La Cavale du Dr. Destouches

Coup d’oeil…

d’après l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline

Récit Christophe Malavoy, dessins Gaëtan Brizzi et Paul BrizziEd. Futuroplis

Parler de Louis-Ferdinand Céline, c’est souvent se demander si l’on peut faire abstraction de ce qu’a été l’homme, pour ne se souvenir que de son œuvre. Indispensable selon les uns, impensable pour les autres.

Christophe Malavoy prend parti. Il écrit dans sa préface: « Beaucoup d’audace, de vérité, d’amour, de révolte, une infinie tendresse… Tout se conjugue loin de la normalité, de la routine et de la morale prête à dresser les bûchers… indifférente à la misère du monde… »

Sur la première planche de l’album, Céline, au fond de son lit, dépenaillé, l’oeil mauvais, hurle à la cantonade qu’on lui foute la paix. Face aux flots d’invectives et de menaces qui ont fondu sur lui depuis son retour du Danemark, le reclus de Meudon a décidé de remettre les pendules à l’heure, et de clouer le bec de « tous ces jean-foutre qui veulent sa peau ».

« Je vais vous expliquer avant que les mensonges s’y mettent. Mensonges, véroles et punaises…« 

Un flash-back nous le montre en juin 1944. Les alliés sont aux portes de Paris, Céline craint pour ses abattis et décide d’aller se réfugier à Copenhague, où l’attend le tas d’or qu’il a pris soin de planquer au début de la guerre. Des faux papiers lui sont remis par les autorités allemandes…

Le voici avec Lucette, sa femme, et leur chat, Bébert, dans le train qui les conduit à Baden Baden. Une étape nécessaire pour obtenir le précieux sésame qui leur permettra de passer au Danemark. Ils vont l’attendre pendant neuf mois. Dans l’intervalle, le couple, flanqué du comédien Robert Le Vigan, dégoulinant de veulerie, va traverser une Allemagne en ruines et atterrir au château de Sigmaringen, où se sont réfugiés le Maréchal Pétain « fripouille cent pour cent, gâteux fini… », et son gouvernement fantoche. « Un plateau de condamnés à mort, avec au cul l’article 75 : Intelligence avec l’ennemi », prédit Céline.Les conditions de vie sont misérables, mais le « bon docteur Destouches » a de nouveau l’occasion d’exercer son cher métier. « Sa vocââtion » comme il dit (son langage et son phrasé, à la fois gouailleur et affecté, sont ici bien restitués). Et puis,  » il ne faut jamais se montrer difficile sur les moyens de se sauver de l’étripade ».

Il ne sait pas encore qu’une autre forme d’étripade l’attend à Copenhague, et surtout, à son retour en France…

Christophe Malavoy brosse un portrait à décharge de celui qui se prétendait anarchiste, humaniste, défenseur des faibles et des opprimés. Dommage néanmoins qu’une impasse ait été faite sur les obsessions antisémites de l’écrivain, qui, jusqu’au dernier moment n’a jamais perdu une occasion de s’auto-complimenter pour la clairvoyance de ses fulminations antérieures. Le paradoxe fait homme. « Une boule de tendresse » dit-il de lui sur l’une des dernières vignettes de l’album. Hum !

Les dessins de Gaëtan et Paul Brizzi valent à eux seuls que l’on se passionne pour cet album : des camaïeux de gris – soutenu ou vaporeux – qui évoquent les illustrations fantasmagoriques de Gustave Doré ; des planches qui semblent tout droit sorties de la palette d’un peintre expressionniste ; des caricatures que n’auraient pas désavouées Albert Dubout ou Honoré Daumier.

Anne Calmat

96 p., 17 €