
Le chaos a débuté.

Dans un futur proche, aux États-Unis, les excès du capitalisme déclenchent une guerre civile. Suite à l’état d’urgence décrété, la police est omniprésente. La planète, touchée par le dérèglement climatique, semble atteinte de folie, les villes sont inondées, les riches se terrent dans des ghettos sécurisés, tandis que les « Rebels » ont, eux, rallié le Canada.

Emmitouflée dans sa parka, cette fragile jeune femme fuit et se réfugie dans les bois. C’est dur d’y survivre quand on est citadine, qu’on ne possède pour tout bien qu’un sac à dos avec un exemplaire de Walden de Henry David Thoreau, et ses souvenirs. Souvenir d’Ethan, le métèque, si beau et si sage.


Mais les bois eux-mêmes ne sont pas sûrs, on y fait de mauvaises rencontres. Heureusement qu’elle a pris la précaution de glisser ce couteau dans son maigre bagage, et que sa main est sûre. Auprès d’un lac, apparu comme un mirage, on peut se laver, se purifier l’âme et retrouver au sein de la nature le peu de bien-être et de sécurité qui permet de tenir. Les nuits apportent leur lot de cauchemars, surtout quand elle repense à ce qu’a subi Ethan. Mais à quoi bon ruminer, il lui faut fuir, encore fuir les hommes, les ours, et réapprendre à pêcher et à chasser.
Et un soir de pluie et de froid, il y a cette silhouette aperçue à la nuit tombante, moitié ours, moitié humain. Cette même silhouette qui lui sauve la vie quand ses poursuivants l’ont rejointe dans la cabane où elle avait fait halte. Ensuite, elle a perdu connaissance…

Qui est cet étrange personnage venu à son secours ? Qui la conduit sur des sommets, loin du monde d’en-bas ? Qui ne parle pas son langage articulé mais la comprend ? Qui fréquente une horde de loups et lui fait découvrir les magnificences du monde souterrain ?

Et si le Yéti était une femme ?
Son voyage va s’arrêter là, car elle va y trouver suffisamment d’affection et de sécurité, mais elle aura à qui transmettre le relai de sa quête de l’autre monde, celui des Rebels…
L’histoire se déroule au fil du récit que fait l’héroïne de son aventure. Quelques flash-back nous renseignent sur sa vie d’avant et ce qui a déterminé sa recherche des Rebels. Ce n’est que dans les dernières pages que de nouveaux personnages entrent en dialogue.
La trame est simple, l’album se lit d’une traite. Parce qu’il exprime notre anxiété face à ce monde en perte de valeurs, dominé par la technologie et l’intérêt ? Parce que les personnages, en quête d’authenticité et de simplicité, veulent se réconcilier avec la nature ? Parce que la femme sauvage est un symbole de cette nature bienfaisante et maltraitée ?
Le dessin de Tom Tirabosco, avec ses images saisissantes de nature ou de violence, est précis, fouillé. Le noir et blanc convient tout à fait à la sobriété de la narration et à la tension qui la sous-tend.
Nicole Cortesi-Grou
240 p., 25 €

Depuis une dizaine d’années Tom Tirabosco a publié J’ai bien le droit (La Joie de lire, 2010), Sous-sol (Futuropolis, 2010), Kongo* (Futuropolis, 2013), Wonderland* (Atrabile, 2015), La graine et le fruit (La Joie de lire, 2017). Outre ses albums BD, l’auteur genevois réalise des affiches culturelles et politiques. Il travaille régulièrement avec la Tribune de Genève, Le Temps, LaRevueDurable. (* voir Archives)