
Il suffit parfois de presque rien pour que le malheur frappe à la porte. Ça va très vite : Planche 1 : Mathilde, dite Tilda, est à la bourre, sa jumelle accepte de la déposer en scooter au stade, un casque pour deux, son ainée de 25 minutes exige que ce soit Tilda qui le porte. Planche 2 : elles croisent la route d’un livreur qui vient de recevoir un appel sur son portable… Tout cela n’a pris que quelques instants.
La dernière vignette de la planche 2 laisse apparaître une jeune fille (celle de la couverture) au regard insondable, où se mêlent déréliction et contrition. Si seulement elle avait passé moins de temps dans la salle de bains ce matin-là…
Pour Tilda la vie continue malgré tout, malgré elle. Mais différemment.

Et plus précisément, au Refuge, un centre d’aide pour ados en difficulté, en quête de trouver un sens à leur existence. La nuit les pensionnaires aiment à se livrer à des séances de spiritisme. L’entrée en scène d’une « chasseuse de fantômes » – aux noirs desseins – va permettre à Tilda de trouver en elle un moyen inattendu d’y parvenir. N’est pas télépathe qui veut, pourtant Tilda doit se rendre à l’évidence, elle est une « passeuse d’âmes »…
C’est ici que la citation de Victor Hugo, inscrite en exergue de l’album, se rappelle à nous : « Les morts sont des invisibles, mais non des absents. »
Chacun de nous a son avis sur la question, mais qui peut affirmer avec certitude qu’il détient les clés des mystères de l’au-delà ? Qui en effet n’a jamais rêvé que celui ou celle venait de quitter cette terre, demeure à ses côtés ? «La vie n’est qu’un souffle énigmatique et ce qui en résulte ne peut être qu’un souffle énigmatique. », a écrit le peintre Jean Arp.

L’album explore joliment l’idée de vies parallèles, avec, pour peu que l’alchimie ait lieu, de possibles interférences entre les deux mondes.
Il s’agit souvent pour ceux qui sont restés, de dire à ceux qui les ont quittés ce qu’ils n’ont pas su ou eu le temps d’exprimer avant qu’il ne soit trop tard, de remplir le vide que leur disparition a laissé, ou tout simplement de ne pouvoir se résoudre à laisser s’envoler à jamais cette autre partie d’eux-mêmes.

Mais eux, ces immatériels, qu’attendent-ils ? Ne seraient-ils pas les otages de ceux qui refusent de les laisser aller vivre une tout autre vie dans cet Ailleurs qui les attend ?
Anne Calmat


Nicolas Pitz (Bruxelles) est à la fois formateur en webdesign et auteur de bande dessinée. On lui doit la trilogie Luluabourg, mais aussi Les jardins du Congo et Montana 1948 (v. BdBD Archives). En 2018, il se lance dans la bande dessinée jeunesse en adaptant les romans de Malika Ferdjoukh : La Bobine d’Alfred et Sombres citrouilles chez Rue de Sèvres. En 2020, il dessine Traquée avec Fabien Grolleau chez Glénat.

Mikaël Ollivier (Paris) écrit des films et des livres depuis une vingtaine d’années (La vie en gros, Eden, Tout doit disparaitre chez Thierry Magnier ou encore Trois souris aveugles, L’Inhumaine nuit des nuits chez Albin Michel. Pourtant, il ne sait toujours pas comment l’on fait, ni pourquoi. C’est sans doute pour cela qu’il continue aussi passionnément. Parce qu’il est encore un débutant, et compte bien le rester, comme en atteste cet album, son tout premier scénario de bande dessinée.
