La mémoire dans les poches – Luc Brunschwig – Etienne Le Roux – Ed. Futuropolis

Copyright L. Brunschwig (scénario) et E. Le Roux (dessin) /Futuropolis, 2017 – Coffret 3 volumes 49,40 €

Coup d’œil dans le rétro

La Mémoire dans les poches raconte la destruction d’une famille dont les liens se sont tissés sur de fausses bases et un rapport idéalisé entre trois êtres qui croyaient parfaitement se connaître.

Sur la première planche du tome 1, un certain Sidoine Letignal, un jeune enfant dans les bras et un chien collé à ses basques, tente d’acheter une boîte de lait Premier âge et un biberon dans une pharmacie. Face aux questions inquisitrices de la vendeuse, il s’enfuit. On le retrouve un peu plus tard dans le bistrot où il a trouvé refuge. Une jeune mère allaite son bébé, Letignal lui demande si elle verrait un inconvénient à en faire autant pour ”le sien”. Tollé général, l’homme est sommé de s’expliquer.

Didoine raconte alors son histoire – à laquelle se mêlent, pour nous lecteurs, quelques réminiscences de son enfance durant la Seconde Guerre mondiale.

L’histoire du couple qu’il formait il y a encore peu de temps avec sa femme, Rosalie. Un couple exemplaire au service des plus déshérités, admiré de tous, et avant tout de leur fils Laurent, un écrivain en devenir qui a suivi les traces parentales en donnant des cours d’alphabétisation dans un centre socio-culturel…

T. 1

Le septuagénaire explique qu’il n’a pas bronché lorsque Rosalie a refusé catégoriquement d’accueillir chez eux la jeune protégée de Laurent, une réfugiée algérienne sans papiers, enceinte de huit mois ; mais qu’il a quitté le domicile conjugal lorsque Malika a été expulsée de France, contrainte d’abandonner l’enfant du déshonneur, conçu hors-mariage en Algérie. ”C’était moi la cause de toute cette chienlit, je me suis dit que c’était peut-être un service à rendre”. Il aurait pu ajouter ”pendant qu’il en était encore temps”.

T. 2

Pourquoi cet homme a-t-il rompu les amarres de façon aussi radicale ? On se dit que sa décision n’est pas sans rapport avec les images en flash-back qui le montrent enfant, du temps où il s’appelait Isaac.

Le second opus se concentre sur Laurent. Son père a disparu depuis trois ans avec le bébé de Malika. Le jeune homme est maintenant un écrivain à succès que l’on invite sur les plateaux de télévision. Un soir, l’occasion lui est offerte de lancer appel à témoins via le petit écran. Le voyage qu’il va par la suite entreprendre pour retrouver le fugitif sera pour lui l’occasion de lever une partie du voile sur ce qui a été tu pendant trop longtemps.

On n’en dira pas beaucoup plus, si ce n’est que cet épisode n° 2 est celui de la vérité si complexe des êtres et des choses : le malentendu sur lequel s’est fondé l’union en apparence idyllique de ses parents, les rancœurs de sa mère, la pusillanimité de son père, qui n’avait d’autre étai que la cellule familiale.

Le tome 3 revient longuement la quête du fils de Didoine et sur la genèse de son geste. On comprend pourquoi la tentation pour lui de faire taire ses convictions humanistes afin garder la stabilité du lien qui le protégeait des fantômes de son passé, a d’abord prévalue, et pourquoi elle a ensuite été balayée par l’absolue nécessité de venir en aide à la jeune fille.

La fin de ce roman graphique est particulièrement forte. Elle renvoie à ces hommes et ces femmes qui, au soir de leur vie, voient ressurgir des pans entiers de leur jeunesse et s’effacer les souvenirs des années qui ont suivi, réduites bien souvent pour eux à quelques dates griffonnées sur un morceau de papier enfoui dans leurs poches.

T. 3

On ne peut que souscrire au commentaire que fait l’éditeur à propos de ce triptyque intimiste : « À la justesse de l’écriture de Luc Brunschwig, répond la sensibilité du dessin d’Étienne Le Roux, pour offrir à cette histoire du quotidien, une lumière et une chaleur qui pourraient être celles de l’humanité. »

Anne Calmat