Falloujah Ma campagne perdue – Feurat Alani – Halim – Ed. Steinkis, Coll. Témoins du monde

Falloujah Ma campagne perdue inaugure la nouvelle collection des éditions Steinkis : « Témoins du monde ».

Sortie en mars 2020 – Copyright F. Alani, Halim / Steinkis

2004, quelques semaines après la bataille de Falloujah, le journaliste franco-irakien, Feurat Alani, arrive clandestinement en Irak, où il retrouve ses oncles paternels. Les autorités irakiennes ne souhaitent pas que la presse étrangère vienne « fourrer son nez » dans leurs affaires, c’est à dire constater de visu ce qu’est devenue la Cité des mosquées au lendemain de l’opération Phantom Fury menée par l’armée américaine et appuyée par le gouvernement intérimaire irakien. Ce que précisément, il est venu faire.

Des milliers de soldats ont alors encerclé la ville, en représailles à une révolte sanglante de la population, liée à leur non-respect des traditions religieuses du pays occupé.

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Feurat Alani va recueillir les témoignages de civils et de combattants irakiens. Cette succession de récits, entrecoupée de souvenirs de nuits passées à compter les étoiles filantes sur le toit de la maison familiale lorsque, enfant, il venait de France passer ses vacances à Falloujah, nous mène progressivement à l’objet de ce roman graphique : les forces armées envoyées par Gorges W. Bush (celui-là même qui en octobre 2002 avait accusé Saddam Hussein de posséder des armes de destruction massive) ont-elles largué des bombes au phosphore blanc et à l’uranium appauvri sur la cité des mosquées en 2004, comme l’apparition presque concomitante de cancers, de leucémies et de bébés mal formés à la naissance, semble l’attester ? Alani en aura par la suite la confirmation en poursuivant ses investigations auprès d’anciens Marines.

p. 69

Il va de soi que ce manquement à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1992 participera à l’émergence l’État islamique quelques années plus tard, les hautes instances irakiennes s’étant refusé à endosser une quelconque responsabilité dans ce qui est advenu après le départ de l’armée US, laissant alors les dissensions s’installer entre les tribus, et des groupes plus ou moins extrémistes, s’imposer.

« Des manifestations ont démarré à la sortie de Falloujah. Cet endroit a été surnommé « la Place de la Dignité ». Tout le monde, ici, proteste contre le gouvernement de Bagdad. Détruite puis délaissée et ostracisée depuis des années, Falloujah implose et malheureusement des drapeaux noirs apparaissent dans la foule. » p. 126 ©

p. 81

Un album bouleversant, pour lequel la force indéniable du récit-reportage de Feurat Alani, associée au montage graphique dense et expressif, presque cinématographique d’Halim – beaucoup de gros plans, qui sont comme autant de zooms sur une population qui a vu l’enfer s’abattre sur elle – donnent d’emblée ses lettres de noblesse à la nouvelle collection des éditions Steinkis.

Anne Calmat

126 p.,18 €