques planches en noir et blanc nous transportent en 1864, dans une salle d’exposition de la Société Nationale des Beaux-Arts, où Alexandre Dumas est sur le point d’entamer une causerie sur son ami, le peintre Eugène Delacroix, décédé l’année précédente.

Suivent deux planches d’aquarelles saisissantes, « à la manière de » Delacroix : Autoportrait et Le lion rugissant.








Nous comprenons que la sobriété du titre de l’album est trompeuse. Catherine Meurisse s’apprête à nous embarquer dans une aventure haute en fantaisie et en couleurs. Le support de l’écrivain servira son art et lui permettra de rendre un hommage appuyé à la virtuosité et à la liberté du peintre.

Au fur et à mesure du déroulement du texte de Dumas, présenté en caractères manuscrits, qui nous le rendent proche et présent, diverses compositions s’insèrent entre les lignes, dans les marges, voire sur la page tout entière : croquis en noir ou en couleurs, aquarelles librement inspirées de l’œuvre de Delacroix ou d’Antoine-Jean Gros, petites planches de bandes dessinées, croquis au fusain… Cela permet à l’auteure de proposer sa vision personnelle et renouvelée du texte initial, en mettant en relief des points biographiques, en appuyant le regard de Dumas, en soulignant la modernité d’Eugène Delacroix, en éclairant ses choix artistiques.

Nous sommes emportés dans le tourbillon d’une époque et éblouis par les inventions graphiques.

Outre l’originalité de la présentation, nous apprenons également le peu banal parcours de Delacroix. Surnommé par son ami Dumas « fait de guerre », il eut une enfance mouvementée du fait des nombreux accidents dont il réchappa : pendaison, incendie, noyade, empoisonnement… Ce qui ne l’empêcha pas de développer précocement une rage de peindre, freinée par ses parents mais entretenue par son oncle, le peintre romantique Léon Riesener. La perte de son père décida de son choix de vie, il profiterait de son autonomie pour devenir peintre.

Entré dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin, il y exécuta sa première grande œuvre, avant d’en être chassé pour cause de non-conformité. Il n’empêche que son tableau fut invité au Salon et vendu au gouvernement, qui l’exposa au Palais du Luxembourg.

C’est avec sa toile suivante, Le massacre de Scio, composée pour le Salon de 1824, que la guerre fut déclarée. La guerre de la couleur et la poésie contre la convention fit rage et prit de multiples formes. C’est aussi devant cette toile qu’il rencontra Dumas. La vie de Delacroix ne fut qu’une longue controverse artistique. On porta Ingres au pinacle, on rangea Delacroix au placard. Mais les attaques brutales font également naître des disciples, et Delacroix n’en manqua pas.

La réparation de l’injustice n’eut lieu qu’au moment de l’exposition universelle (1855) où le tableau Sardanapale ne fut décroché que pour rejoindre la Grande Galerie du Louvre, et dans le meilleur des voisinages, celui de Rubens.

Nous apprenons également quelques anecdotes croustillantes, notamment lors de ce bal masqué privé donné par Dumas en l’honneur des artistes et des poètes, avec un challenge lancé à six peintres : illustrer chacun tout un pan de mur d’une chambre. Arrivé au dernier moment, Delacroix produisit un magistral Rodrigue après la bataille.

Après une vie désargentée, il mourut seul avec son valet de chambre, en tenant la main de sa vieille gouvernante.

L’album de Catherine Meurisse est un bonheur pour l’œil, une réjouissance pour l’esprit et une caresse pour le cœur.

Nicole Cortesi-Grou

140 p., 21 €

Album copyright Editions Dargaud Catherine Meurisse

Catherine Meurisse fait des études de Lettres avant d’entrer à l’École Supérieure des Arts et Industries graphiques Estienne, puis à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. En 2005, elle rejoint l’équipe de Charlie Hebdo, tout en dessinant pour Libération, Marianne ou les Échos. Elle illustre des livres pour la jeunesse pour différente maisons d’éditions et signe plusieurs bandes dessinées, dont Le Pont des Arts, Savoir-vivre et mourir, Moderne Olympia et Les Grands espaces*. Après l’attentat contre Charlie Hebdo, auquel elle a échappé de justesse, elle écrit La légèreté*, long parcours de son retour à la légèreté en même temps qu’à la vie. (*v. BdBD Archives)