GAST de CAROL SWAIN (scénario et dessins) – Ed. Ça & Là – 176 p., 23 €
Chronique Yves, librairie « Les Buveurs d’Encre« , Paris 19e
Diffusée dans l’émission « Act’heure », sur Fréquence Paris Plurielle 106.3 FM
Résumé : Helen est une jeune ornithologue amateur, vivant dans une communauté rurale du Pays de Galles. Lorsque Bill, un agriculteur du coin, lui raconte qu’un « oiseau rare » nommé Emrys s’est suicidé à la ferme de Cuddig, elle décide d’enquêter. Un des chiens de la ferme lui dit, en guise d’explication, que Emrys « n’avait pas de plumes et ne pouvait pas voler. » Elle retrouve un vieux kit de maquillage dans une benne à ordures et découvre qu’il appartenait à Emrys. En faisant l’inventaire du contenu de la trousse, elle trouve une douille de cartouche de fusil de chasse. Au fil du récit, la vie intérieure d’Helen se révèle lentement à travers un mélange de détails naturalistes et d’événements fantasmagoriques dans ce lieu sauvage et magique où les animaux sont doués de la parole. Ses tentatives pour découvrir qui était réellement Emrys se transforment en une quête initiatique et aboutissent à son acceptation du monde tel qu’il est.
Avec Gast, son quatrième roman graphique, Carol Swain atteint une véritable maturité artistique et livre une vision philosophique du monde, mise en scène de façon unique par un artiste dont l’univers est l’un des plus singuliers de la bande dessinée anglaise de ces dernières années.

RACKET – STÉPHANE LEVALLOIS – Ed. FURUROPOLIS (retranscription intégrale)
Emission Act’heure sur FPP 106.3, mardi 17 février 2017- Chronique Anne Calmat

« Sur les premiers planches, on voit des corbeaux, d’abord en très gros plan puis en contre-plongée. Ils tourbillonnent dans le ciel d’une grande ville, on se doute qu’ils sont le signe avant-coureur d’une catastrophe. Ajoutez à cela, le titre de l’album et sa couverture, sur laquelle on découvre une fillette d’une dizaine d’années, dont le visage semble assez impénétrable. Il est d’une insondable tristesse.
En rentrant de l’école l’enfant va se faire voler le portable qu’elle a reçu la veille pour son anniversaire. Non content de lui avoir arraché son téléphone des mains, son agresseur, une espèce d’armoire à glace encapuchonnée, la poignarde et s’enfuit. Tout a été très vite. A-t-elle résisté, l’a-t-elle défié du regard, ce n’est clairement montré. Toujours est-il qu’elle rentre chez elle, pliée en deux, et que c’est son père qui l’a accueille. La mère est absente du récit, on se dit qu’elle est peut-être morte, en tout cas, il est clair que la fillette vit seule avec lui…

On est à peine au premier tiers du récit, je ne vais pas vous en dire beaucoup plus. Simplement que vont s’en suivre, la panique, le séjour à l’hôpital, le coma, l’expérience de petite mort de l’enfant, cet instant où la vie s’échappe et où il faut beaucoup de détermination pour la rattraper.
Et puis, en filigrane, il y a l’après : comment se reconstruire psychologiquement quand, si jeune, on a été confronté à tant de violence.
Toute cette intensité, est rendue possible par l’extraordinaire subtilité des dessins de Stéphane Levallois. Il est loin d’être un novice dans la bd, et encore moins dans l’illustration sous toutes ses formes. Il n’y a qu’à consulter Google pour s’en convaincre.
Ses dessins sont extrêmement chiadés. Ils sont en noir et blanc , à l’encre de Chine et peut-être au crayon, rehaussés de temps à autre par des touches de couleurs diluées dans de l’aquarelle…
La semaine dernière, je vous ai parlé d’une bd sociologique intitulée « Juniors », dans laquelle le fond faisait oublier la faiblesse de la forme, ici le fond est d’une puissance rare, et la forme magnifie cette puissance. Il était d’ailleurs indispensable qu’elle soit impeccable, dans un récit qui court sur plus de 300 pages.
Car que je n’ai pas encore précisé,, c’est que cette bd a pour particularité d’être totalement muette : aucune bulle, le silence total.
Cela donne une force supplémentaire à chaque scène, ça oblige aussi le lecteur à une attention soutenue et à un travail d’interprétation personnelle important et passionnant.
Ce n’est pas un album qu’on dévore parce qu’on a hâte d’en connaître la fin. Au contraire, on fait des pauses, on retient son souffle, parce qu’on est un peu chamboulé. L’émotion est là, ça raconte quelque chose qui fait partie de nos craintes diffuses, ça raconte la violence de nos villes : cette enfant qui se fait racketter à la sortie de l’école par une espèce d’abruti qui n’hésite pas à la poignarder pour un téléphone portable, ça fait écho à des faits-divers, lus, vus, entendus, ou même parfois vécus.
Voilà, une nouvelle fois une BD qui fait honneur au 9è Art…